Une nouvelle étude alerte sur la fragilité du Groenland grâce au premier bilan réellement complet de l’évolution des glaciers au cours de la dernière décennie. Conclusion : l’île pourrait perdre sa glace plus rapidement qu’on ne le pensait. Cet avertissement ponctue une série d’études publiées en 2014 qui ont permis d’en savoir beaucoup plus sur l’inlandsis.
Le problème des modèles actuels est qu’ils ne parviennent pas à saisir avec précision les changements au Groenland car ces simulations se basent sur l’évolution de quatre glaciers – Jakobshavn, Helheim, Kangerlussuaq et Petermann – pour prévoir comment la calotte évolue.
De nouvelles données
Pour étudier plus précisément la couche de glace, une équipe de scientifiques emmenée par Baeta Csatho, professeur de géologie à l’Université de Buffalo, a voulu mesurer la hauteur de la calotte du Groenland sur près de 100 000 emplacements.
Grâce aux données du satellite ICESat de la NASA, qui peut mesurer la hauteur d’une région donnée grâce à un laser, et à celles de la campagne de terrain de l’Opération IceBridge, recueillies entre 1993 et 2012, Baeta Csatho et ses collègues ont pu fournir de nouvelles estimations de la perte de glace annuelle. Les chercheurs ont développé une technique de calcul afin de fusionner les données du satellite de la NASA, et celles des missions aériennes. Les résultats ont été publiés le 15 décembre dans la revue PNAS.
Des pertes de glace de plus en plus importantes
L’étude précise que le Groenland a perdu environ 243 milliards de tonnes de glace chaque année entre 2003 et 2009, faisant augmenter le niveau des océans de 0,68 millimètres par an. Des chiffres qui montrent une accélération spectaculaire, tous comme ceux du satellite Grace, dont les relevés utilisent la gravité pour mesurer la réparation des masses.
L’article paru dans PNAS relève que les modèles actuels ne prennent pas suffisamment en compte certaines spécificités. Le comportement des glaciers dépend en effet des conditions climatiques, géologiques et hydrologiques locales.
L’équipe de recherche a notamment identifié des zones de retrait rapide dans le sud du Groenland que les modèles d’aujourd’hui ne reconnaissent pas. Cela conduit à Baeta Csatho à penser que la calotte pourrait perdre sa glace plus rapidement que ce qui est suggéré dans les simulations d’aujourd’hui.
Les lacs supraglaciaires
Parmi les facteurs qui pourraient aussi contribuer à fragiliser le Groenland, il y a les lacs supraglaciaires, ces étendues d’eau qui se forment quand fondent la neige et la glace. C’est ce que montre une étude de l’Université de Leeds, publiée cette semaine dans la revue Nature Climate Change.
L’impact de ces lacs supraglaciaires était jusqu’à présent supposé faible mais la nouvelle étude montre qu’ils progressent de plus en plus à l’intérieur des terres : depuis les années 70, ils ont gagné 56 km. Ces lacs inquiètent car ils peuvent accélérer la fonte et le glissement des glaciers vers la mer en lubrifiant la base de la calotte. Selon l’étude dirigée par Amber Leeson, ils pourraient remonter de 110 km à l’horizon 2060, ce qui doublerait la surface qu’ils occupent actuellement au Groenland.

Lac de fonte dans l’ouest du Groenland, au nord du glacier Jakobshavn (crédit : Matthew Hoffman – NASA Ice)
Un sol spongieux sous la glace
Cela renforce les craintes liées à une autre étude publiée en septembre 2014 dans Nature Communications. Des chercheurs de l’université de Cambridge ont développé un nouveau modèle pour étudier l’évolution de la calotte du Groenland en intégrant une donnée qui n’avait jusqu’à présent pas été prise en compte, le caractère spongieux du sol sous la glace.
Les analyses précédentes supposaient que le sol rocheux sous la glace était imperméable et dur. Le fait qu’elles soient au contraire plutôt spongieuses dans certaines régions devrait conduire à un glissement plus rapide des glaces vers la mer.
Voilà comme le phénomène se produit : en été, le réchauffement fait fondre la glace en surface, ce qui provoque l’apparition de lacs. Ces derniers transportent ensuite l’eau fondue vers le sol rocheux à travers ce que l’on appelle des « moulins ». Ce phénomène tend à lubrifier la base de la calotte de glace et à faciliter son déplacement. Si le sol est spongieux, le mouvement peut être encore plus rapide. En absorbant toujours plus d’eau, il perd de la résistance, selon les auteurs de l’étude.
Les canyons du Groenland
Ce n’est pas tout : on pensait jusqu’à présent que le Groenland était capable de résister au réchauffement de l’océan en raison de son front rocheux qui faisait office de barrière. Il devait empêcher l’eau de trop s’engouffrer à l’intérieur des terres. Mais des analyses de chercheurs de la Nasa et de l’université Irvine, en Californie, ont permis de dresser une nouvelle topographie de l’île. La barrière naturelle que représente le front rocheux n’est pas assez élevée et présente de nombreuses failles permettant à l’eau de se frayer un chemin à travers les terres.
Certains canyons qui bordent les côtes sont très profonds, avec un lit rocheux situé sous le niveau de la mer. La profondeur des fjords pourrait permettre à l’eau chaude de s’infiltrer, faisant fondre davantage les glaciers. Une autre raison de croire à la fragilité de la deuxième plus grande calotte de glace du globe.
Le climat actuel proche du seuil qui a conduit le sud du Groenland à une fonte totale
Une période de réchauffement survenue il y a plus de 400 000 ans a poussé la calotte glaciaire du Groenland au-delà de son seuil de stabilité, ce qui a entraîné la fonte presque complète du sud de l’île et élevé le niveau des mers de 4 à 6 mètres.
Dans une étude parue dans Nature au mois de juin dernier, Alberto Reyes, de l’université du Wisconsin, et Anders Carlson, professeur à l’Université d’Oregon State, ont montré grâce à l’étude de dépôts de sédiments que le sud du Groenland avait presque totalement fondu alors que le climat était à peine plus chaud qu’aujourd’hui. Si à l’époque l’insolation a probablement été la cause majeure de la fonte – alors qu’aujourd’hui c’est surtout le CO2 – la région a dû franchir un seuil permettant à la partie sud de la calotte glaciaire de disparaître. Même si le forçage fut différent, cela peut nous donner une meilleure idée de ce qui pourrait advenir si les températures continuent à monter.