Les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines favorisent l’élévation des températures sur le long terme. Mais le rythme de cette hausse varie sur des échelles de temps plus courtes en raison de causes naturelles. Parmi celles-ci, il y a les oscillations du Pacifique, de plus en plus suspectées d’être le principal facteur de modération du réchauffement ces 15 dernières années.
Entre 1990 et 1999, les températures ont augmenté à un rythme soutenu, de l’ordre de 0,25°C par décennie, si l’on prend comme référence les données de la Nasa. Mais entre 2000 et 2009, ce rythme s’est ralenti, retombant à 0,10°C par décennie, soit moins que les prévisions des modèles (0,20°C par tranche de dix ans).
Dans le même temps, la planète est toujours en déséquilibre radiatif : en raison des gaz à effet de serre, il y a davantage d’énergie qui entre dans le système terrestre qu’il n’en ressort. Les données satellitaires montrent même une accélération de cette accumulation d’énergie entre la période 1985-1999 et 2000-2012. Dès lors, comment expliquer que ce déséquilibre radiatif ne se traduise pas par un réchauffement ? Où cette chaleur est-elle partie ?
De nombreuses études ont tenté ces dernières années d’expliquer pourquoi la Terre s’était moins réchauffée que ne le prévoyaient les modèles depuis 1998. Michael Mann, climatologue à l’université de Pennsylvanie, assure que le réchauffement ne s’est pas arrêté : il a été atténué par des facteurs naturels… Mais temporairement. Sur la base d’une nouvelle étude publiée dans Science, il désigne le Pacifique comme principal responsable de la pause. Les modèles climatiques ne sont donc pas viciés, estime encore Michael Mann sur le site Realclimate.
Dans leur enquête sur les variations naturelles du climat, Michael Mann et ses collègues Byron Steinman et Sonya Miller se sont concentrés sur l’hémisphère Nord et le rôle joué par deux des principales oscillations de températures de surface de la mer connues : l’Oscillation Atlantique Multidécennale ou « AMO » et l’Oscillation décennale du Pacifique ou « PDO ». Les températures moyennes de l’hémisphère Nord sont censées résulter d’une combinaison de l’AMO et de la PDO.
Michael Mann et ses collègues ont utilisé une nouvelle méthode pour l’identification de ces oscillations, basée sur les simulations climatiques utilisées dans le plus récent rapport du GIEC. Grâce à ces simulations, il est possible d’estimer la composante des variations de température due à l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre, aux éruptions volcaniques et aux changements observés dans l’activité solaire. Lorsque l’on retire l’influence de ces différents facteurs sur les températures, on peut observer quel est le véritable poids des oscillations que sont l’AMO et la PDO. Il doit donc être possible de déterminer leur influence respective en écartant tout autre facteur agissant sur le climat.
Les chercheurs ont constaté que l’état actuel des oscillations compensait une partie du réchauffement de l’hémisphère Nord. L’AMO semble avoir relativement peu joué sur les changements de température à grande échelle au cours des deux dernières décennies. Son amplitude a été faible, et elle est actuellement relativement plate. Dans le même temps, la PDO, a une tendance forte à la baisse. C’est donc la PDO (qui est liée à la prédominance des conditions froides de type La Niña dans le Pacifique tropical au cours de la dernière décennie) qui apparaît responsable du ralentissement de réchauffement.
La PDO était dans une phase négative avant 1976, puis dans une phase positive entre 1976 et 1998, une période qui a coïncidé avec une forte élévation des températures atmosphériques. Ensuite, une nouvelle phase négative a débuté en 1999, coïncidant avec la pause dans le réchauffement de la planète.
Il apparaît donc que le refroidissement naturel dans le Pacifique est le principal contributeur au ralentissement récent du réchauffement à grande échelle. Ce résultat confirme d’autres études récentes. Un article paru en février 2014 dans Nature Climate Change avait montré que les alizés exceptionnellement forts le long de l’équateur permettaient d’enfouir davantage de chaleur dans l’océan Pacifique tout en faisant remonter de l’eau froide à la surface plus à l’est. Il y a donc moins de chaleur disponible pour élever les températures de l’atmosphère, ce qui permet de compenser temporairement l’accumulation des gaz à effet de serre. Selon Matthew England, directeur de l’étude menée par l’université de New South Wales, les vents auraient eu un effet refroidissant de 0,1 à 0,2°C, un niveau permettant d’atténuer de 50% l’impact des gaz à effet de serre.
Une autre étude parue dans Nature Geoscience montre que ce processus est déjà arrivé, mais dans la direction opposée : des vents plus faibles ont permis d’accélérer le réchauffement au début du 20è siècle. Lorsque les vents ont commencé à se renforcer après 1940, le réchauffement a ensuite ralenti. Des scientifiques du Centre national pour la recherche atmosphérique (NCAR) et de l’Université d’Arizona, emmenés par Diane Thompson, ont utilisé une nouvelle méthode basée sur l’analyse chimique du corail afin de reconstituer la configuration des vents tropicaux du Pacifique entre 1894 et 1982. Entre 1910 et 1940, les températures mondiales se sont élevées de 0,4°C alors que le forçage dû aux gaz à effet de serre d’origine humaine n’était que de 0,3 W m−2. Depuis 1970, on a constaté un réchauffement de 0,75°C mais avec un forçage beaucoup plus important, de l’ordre de 1,5 W m−2. Les vents du Pacifique seraient le facteur clé expliquant l’effet moindre des gaz à effet de serre lors de certains périodes.
D’autres explications ont été récemment évoquées pour expliquer la pause des températures. Parmi celles-ci, il y a la sous-estimation du réchauffement réel qui a eu lieu en raison de lacunes dans les données d’observation. Les années 2000 ont été marquées par une forte élévation des températures de l’Arctique. Si on ne les prend pas en compte, on fausse partiellement la mesure de la moyenne mondiale. C’est ce qu’on noté les scientifiques Cowtan et Way, qui ont proposé une nouvelle méthode pour mieux prendre en compte la situation au pôle nord. Leur calcul de température a permis d’établir que le rythme du réchauffement était plus important (+0,16°C par décennie entre 2000 et 2009) que celui trouvé par les autres agences, surtout la NOAA et le Met Office, qui ne prennent pas assez en compte le climat des hautes latitudes.
Parmi les autres explications, on trouve aussi des facteurs naturels comme les petites éruptions volcaniques et la légère baisse de l’activité solaire qui ont eu une légère influence rafraîchissante sur le climat de la Terre.
Si le Pacifique est le principal facteur expliquant la pause des températures, les prochaines années pourraient être marquées par un rythme de réchauffement plus soutenu. Le Bureau australien de météorologie vient de délivrer son dernier pronostic pour les chances de voir émerger un phénomène El Niño en 2015 : elles sont de l’ordre de 50%. Quand des conditions de type El Niño règnent sur le Pacifique, on l’a vu, les conditions sont propices à l’élévation des températures. Selon une étude statistique publiée récemment, le largage de chaleur lié à des conditions El Niño dans le Pacifique peut conduire à une phase de réchauffement rapide.