Après un premier trimestre record, tous les ingrédients sont réunis pour faire de 2015 l’année la plus chaude de l’histoire des relevés. Le climat peut encore réserver des surprises mais le réchauffement actuel dans le Pacifique est annonciateur de températures plus élevées qu’en 2014, pourtant déjà marquée par un record de chaleur.
Aucun scientifique n’annoncera dès le mois d’avril que le record de chaleur tombera à coup sûr en 2015. Un revirement est toujours possible mais les conditions qui règnent dans le Pacifique sont favorables à une température globale élevée. Cela pourrait bien signifier que le réchauffement climatique est en passe de franchir un nouveau palier. Outre l’arrivée officielle d’El Niño, les températures dans une région clé du Pacifique Nord montrent qu’une tendance de fond vers des conditions chaudes est peut-être en train de s’amorcer.
Le Met Office britannique avait délivré en janvier ses prévisions de température annuelle globale pour 2015. Pour l’année en cours, la température moyenne mondiale se situera selon l’agence entre 0,52 °C et 0,76 °C au-dessus de la moyenne 1961-1990, avec une estimation centrale de +0,64 °C. L’année 2015 porterait ainsi la température mondiale à un niveau record. Mais au moment de cette prévision, on ne savait pas encore que les trois premiers mois de l’année allaient être aussi chauds, ni qu’El Niño allait officiellement émerger.
Voici donc trois raisons de penser que l’année 2015 pourrait être encore plus chaude que 2014 :
1 Un début d’année record
Selon les chiffres de la Nasa (Gistemp), les trois premiers mois de l’année 2015 ont atteint une anomalie moyenne de +0,79°C, ce qui en fait le premier trimestre le plus chaud depuis le début des relevés en 1880. Le mois de mars 2015 est le 3è plus chaud des annales avec +0,84°C.
Voici le classement des 10 périodes janvier-mars les plus chaudes depuis 1880, selon la Nasa (anomalies par rapport à la période 1951-1980) :
1 | 2015 | 0,79 |
2 | 2002 | 0,78 |
3 | 2010 | 0,75 |
4 | 2007 | 0,75 |
5 | 1998 | 0,69 |
6 | 2005 | 0,63 |
7 | 2004 | 0,61 |
8 | 2014 | 0,61 |
9 | 2003 | 0,6 |
10 | 2006 | 0,58 |
2 El Niño
El Niño a finalement émergé en ce début 2015. De faible intensité, il devrait quand même tirer les températures vers le haut.
L’une des raisons pour lesquelles le phénomène El Niño est suivi de près est qu’il est capable de déclencher des phénomènes météo extrêmes. Il peut provoquer des inondations le long des côtes américaines et des sécheresses dans le nord de l’Australie.
Mais El Niño suscite également beaucoup d’intérêt en raison de son impact sur les températures mondiales. Il est en effet capable d’élever les températures globales de plus de 0,1°C par rapport à une année « normale » et de 0,2°C voire de 0,3°C par rapport à une année La Niña. Pourquoi ? Parce qu’il réchauffe l’est du Pacifique, une région qui est normalement relativement froide. Lors d’une année El Niño, les eaux chaudes qui se sont accumulées à l’ouest du Pacifique basculent vers l’est du bassin océanique. Le réchauffement de la mer se communique ensuite à l’atmosphère à travers l’évaporation qui apporte de fortes précipitations dans la région située entre l’Equateur et le Pérou. Lors d’un épisode La Niña, au contraire, les vents qui soufflent vers l’Australie (les alizés) empilent la chaleur dans l’ouest de l’océan Pacifique. Mais les eaux sont déjà chaudes dans cette région, cela ne fait qu’enfouir de la chaleur dans les profondeurs de l’océan. Au final, les années El Niño sont des années chaudes, les années La Niña des années froides. Chacun des phénomène dure typiquement entre 9 et 12 mois.

Prévisions pour la région clé Nino 3.4 dans le Pacifique tropical : l’anomalie de +0,5°C correspond au seuil El Niño (Source : NOAA)
Le dernier épisode El Niño significatif remonte à 2010, année marquée par un record de chaleur. Après avoir été longtemps annoncé en 2014, El Niño n’a finalement émergé qu’en ce début 2015, mais de justesse. L’agence américaine NOAA estime qu’il y a 70% de chances pour que les conditions El Niño se maintiennent cet été et 60% de chances pour qu’elles persistent cet automne.
3 L’Oscillation décennale du Pacifique (PDO)
L’Oscillation décennale du Pacifique (PDO) pourrait prochainement booster les températures mondiales. Dans sa phase positive, la PDO est un peu la version long-terme d’El Niño puisque ses cycles peuvent durer de 20 à 30 ans. En période de PDO négative, les conditions dans le Pacifique ressemblent davantage à ce que l’on observe durant un épisode La Niña. Pendant une phase chaude, ou positive, l’ouest du Pacifique se refroidit tandis que l’est se réchauffe. Quand la PDO est positive, les épisodes El Niño sont plus forts et plus fréquents.
Des travaux conduits par Kevin Trenberth et John Fasullo, du Centre national pour la recherche atmosphérique (NCAR), montrent que la PDO a eu un rôle déterminant dans la pause climatique survenue après 1998. Il y a en effet eu davantage d’enfouissement de chaleur dans l’océan Pacifique au cours de ces 15 dernières années à la faveur d’une PDO négative. Les alizés exceptionnellement forts le long de l’équateur ont permis d’enfouir davantage de chaleur dans l’océan Pacifique tout en faisant remonter de l’eau froide à la surface plus à l’est. Les années 2000 ont été les plus chaudes depuis le début des relevés en 1880 mais le rythme de hausse a été moins élevé que dans les années 90, amenant à parler d’une « pause » dans le réchauffement climatique.
Entre les années 1980 et 2000, la plus grande part de la chaleur absorbée par les océans l’a été dans les 700 premiers mètres. Mais Kevin Trenberth a noté qu’après 2000, la PDO négative a conduit à une plus grande absorption de chaleur sous les 700 mètres.
La nouvelle la plus importante de ces dernières semaines est que la PDO est peut-être en train de basculer vers une phase positive, comme cela avait été le cas dans les années 1980 et 1990, marquées par une forte élévation des températures mondiales. L’indice PDO relatif aux températures de surface de la mer dans le Pacifique nord a atteint ces 4 derniers mois des valeurs que l’on n’avait pas relevé depuis une quinzaine d’années. Si El Nino peut être vu comme un phénomène conjoncturel, la PDO est un peu la tendance de fond du Pacifique. L’oscillation décennale du Pacifique est capable d’amener la température moyenne globale à un nouveau pallier, selon Kevin Trenberth.