Climat

Des périodes de réchauffement rapide au Groenland

Un réchauffement abrupt suivi d’une longue période de refroidissement : les carottes de glace montrent que le Groenland a connu une vingtaine de changements climatiques extrêmes de ce type au cours de la dernière période glaciaire, il y a environ 20 000 à 100 000 ans. Des chercheurs viennent peut-être de trouver le mécanisme à l’origine de ces variations brutales du climat.

Lors de la dernière glaciation, les températures au Groenland ont augmenté à plusieurs reprises de 10 à 15°C en l’espace d’une cinquantaine d’années. Après ces courtes périodes chaudes, le climat est ensuite progressivement revenu à des conditions glaciales. Au total, le cycle durait environ 1500 ans. 25 événements de ce type ont été recensés au cours de la dernière glaciation et on en trouve les stigmates aussi bien dans les carottes de glace que dans les sédiments marins. Ces soubresauts ont été baptisés « événements de Dansgaard-Oeschger ». Le Danois Willi Dansgaard et le Suisse Hans Oeschger ont les été premiers à les identifier dans les glaces du Groenland.

Chronologie de la concentration en oxygène 18 au Groenland tirée du North Greenland Ice Core Project (NGRIP), montrant 20 événements de Dansgaard–Oeschger pendant la dernière glaciation. Source : NOAA.

Chronologie de la concentration en oxygène 18 au Groenland tirée du North Greenland Ice Core Project (NGRIP), montrant 20 événements de Dansgaard–Oeschger pendant la dernière glaciation. Source : NOAA.

De l’autre côté de la planète, les carottes de glace de l’Antarctique ont montré l’existence de changements climatiques au cours la même période, mais beaucoup moins abrupts, avec des sauts de température moins sévères. Surtout, il s’est avéré que l’Antarctique n’a pas été synchronisé avec le Groenland pendant la dernière glaciation. L’Antarctique s’est refroidi pendant les phases chaudes au Groenland et inversement.

Les mécanismes impliqués font encore débat mais tout porte à croire que la circulation océanique de l’Atlantique a joué un rôle primordial. D’après une étude publiée dans la revue Nature en avril 2015, les changements brusques ont eu lieu d’abord au Groenland avec une réponse du climat de l’Antarctique retardée d’environ 200 ans. Le fait que les changements de température soient opposés aux deux pôles suggère qu’il y a eu une redistribution de la chaleur entre les hémisphères. En outre, le retard de 200 ans pointe certainement un mécanisme océanique. Si les changements climatiques s’étaient propagées par l’atmosphère, la réponse de l’Antarctique aurait eu lieu en quelques années, voire quelques décennies.

Une étude parue dans Scientific Reports (du groupe Nature) apporte de nouveaux éléments qui pourraient expliquer l’un des plus grands mystères des événements de Dansgaard-Oeschger. Il s’agit du facteur déclenchant de la période initiale chaude au Groenland. Ce réchauffement s’est produit lors d’une glaciation : qu’est-ce qui a pu provoquer ce réchauffement abrupt sur l’île du nord ? Les auteurs de l’étude se sont penchés sur une zone maritime située juste au sud de l’Islande : elle a suivi de près le réchauffement et le refroidissement de l’Antarctique. Ce qui est étrange car la zone concernée est proche du Groenland (on peut la voir sur la carte ci-dessous au niveau du point rouge SO2). On pouvait s’attendre à ce qu’elle soit davantage synchronisée avec le climat des alentours.

Courant de l'Atlantique Nord et calottes de glace pendant la dernière glaciation. Le point rouge SO2 indique l'endroit où les sédiments ont été récupérés. Source : T. Rasmussen/CAGE and E. Thomsen/Aarhus University

Courant de l’Atlantique Nord et calottes de glace pendant la dernière glaciation. Le point rouge SO2 indique l’endroit où les sédiments ont été récupérés. Source : T. Rasmussen/CAGE and E. Thomsen/Aarhus University

L’auteur principal de l’étude, Tine Rasmussen, du CAGE (Center for Arctic Gas Hydrate, Environment and Climate) s’attendait à voir des changements climatiques soudains dans cette région du globe. Mais les enregistrements des carottes de sédiments montrent que les changements climatiques ont été progressifs, et tout à fait identiques aux changements climatiques en Antarctique, rapporte le centre norvégien CAGE.

Comme aujourd’hui, la circulation de l’océan Atlantique régissait le transport de chaleur dans cette région. Autrement dit, les courants de surface transportaient la chaleur de l’Atlantique sud et tropical vers l’Atlantique Nord.

La mer entre la Norvège et le Groenland joue un rôle crucial dans le fonctionnement de l’océan Atlantique. Elle agit comme une pompe. Ici, l’eau de surface chaude et salée refroidit pendant l’hiver. Elle devient lourde et se retrouve entraînée vers le bas avant son retour à l’Atlantique, où elle circule en profondeur vers l’Antarctique.

Sans cette pompe, le système actuel nord-sud ralentirait considérablement, rappelle l’étude. Pendant la glaciation, quand un réchauffement avait lieu dans le nord, il y avait un refroidissement au sud et vice-versa. L’article paru dans Scientific Reports précise cependant ce scénario.

Pendant les périodes les plus froides de la dernière période glaciaire, les mers nordiques étaient recouvertes d’une couche permanente de glace de mer. La pompe a alors cessé de transporter la chaleur vers le nord. La chaleur s’est accumulée dans les mers du Sud, car comme on l’a vu, la circulation océanique a entraîné un découplage entre les deux hémisphères. Mais ce que les scientifiques ont découvert, c’est que le réchauffement ne s’est pas limité au sud.

Les résultats de l’étude montrent que le réchauffement s’est frayé un chemin vers l’Islande. Le réchauffement a été lent et progressif. Peu à peu, l’eau chaude venue du sud de l’Atlantique a pénétré dans les mers nordiques recouvertes de glace. Elle a fait fondre la glace par le dessous. Une fois que la glace disparue, la pompe était à nouveau prête à se remettre en marche, ce qui apportait de l’eau chaude supplémentaire dans les mers nordiques. Voilà comment une nouvelle période chaude de 50 ans pouvait se remettre en place.

Seulement ce jeu de bascule n’était pas fini. D’immenses calottes de glace recouvraient encore les continents autour des mers nordiques. Le contact avec l’eau chaude de l’océan a favorisé le vêlage. Le largage des icebergs et d’eau douce dans la mer a provoqué un refroidissement de l’eau de surface. Les mers ont été de nouveau gelées. Et la pompe s’est à nouveau ralentie.

Les conditions actuelles sont différentes puisque nous sommes dans une période chaude. Mais les modèles climatiques les plus récents prévoient que la fonte des glaces du Groenland apportera une quantité croissante d’eau douce dans l’Atlantique Nord, ce qui provoquera un ralentissement de la circulation océanique. Le dernier rapport du GIEC estime qu’il y a 90% de chances pour que la circulation océanique méridionale de l’Atlantique (AMOC en anglais) ralentisse au cours du 21è siècle. Selon les scénarios les plus pessimistes d’émissions de gaz à effet de serre, le déclin pourrait atteindre 54% d’ici 2100.

Circulation océanique thermohaline montrant la remontée d'eau chaude (en rouge) vers les hautes latitudes et le plongeon des eaux froides et salées (en bleu) qui reviennent vers le sud pour former une boucle (source : Wikipedia)

Circulation océanique thermohaline montrant la remontée d’eau chaude (en rouge) vers les hautes latitudes et le plongeon des eaux froides et salées (en bleu) qui reviennent vers le sud pour former une boucle (source : Wikipedia)

L’affaiblissement de l’AMOC pourrait provoquer une élévation du niveau de la mer sur les côtes du nord-est des Etats-Unis mais aussi des hivers plus rigoureux en Europe. Un arrêt complet de la circulation n’est pas envisagé : il n’a selon le dernier rapport du GIEC que 10% de chances de se produire au cours du siècle prochain. Mais attention : les modèles climatiques ont sous-estimé l’état actuel de l’AMOC, selon une étude dirigée par Stefan Rahmstorf.

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