Climat

Le Groenland menacé par le réchauffement de l’Arctique

La fonte de la glace arctique et les systèmes de blocage atmosphérique au-dessus du Groenland sont liés, d’après une nouvelle étude menée par Jiping Liu, de l’Université d’Albany, et Jennifer Francis, chercheur à l’université Rutgers.

Ces dernières décennies, l’Arctique a été soumis à un réchauffement considérable, au moins deux fois supérieur au réchauffement moyen observé à la surface du globe. La fonte de la glace de mer s’est accélérée au 21è siècle, avec à la fois une étendue réduite et une surface moins épaisse, la glace jeune (d’un an) tendant à occuper une place plus importante au détriment de la glace pluriannuelle.

Cette fonte de la glace arctique favoriserait des épisodes de pression atmosphérique élevée au Groenland en été, d’après une étude publiée dans le Journal of Climate. Ces systèmes ont tendance à rester plus longtemps en place, empêchant l’air froid et sec du Canada d’atteindre l’île.

Anomalies de pression atmosphérique (niveau de la mer) en juin-juillet-août 2015 par rapport à JJA 1979-2010 d'après ERA Interim (Source : Climate Reanalizer).

Anomalies de pression atmosphérique (niveau de la mer) en juin-juillet-août 2010-2015 par rapport à JJA 1979-2010. (Source : ERA Interim – Climate Reanalizer).

Avec ce niveau de pression élevé, le transport d’un air chaud et humide au-dessus du Groenland est favorisé et on observe des épisodes de fonte extrême à la surface de l’île, selon l’étude. Ces conclusions s’appuient sur des observations mais aussi sur un modèle climatique utilisé pour simuler l’impact des variations de la glace de mer.

En juillet 2012, par exemple, près de 97 % de la surface du Groenland a connu une fonte, un record. On a observé dans le même temps un système de pression anormalement élevée. D’après Liu et Francis, les systèmes de haute pression au-dessus du Groenland se forment généralement quand il y a beaucoup d’air chaud en Arctique.

La situation était aussi critique en 2015 puisque le Groenland a connu le 4 juillet dernier la fonte la plus importante depuis les niveaux records observés en 2012, selon le dernier « Arctic Report Card » publié par la NOAA. La fonte a concerné à son apogée la moitié de la surface de l’île.

Reste à savoir ce qui favorise cette fonte accrue. L’été 2015 a été marqué par une Oscillation de l’Atlantique Nord (NAO) négative, comme lors de la période 2007-2012, pendant laquelle la fonte a été intense en surface. La NAO est définie comme le différentiel de pression entre la dépression d’Islande et l’Anticyclone des Açores. Une phase négative favorise la fonte au Groenland. Or depuis les années 1990, la NAO a davantage tendance à être négative.

La NAO a donc certainement une grosse influence. Mais l’analyse de Jinping Liu et Jennifer Francis, montre cependant que la NAO est moins corrélée à la fonte du Groenland que l’extension de la glace de mer (avec respectivement un coefficient de corrélation de -0,48 et -0,91).

Etendue de la glace de mer arctique en septembre 2012. Source : NSIDC.

Etendue de la glace de mer arctique en septembre 2012. Source : NSIDC.

Pourquoi la fonte de la glace de mer a-t-elle impact ? Cela renvoie à des études déjà publiées par Jennifer Francis dans le passé. D’après la scientifique américaine, l’air chaud arctique tend à affaiblir le jet stream qui se déplace typiquement d’ouest en est. Cela est dû au phénomène appelé « amplification arctique » : il y a de moins en moins de différence de températures entre le pôle et les basses latitudes. Le jet stream tend à onduler davantage selon une configuration nord-sud. Des dépressions se nichent dans les régions où le jet stream fait des incursions vers le sud tandis que des systèmes de haute pression se mettent en place au sud du courant jet lorsque celui ci se déplace vers le pôle nord.

Source : NASA

Source : NASA

Quand il y a une grosse année de fonte au Groenland, c’est généralement parce qu’il y a eu un système de haute pression est un mouvement du jet stream vers le nord. Cette configuration amène de la chaleur, de l’humidité et de fins nuages bas au-dessus du Groenland, conduisant à davantage de fonte encore.

D’après la mission satellite GRACE (qui permet de mesurer l’évolution de la gravité), la perte annuelle de masse de la calotte glaciaire a été en moyenne de 238 milliards de tonnes (ou Gt) entre 2002 et 2015. Depuis le début des mesures GRACE en 2002, la perte la plus importante a été constatée en 2012-2013 avec 562 Gt.

Cumul de la masse de glace (en Gt) perdue par la calotte du Groenland entre avril 2002 et avril 2015, d'après GRACE. Source : Arctic Report Card 2015.

Cumul de la masse de glace (en Gt) perdue par la calotte du Groenland entre avril 2002 et avril 2015, d’après GRACE. Source : Arctic Report Card 2015.

Depuis 2009, la fonte du Groenland est principalement due à la fonte de surface. Entre 1979 et aujourd’hui, un fort réchauffement a été observé à la surface pendant la période estivale, notamment dans le sud de l’île. La tendance à l’accélération de la fonte fait craindre que la hausse du niveau de la mer dépasse les projections réalisées pour le 21è siècle.

Le Groenland contribue davantage que l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer. Selon le dernier rapport du GIEC, la contribution du Groenland serait ainsi passée de 0,09 mm par an entre 1992 et 2001 à 0,59 mm par an entre 2002 et 2011. Celle de l’Antarctique sera passée de 0,08 mm à 0,40 mm sur les mêmes période. Une fonte totale du Groenland provoquerait une élévation du niveau de la mer de 7 mètres.

Outre l’élévation du niveau de la mer, l’autre conséquence de la fonte importante de la calotte glaciaire du Groenland ces dernières années est la présence d’eaux plus froides que d’habitude au sud de l’île. On peut voir ci-dessous la région bleue, qui correspond à la seule anomalie froide de l’hémisphère nord en 2015.

Anomalies de température en 2015. Source : Scientific Visualization Studio/Goddard Space Flight Center.

Anomalies de température en 2015. Source : Scientific Visualization Studio/Goddard Space Flight Center.

La crainte est que l’écoulement d’eau douce lié à la fonte de surface au Groenland conduise à ralentissement de la circulation océanique dans l’Atlantique Nord. L’afflux d’eau douce est susceptible de provoquer un ralentissement de la circulation océanique car l’eau moins salée ne peut plus plonger comme avant et enclencher le moteur de la formation des eaux profondes, aussi appelé « tapis roulant océanique ».

4 réponses »

  1. Je suppose que vous êtes déjà informé, voire avez déjà rédigé un billet sur le sujet, mais sait-on jamais:
    http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/03/30/l-elevation-du-niveau-des-mers-pourrait-atteindre-deux-metres-a-la-fin-du-siecle_4892681_3244.html
    Pour avoir une idée de ce que signifie une élévation de « seulement » un mètre pour notre beau pays (je parle de la France), ce site chaudement recommandé:
    http://www.drias-climat.fr
    Où l’on voit (entre autres) que c’en sera fini des étés à la plage (mais qui alors pensera à l’été à la plage?). L’immobilier à l’île de Ré va en prendre un coup!
    Mais vous rendez-vous vraiment compte: dans moins d’un siècle. Il reste une, au mieux deux générations pour sauver notre espèce.

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    • Merci de me signaler cette étude! Je n’étais pas au courant, elle vient tout juste de sortir mais cela semble effectivement une étude intéressante, publiée dans une grande revue… Je vais la regarder de plus près, d’autant qu’elle est exceptionnellement disponible en version gratuite. Sinon, une étude à la conclusion similaire avait été publiée en 2014, (résumé ici sur global-climat). Je n’ai pas oublié non plus votre commentaire sur la dernière étude d’Hansen, qui traite en partie du même thème. Et il y a aussi une autre étude du 29 mars 2016, dans Geophysical Research Letters, http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/2016GL067818/full.
      Bref, cela fait désormais plusieurs études qui tablent sur des projections d’élévation du niveau de la mer supérieures à celle du GIEC (la pire est d’un mètre).

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  2. Bonjour Johan, aux dernières nouvelles, de nombreux incendies font rage au Groenland, vu sur le site de Claude Grandpey… impacts multiples, dont les suies qui assombrissent les couches neigeuses « proches » en retombant selon les conditions, la combustion de la végétationeteg de la tourbe qui emettent bien sûr du CO/CO2, mais aussi un réchauffement du permafrost.

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