Une nouvelle étude publiée dans la revue Science indique que la sensibilité climatique pourrait être plus importante que prévu. Des chercheurs du Lawrence Livermore National Laboratory et l’Université de Yale ont découvert que les modèles climatiques rendaient les nuages trop réfléchissants à mesure que la planète se réchauffait. Ce qui conduit les modèles à sous-estimer le réchauffement climatique lié à l’augmentation du dioxyde de carbone.
Le comportement des nuages dans un contexte de réchauffement reste l’une des principales incertitudes de la science du climat. La réponse climatique peut être très variable car les nuages ont des propriétés très différentes selon leur composition, leur hauteur ou leur localisation. Avec le réchauffement de l’atmosphère, les modèles prévoient que les nuages deviendront de plus en plus composés de liquide plutôt que de glace : ils seraient donc plus réfléchissants. Parce que les nuages liquides reflètent plus la lumière du soleil vers l’espace que les nuages de glace, cette rétroaction agirait comme un frein au réchauffement. Du moins c’est que l’on pensait jusqu’à présent.
Mais les nuages décrits dans la plupart des modèles contiendraient trop de glace susceptible de devenir liquide avec le réchauffement, ce qui rend cette rétroaction déraisonnablement forte, d’après une nouvelle étude de Ivy Tan et Trude Storelvmo, de l’Université de Yale, publiée dans Science. En utilisant un modèle climatique, les chercheurs ont modifié les paramètres pour ramener les quantités relatives de liquide et de glace des nuages à des niveaux conformes avec ce que l’on peut trouver dans la nature. La correction de ce biais a conduit à une plus faible rétroaction et un réchauffement plus important en réponse au dioxyde de carbone.
La fourchette haute de la sensibilité du climat à un doublement du CO2 est ainsi passée de 4°C à 5-5.3°C dans les versions qui ont été modifiés pour apporter des quantités de liquide et de glace en accord étroit avec les observations.
La sensibilité du climat équivaut à la variation de la température de surface moyenne globale due au doublement de la concentration de dioxyde de carbone. Le dernier rapport du GIEC (The physical science basis, 2013), indique que la sensibilité climatique se situe probablement entre 1,5°C et 4,5°C. Et un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère pourrait intervenir au cours du 21è siècle si des efforts de limitation ne sont pas entrepris.
Il ne faut pas confondre cette sensibilité climatique avec la réponse climatique transitoire, qui représente l’élévation des températures atteinte au moment précis où a lieu le doublement. La sensibilité climatique représente le réchauffement atteint lorsque les températures se seront totalement stabilisées. Ce dernier chiffre est donc supérieur à la réponse climatique transitoire (entre 1 et 2,5°C), puisqu’il se produit plus tard, notamment en raison de l’inertie des océans.
La conclusion de l’étude de Science est que la rétroaction est plus faible que prévu et la sensibilité du climat plus importante. Dans la nature, les nuages contenant à la fois des cristaux de glace et de gouttelettes liquides sont communs à des températures bien inférieures à zéro. Comme l’atmosphère se réchauffe en raison des émissions de dioxyde de carbone, on pouvait s’attendre à ce que la la quantité relative de liquide dans ces nuages mixtes augmente.
Et comme les nuages liquides ont tendance à refléter plus de lumière solaire vers l’espace que les nuages de glace, cette rétroaction négative était censée réduire le réchauffement climatique. Plus les nuages contiennent de glace au départ, plus ils sont susceptibles de contenir de liquide à mesure que la planète se réchauffe. Logiquement, cette rétroaction de stabilisation est plus forte dans les modèles contenant moins de liquide relativement à la glace à des températures inférieures au point de congélation.
En outre, plusieurs études récentes ont conclu que d’autres rétroactions sont également susceptibles d’exacerber le réchauffement plutôt que de le limiter.
Un article publié en mars 2016 dans Nature Geoscience signalait que la sensibilité climatique se situait plutôt dans la fourchette haute. D’après cette l’étude, où l’on trouvait déjà Trude Storelvmo, les modèles climatiques ne mesurent pas avec précision l’effet des aérosols sur les nuages. On sait que les émissions d’aérosols dues à la pollution ont certainement modéré le réchauffement climatique depuis la Seconde Guerre mondiale et certains scientifiques pensent que les estimations de la sensibilité du climat de la Terre sont trop faibles à cause de cela. Le rayonnement solaire qui atteint la surface de la Terre a globalement diminué depuis les années 1950, un « assombrissement » imputé à l’effet parasol des aérosols massivement émis après guerre.
Dans ce précédent article, Trude Storelvmo avait utilisé les enregistrements de température, de gaz à effet de serre et de rayonnement solaire sur 1300 sites dans le monde entier entre 1964 et 2010. Le but était de distinguer les changements de température causés par les émissions de gaz à effet de serre de ceux provoqués par les aérosols.
Cette analyse a suggéré qu’un tiers du réchauffement continental entre 1964 et 2010 avait été masqué par l’effet refroidissant des aérosols. Forts de leur découverte, les scientifiques ont ensuite calculé la réponse climatique transitoire et obtenu une augmentation de la température d’environ 2°C au-dessus des niveaux préindustriels.
C’est un peu plus que la prévision centrale tirée des modèles et nettement au-dessus de certaines études basées sur les seules observations, qui ne tablaient que sur une réponse climatique transitoire de 1,3°C.
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En tout cas, l’année 2015 a déjà été à +1°C par rapport à l’ère préindustrielle et il semble que les années suivantes seront au moins aussi chaudes. Et pourtant, on n’est qu’à 400 ppm de CO2, encore loin des 550 ppm qui constitueraient un doublement de la concentration par rapport à l’ère préindustrielle. Si la réponse climatique transitoire est estimée entre +1 et +2,5°C, et même sans prendre en compte les 2 études sur l’effet des nuages et des aérosols, la réalité se situe plus probablement dans la partie haute de cette fourchette.
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Avec le 1°C de réchauffement, on est à peu près dans la lignée des modèles. L’hypothèse centrale de l’étude de Nature Geoscience sur les aérosols étant que la réponse climatique transitoire (TCR) sera de 2°C, donc +2°C au moment où le doublement de la concentration de CO2 est atteint. Cela va dépendre des scénarios mais pour le moment on s’oriente vers un doublement en 2050 dans le pire des cas et 2075 (à peu près…).
La dernière étude publiée dans Science parle de la sensibilité climatique, le réchauffement total qui sera atteint suite à un doublement de la concentration. Cela arrivera après la TCR et dans le haut de la fourchette, l’étude fait état d’une sensibilité de +5,3°C. Avec le scénario RCP 8.5, cela donnerait plus de 10°C de réchauffement global en 2150. Donc 10°C c’est avec le pire des scénarios d’émissions, la plus grosse sensibilité climatique et un horizon lointain.
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Je viens de voir, sur le site de la NOAA, que la concentration en CO2 relevée à l’observatoire du Mauna Loa fut de 409,34 ppm le 10 avril (http://www.esrl.noaa.gov/gmd/ccgg/trends/monthly.html). Un pic à plus de 410 ppm fut même relevé le 9. C’est un record absolu! Je sais que la concentration atmosphérique en CO2 a tendance à bondir lors des El nino, mais tout de même, là, c’est beaucoup. Cela fait +6 ppm par rapport aux relevés d’il y a un an jour pour jour, et par rapport à la moyenne d’avril 2015! Et bien qu’on ne puisse s’appuyer sur un seul jour pour tirer des conclusions, soulignons que l’augmentation était déjà de +3,8 ppm en février 2016, par rapport à février 2015. Et + 3,3 ppm en mars.
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C’est vrai qu’El Nino est à l’origine des augmentations record observées en 1997-98 et 2015-16. La hausse en 2015 (+3%) a battu le record de 1998 (+2,82%). Sur le long terme, c’est évidemment dû aux émissions anthropiques avec une hausse de 124 ppm depuis 1800, toujours d’après le site que vous avez indiqué en lien.
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Très intéressant article qui nous démontre une fois de plus que l’homme pratique la géo-ingénierie comme monsieur Jourdain pratiquait la prose, sans le savoir, puisque émissions de CO2 et émissions d’aérosols agissent sur les températures dans un sens ou dans l’autre. Si ce n’était pas sérieux on pourrait en plaisanter en prétendant que nous avons là un thermostat que nous pouvons régler à notre guise…
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Je me demande comment des négociations sur la géo-ingéniérie pourraient se dérouler… Qui les organisera, qui les mettra en oeuvre, quels seront les pays les plus impactés … ??
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Des négociations sur la géo-ingénierie? Quand on voit ce que cela donne rien que pour constater que la planète se réchauffe et que l’homme est responsable, je pense qu’on peut oublier… De toute façon comme on va vers un scénario où on ne va pas vraiment mettre les moyens qu’il faudrait, on peut considérer que ce qui se prépare est une sorte de négociation « en creux » puisque le résultat sera que la Terre se réchauffera bien trop à cause des activités humaines insuffisamment régulées.
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On pourrait voir de plus en plus souvent le terme « overshoot » ou dépassement dans les négociations sur le climat. Car au rythme actuel des émissions, le quota d’émissions de CO2 alloué à la planète pour rester sous la barre des 2°C sera atteint dès les années 2030. L’idée qui me semble émerger est donc celle d’un dépassement puis d’une réduction vers des émissions négatives grâce au stockage du carbone et à la géo-ingénierie. Et je ne parle pas de l’objectif le plus ambitieux, 1,5°C.
Le problème c’est qu’en pariant sur des émissions fortement négatives « plus tard », on peut presque se permettre d’émettre encore plus de CO2 qu’aujourd’hui…
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Bonjour Johan,
Nouvelle étude pointant un point de basculement sur l’interaction CO₂/formation nuageuse : https://www.nature.com/articles/s41561-019-0310-1 (accès restreint)
Peu encourageant.
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Bonjour Ghtuz,
Oui, j’ai vu ça…. 5+8 = ?
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Vu la façon dont c’est parti, avec une telle élévation, je ne vois pas comment nous pourrions assurer un agriculture avec autant de variation dans probablement peu d’endroit où il pourrait y avoir encore une « météo » clémente où beaucoup d’espèce vont guerroyer pour s’y implanter.
Ce serait simplement un retour à l’âge de pierre. Et je doute fortement qu’une technologie efficace puisse arriver sans faire maintenant davantage de dégâts. La solution, s’il en était une, la plus sensé actuellement pourrait bien être un abandon pur et simple de nos modes productivistes énergivores.
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