Climat

Une plus grande sensibilité climatique lors des périodes chaudes

D’après une étude de l’Institut Niels Bohr, la sensibilité du climat aurait été plus élevée au cours de périodes chaudes du passé que lors du climat actuel et des périodes glaciaires. On savait déjà que le climat avait été plus chaud qu’aujourd’hui à plusieurs reprises. Mais cette fois, l’étude porte sur la sensibilité climatique. Elle signifie que le carbone risque d’avoir encore plus d’impact lorsque les températures auront augmenté.

Le réchauffement global lié aux émissions de gaz à effet de serre dépend non seulement de l’importance des émissions, mais aussi du potentiel de réchauffement des gaz à effet de serre. C’est la sensibilité climatique. Elle est définie comme la réponse du système climatique à un forçage radiatif constant. Par convention, on évalue la sensibilité en calculant le réchauffement moyen à la surface du globe sous l’effet d’un doublement de la concentration de CO2. Il s’agit  du niveau atteint lorsque les températures se seront totalement stabilisées.

La sensibilité du climat dépend d’un certain nombre de propriétés du système climatique de la Terre, tels que la composition des nuages et la couverture nuageuse. Elle peut aussi être affectée par la position des continents, qui a grandement varié à travers le temps.

Les auteurs d’une nouvelle étude publiée dans Geophysical Research Letters se sont attelés à la reconstruction et à la modélisation du climat d’une période de réchauffement de la planète survenue il y a 56 millions d’années. Une période connue sous le nom de Maximum Thermique du Paléocène-Eocène (Paleocene-Eocene Thermal Maximum en anglais, ou PETM). Elle aurait été déclenchée par des rejets massifs de carbone dans l’atmosphère. Elle a forcément suscité l’intérêt des scientifiques en raison des similitudes avec le forçage radiatif actuel.

Les reconstructions de températures passées montrent qu’avant la PETM, une longue période de réchauffement avait commencé. La Terre avait alors atteint un niveau de 10°C au-dessus d’aujourd’hui. Parmi les causes possibles, l’une des théories les plus crédibles est celle de l’étape finale de la dislocation de la Pangée, le supercontinent de l’époque, accompagné d’une activité volcanique intense et d’un largage important de CO2. Puis la Terre s’est encore réchauffée de 5°C supplémentaires au cours de l’optimum thermique. Cette accélération finale marquant le summum du PETM a peut-être été causé par le dégel des clathrates de méthane au fond des océans.

Les scientifiques de l’institut Niels Bohr (Danemark) ont combiné des données paléoclimatiques avec des modélisations pour estimer la concentration de CO2 dans l’atmosphère à la fois avant et pendant la période. Grâce à cette analyse, ils ont pu calculer la sensibilité du climat : leurs résultats montrent une sensibilité de 4,5°C pour un doublement de la concentration de CO2 avant la PETM, et surtout une augmentation à environ 5,1°C au cours du PETM.

Plus précisément, la fourchette irait de 3,3 à 5.6 avant PETM à une époque où la température moyenne était de 25°C environ à la surface de la Terre. Puis elle aurait augmenté à 3,7 – 6.5°C durant le PETM, période marquée par une incroyable moyenne globale de 30°C.

Sensibilité du climat à différentes périodes. LGM : dernier maximum glaciaire ; MD : période moderne ; LP : fin du Paléocène ; PETM : Maximum thermique du Paléocène-Eocène. Source : Shaffer et al.

Sensibilité du climat à différentes périodes. LGM : dernier maximum glaciaire ; MD : période moderne ; LP : fin du Paléocène ; PETM : Maximum thermique du Paléocène-Eocène. Source : Shaffer et al.

La sensibilité du climat est actuellement estimée à 3°C alors que la température actuelle sur Terre est de 15°C environ (sachant que le globe s’est déjà réchauffé de 1°C environ par rapport à l’ère préindustrielle). Le dernier rapport du GIEC (The physical science basis, 2013), indique que la sensibilité se situe probablement dans une fourchette entre 1,5°C et 4,5°C.

Certaines périodes ont probablement été marquées par une sensibilité climatique encore moins importante. Les auteurs de l’article font aussi la comparaison avec une période plus froide qu’aujourd’hui, celle du dernier maximum glaciaire, marquée par une moyenne globale de 10°C. La sensibilité à un doublement de CO2 aurait été à cette époque de 2°C seulement.

Les résultats de l’étude montrent en outre que la quantité de carbone qui a conduit au réchauffement du PETM était équivalente au montant des réserves de combustibles fossiles accessibles aujourd’hui, soit environ 4 000 milliards de tonnes.

Le réchauffement qui résulterait de l’ajout de ces grandes quantités de carbone au système climatique pourrait atteindre jusqu’à 10 degrés. Actuellement, l’atmosphère actuelle contient beaucoup moins de CO2 – environ 400 ppm (parties par million) – qu’avant le PETM, où la concentration était d’environ 1000 ppm. Brûler tout le carbone disponible pourrait nous conduire à 2000 ppm.

Une étude parue Nature Climate Change en mai 2016 avait déjà alerté sur le risque d’un réchauffement plus important que prévu : la combustion de 5 000 milliards de tonnes de carbone augmenterait selon les modèles CMIP5 la température mondiale de 6,4 à 9,5°C (8,2 en moyenne), par rapport à l’ère préindustrielle. L’Arctique, qui se réchauffe déjà plus vite que le reste du monde, verrait les températures monter d’au moins 14,7°C, voire de 19,5°C dans le pire des cas. Le réchauffement serait  légèrement moindre que celui annoncé par l’institut Niels Bohr.

Au rythme actuel de 10 milliards de tonnes de carbone par an, il faudrait cependant des centaines d’années pour dépenser ce capital, même si le réchauffement est aujourd’hui beaucoup plus rapide qu’à l’époque du PETM. Il s’agirait donc d’un scénario cauchemar qui a  peu de chances de se réaliser, à moins que les émissions annuelles de gaz à effet de serre augmentent encore à l’avenir.

15 réponses »

  1. Bonjour Johan,

    Oui effectivement. Il s’agirait bien d’un scénario cauchemar ayant peu de chances de se réaliser, à moins que les émissions annuelles de gaz à effet de serre augmentent encore à l’avenir. Toutefois, il faut considérer qu’il existe des quantités colossales de méthane enfouies dans le pergélisol, en particulier en Sibérien et dans le grand nord Canadien et des hydrates de méthane (ou clathrates de méthane) enfouis dans les fonds marins des océans, notamment dans l’océan Arctique qui pourrait déclencher la fameuse bombe méthane tant redoutée par les océanographes et les climatologues. http://www.terresacree.org/methane.htm

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    • Bonjour Jacques,
      Les risques liés au permafrost pourraient changer la donne mais c’est encore très incertain, en effet.
      La présente étude indique cependant qu’avec un climat un peu plus chaud, imaginons dans les 16°C dans une cinquantaine d’années, la sensibilité climatique soit plus grande.

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  2. Oui, très intéressant article!

    La question qui me vient à l’esprit est: « pourquoi la sensibilité climatique augmente-t-elle lorsqu’il fait plus chaud? »
    Une réponse simple est que à mesure que les océans se réchauffent, ils peuvent absorber de moins en moins de CO2 (peut être est-ce pareil pour d’autres GES). Par conséquent, dans un monde plus chaud, les émissions de GES s’accumulent davantage dans l’atmosphère et le réchauffement est brutal.

    L’article évoque-t-il cet aspect?

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    • Pardon, je suis à côté de la plaque! La sensibilité étant définie comme la réponse du système climatique à un forçage radiatif constant, cela ne prend pas en compte les relargages des GES en réponse au réchauffement.

      Du coup, je m’interroge…

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      • Bonjour, l’article ne conclut pas sur les causes de la plus grande sensibilité mais constitue une nouvelle tentative de déterminer quelle est son ampleur en fonction de la température du globe.
        Maintenant, de nombreux facteurs pourraient entrer en ligne de compte. Le résultat c’est la hausse de température liée au CO2 mais pas les seuls effets directs puisqu’on parle du réchauffement une fois que les températures se sont stabilisées.
        En tous cas, c’est une bonne question, j’aimerais bien me renseigner là-dessus.

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        • Je tente une explication hasardeuse: comme vous le rappelez, la sensibilité est estimée par convention en calculant le réchauffement moyen après doublement de la concentration de CO2.

          Sauf que dans un monde déjà chaud initialement, donc avec à priori de fortes teneurs en CO2, un doublement signifie une hausse absolue importante. Alors que dans un monde initialement frais, avec de faibles teneurs en CO2, un doublement signifie une hausse absolue beaucoup plus faible. Par exemple, passer de 1000 à 2000 ppm implique des émissions supplémentaires 4 fois supérieures au passage de 250 à 500 ppm!

          N’est-il pas alors logique que la sensibilité climatique augmente dans un monde plus chaud? Puisqu’il faut des émissions massives de CO2 pour parvenir à un doublement?

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          • Je ne sais pas si c’est tant une question de logique qu’un problème de connaissance des « feedbacks » liés au carbone.
            Pour déterminer la sensibilité climatique dans un climat plus chaud, il faut pouvoir déterminer comment évolueront les nuages (grosse incertitude), la vapeur d’eau, l’albédo (couverture de glace notamment), la végétation, les océans.
            Renseignements pris, il semble que la vapeur d’eau puisse expliquer pourquoi un climat plus chaud comporte une plus grande sensibilité climatique…
            L’intérêt de ce genre d’étude, il me semble, vu les incertitudes concernant les rétroactions, est de voir concrètement ce qui s’est produit dans le passé.
            Cela n’est certainement pas le dernier mot sur cette question.

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  3. Bonjour, Ce que je retiens de cet article, c’est la résistance de la vie. C’est incroyable 30°C de température moyenne alors que l’on trouve catastrophique une augmentation de 1°C.
    Sait-on à quoi ressemblait la vie sur terre à cette époque?

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    • Bonjour,
      Il y a bien eu des périodes plus chaudes qu’aujourd’hui, en l’occurrence le Maximum thermique Paléocène-Eocène fut bien plus chaud… Il y a 56 MILLIONS d’années.
      Faut-il pourtant en déduire qu’un réchauffement d’un degré n’aurait aucune importance ?
      Non, car la hausse des températures a été bien plus lente au PETM qu’aujourd’hui, peut-être dix fois plus lente.
      Le monde était à l’époque très différent. La végétation et la faune ont eu le temps de s’adapter, ce qui risque de ne pas être le cas au cours du siècle à venir.
      Quand on parle d’adaptation, il s’agit de migration des espèces, de la disparition de certaines espèces et de l’évolution de leur taille notamment.
      Au PETM, le réchauffement s’est produit sur plusieurs dizaines de milliers d’années. Avec les émissions anthropiques on parle plutôt d’une centaine d’années ou un peu plus.
      Au PETM, la rétroaction des glaces a dû être moins importante – elles étaient quasiment inexistantes.
      Aujourd’hui, le réchauffement pourrait fortement et de manière assez rapide élever le niveau de la mer alors que des populations vivent dans des zones à risques.
      D’autres groupes humains vivent dans des régions déjà sèches et pourraient souffrir encore davantage de l’aridité.
      En outre, une étude a récemment montré qu’avec quelques degrés de plus, certaines régions du globe deviendraient inhabitables pour l’homme au Moyen-Orient.

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    • Bonsoir Jacques,
      J’ai lu l’article, merci. Le PETM a été marqué par un réchauffement catastrophique. Il aborde le rôle de l’érosion des roches, un processus extrêmement important dont le rôle a semble-t-il été sous-estimé jusqu’à récemment. Malheureusement, il s’agit d’un processus à très long terme. Le réchauffement actuel, très rapide, ne pourra être compensé par ce phénomène d’érosion des roches.

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