Climat

L’extension de la glace de mer de l’Antarctique liée aux oscillations du Pacifique

D’après une nouvelle étude, la phase négative de l’oscillation interdécennale du Pacifique, une fluctuation naturelle marquée par un refroidissement de l’est du Pacifique, explique l’extension progressive de la glace de mer autour de l’Antarctique depuis les années 2000. Une phase positive, peut-être déjà engagée, pourrait cependant inverser la tendance dans les prochaines années.

Avec la pause climatique des années 2000, l’extension de la glace de mer autour de l’Antarctique est l’une des grandes énigmes qui agitent les climatologues. Des études récentes suggèrent qu’un seul et même responsable est peut-être derrière ces deux phénomènes inattendus.

Ce coupable est l’Oscillation interdécennale du Pacifique (ou IPO pour Interdecadal Pacific Oscillation), un mode majeur de variabilité naturelle des températures de surface de la mer dans le Pacifique. Sur des périodes de quinze ans environ, le Pacifique se réchauffe tantôt à l’est, tantôt à l’ouest, tandis que des régions Pacifique Sud et Nord connaissent dans le même temps un refroidissement (ou un réchauffement, selon la phase). On peut voir ci-dessous la version positive de l’IPO (une phase négative donnerait des anomalies inversées dans les zones encadrées 1, 2 et 3).

Phase positive de l'oscillation interdécennale du Pacifique (IPO). Source : NOAA.

Phase positive de l’oscillation interdécennale du Pacifique (IPO). Source : NOAA.

La phase négative de l’IPO a contribué de manière nette au ralentissement du réchauffement climatique dans les années 2000. L’IPO négative s’accompagne d’un renforcement des alizés, des vents d’est qui enfouissent la chaleur de l’atmosphère dans l’océan. Mais ce n’est pas tout : d’après une nouvelle étude parue dans Nature Geoscience, l’oscillation a aussi eu un impact majeur autour de l’Antarctique, où la glace de mer a progressivement vu son étendue augmenter depuis la fin des années 1990, avec même des niveaux record en 2013 et 2014. Une évolution à l’opposé de la tendance relevée au même moment en Arctique, où la baisse a été extrêmement rapide.

Les auteurs de l’article emmenés par Gerald Meehl, l’un des principaux contributeurs des rapports du GIEC, affirment que le facteur décisif a bien été l’Oscillation interdécennale du Pacifique, un phénomène climatique naturel. Passé d’une phase positive à négative à la fin des années 90, il a donc été marqué par un refroidissement à la surface de la mer dans l’est du Pacifique tropical (et un réchauffement à l’ouest).  Une autre conséquence majeure a été le renforcement de la  dépression de la mer d’Amundsen, qui a modifié la circulation atmosphérique dans la région de la mer de Ross et favorisé l’expansion de la glace de mer.

Antarctique (source : Landsat Image Mosaic of Antarctica team - NASA)

Antarctique (source : Landsat Image Mosaic of Antarctica team – NASA)

Les auteurs de l’étude ont observé la réponse des modèles liée à la phase négative de l’Oscillation interdécennale du Pacifique. Dans les modèles climatiques, cette IPO est caractérisée par des anomalies similaires à ce qui a été observé depuis 2000. Quand ils simulent une IPO négative, les modèles prévoient les mêmes modifications de pression atmosphérique et de régime des vents que dans la réalité. Avec le renforcement de la dépression de la mer d’Amundsen, l’extension de mer est grandement favorisée, particulièrement dans la région de la mer de Ross, et cela lors de toutes les saisons.

La modification de la circulation atmosphérique est conduite par l’évolution des précipitations et de la chaleur par convection liées à l’oscillation interdécennale du Pacifique dans l’est du bassin océanique. Lorsque la chaleur s’accumule dans la partie orientale du Pacifique, la circulation atmosphérique s’en trouve affectée jusqu’en Antarctique. La zone de convergence du Pacifique et la zone tropicale de l’Atlantique sont aussi impliqués, mais dans une moindre mesure, ont découvert les auteurs de l’étude.

Déferlement d'ondes de Rossby émanant du réchauffement du Pacifique (en bleu, au centre du Pacifique) avec zones de hautes pressions et de basses pressions qui se s

Déferlement d’ondes de Rossby émanant du réchauffement du Pacifique (en bleu, au centre du Pacifique) avec zones de hautes pressions (cercles bleus) et de basses pressions (cercles rouges) qui se succèdent jusqu’en Antarctique. Source : Cai et al., 2011.

Maintenant, il reste à savoir si la dépression de la mer d’Amundsen promue par les variations de l’IPO explique totalement l’ampleur des fluctuations de la glace de mer. D’après une étude de l’Université de Washington et du Massachusetts Institute of Technology, publiée cette année, l’Antarctique est refroidit par une tendance de fond qui va au-delà des variations de l’IPO. C’est probablement dans cette région que le changement climatique se fera le plus tardivement sentir. Les eaux entourant l’Antarctique ne sont pas autant réchauffées que le reste du globe. Les courants océaniques seraient la cause principale de cette anomalie affectant le pourtour du continent blanc, d’après les auteurs de cette étude.

Les données paléoclimatiques montrent pourtant que l’Océan Austral peut subir lui aussi un réchauffement considérable. Mais cela pourrait prendre beaucoup plus de temps qu’au nord : il faudrait des centaines d’années pour que cette eau issue des profondeurs ne se réchauffe à son tour. D’après cette étude, les observations et les modèles climatiques montrent que les courants autour de l’Antarctique apportent sans cesse de l’eau profonde et « ancienne » jusqu’à la surface. Or il s’avère que cette eau de mer n’a jamais été en contact avec l’atmosphère terrestre réchauffée par les combustibles fossiles.

Anomalies de températures ces 50 dernières années. Source : Kyle Armour/University of Washington.

Anomalies de températures ces 50 dernières années. Source : Kyle Armour/University of Washington.

La force des vents d’ouest qui balaye constamment le pourtour de l’Antarctique pousse l’eau de surface vers le nord, tirant en permanence l’eau située en-dessous. Cette eau vient de grandes profondeurs, et à partir de sources très éloignées… Il faut des siècles avant que l’eau atteignant la surface ne connaisse le réchauffement climatique moderne. On peut imaginer que la dépression d’Amundsen renforcée par l’IPO négative ne fait qu’amplifier le phénomène.

D’autres scientifiques se sont déjà penchés sur le rôle des vents autour de l’Antarctique. On savait déjà qu’ils s’étaient sans doute renforcés à la faveur d’un phénomène appelé oscillation de l’Antarctique. Ce mouvement décrit le déplacement nord-sud de la ceinture de vents d’ouest qui entoure le continent. Elle s’éloigne ou se rapproche du continent glacé selon qu’elle est dans une phase positive ou négative.

L’oscillation naturelle dépend de la pression atmosphérique mais plusieurs études ont récemment montré que les activités humaines, qui ont conduit à la destruction de la couche d’ozone et aux émissions de CO2, avaient favorisé le déplacement de cette oscillation vers le sud.

Les aérosols émis massivement au 20è siècle ont détruit une part importante de la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique, exposant davantage la surface de la Terre aux rayons ultraviolets. La réduction de l’ozone stratosphérique s’est aussi accompagnée d’un refroidissement de la haute couche de l’atmosphère. Ce phénomène aurait renforcé la ceinture de vents d’ouest qui encercle l’Antarctique.

Une autre cause possible du refroidissement en surface pourrait être lié à l’extension de la glace de mer et à la fonte des plateformes de glace. L’eau de fonte libérée par les plateformes de glace (les extensions des glaciers qui reposent sur l’eau) est en effet plus douce que l’eau de mer et moins susceptible de plonger. Selon Richard Bintanja, du Royal Netherlands Meteorological Institute (KNMI), le réchauffement des eaux profondes de l’Océan Austral, augmenterait la fonte par le dessous des plateformes de glace et favorisait le maintien d’une couche d’eau froide et peu salée en surface, plus susceptible de geler.

 Comme au milieu des années 70, toutes les conditions semblent aujourd’hui réunies pour une évolution positive de l’IPO. Nous pourrons dont prochainement vérifier si les prévisions de Gerald Meehl et de ses coauteurs sont correctes. En juin dernier, Gerald Meehl avait présenté une étude annonçant l’émergence d’une IPO positive. Avec des températures au-dessus des normales dans l’est du Pacifique, la tendance serait donc à l’opposé de celle observée dans les années 1998-2012. Les derniers relevés de glace de mer autour de l’Antarctique indiquent que l’étendue est revenue à des niveaux moyens après les extensions record observées en 2013 et 2014.

4 réponses »

  1. Bonjour Johan,

    Une nouvelle étude, malheureusement en accès restreint, qui confirme la relation régionale entre les évènements ENSO et d’une part la fonte basale des plateforme de glace cotoyant la mer d’Admunsen mais aussi du manteau neigeux qui ne compense pas cette perte.
    https://phys.org/news/2018-01-reveals-strong-el-nino-events.html

    Tout peut indiquer que ce système d’échange thermique est perturbé par un apport toujours supérieur de chaleur que cette partie du continent ne peut dissiper. Et bien entendu que les océans enfouissent et transportent bien plus de chaleur que l’atmosphère.

    Quelques images trouvées pour m’aider à revisualier cette plateforme d’échanges :

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