Climat

Des réactions en chaîne qui menacent la calotte du Groenland

Des scientifiques ont découvert comment des lacs d’eau de fonte se vidaient au Groenland selon un processus de réaction en chaîne. Les lacs qui s’écoulent vers le socle rocheux produisent des fractures qui peuvent drainer d’autres lacs aux alentours, avec un risque accru de lubrification de la base des glaciers. Un phénomène susceptible d’accélérer le glissement des glaciers vers l’océan.

Un lac supraglaciaire est une étendue d’eau à la surface d’un glacier. Chaque été, des milliers de lacs de ce type se forment sur l’inlandsis du Groenland. Ils peuvent se vider rapidement quand des crevasses se forment. La crainte est qu’ils ne favorisent une perte de la résistance basale des glaciers et une accélération de leur mouvement vers la mer. La calotte du Groenland est loin d’être immobile. En été, le réchauffement fait fondre la glace en surface, ce qui provoque l’apparition de lacs. Ces derniers transportent ensuite l’eau fondue vers le sol rocheux. Ce phénomène tend à lubrifier la base de la calotte de glace et à faciliter son déplacement.

Jusqu’à présent, on pensait que les lacs qui se forment à haute altitude sur la calotte glaciaire du Groenland n’avaient qu’un potentiel limité pour influencer le flux de la calotte glaciaire. D’après le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, les eaux de fonte superficielles, bien qu’abondantes, n’affectent pas le débit de la calotte glaciaire.

Une nouvelle étude publiée dans Nature Communications montre cependant que les événements de drainage au Groenland pourraient ne pas être des incidents isolés. Des scientifiques de l’Université de Cambridge affirment que ces lacs forment un vaste réseau et deviennent de plus en plus interconnectés avec le réchauffement.

Fonte à la surface du Groenland. Crédit: Michael Studinger, NASA GSFC, 2008.

Quand un lac s’écoule vers la base de la calotte de glace, l’eau peut se répandre très rapidement. L’écoulement provoque une perte de friction à la base du glacier et génère des forces qui atteignent la surface de la calotte. C’est le point clé. La déstabilisation de la glace ouvre de nouvelles fractures et ces crevasses agissent comme des conduits pour le drainage d’autres étendues d’eau. La réaction en chaîne peut drainer de nombreux lacs, jusqu’à 80 kilomètres de distance.

Les lacs situés dans des bassins stables le long de ce sentier s’écoulent lorsque la perte de friction le long du lit transfère temporairement des forces à la surface de la calotte glaciaire, provoquant l’ouverture de fractures sous d’autres lacs, qui se vident à leur tour.

Modèle conceptuel pour le drainage par réaction en chaîne des lacs supraglaciaires. Source : Poul Christoffersen (Nature Communications, 2018).

Les lacs supraglaciaires commencent généralement à se former à la fin du mois de mai. La tendance est à l’extension et à la multiplication de ces étendues d’eau depuis 2000. Les lacs se forment jusqu’à l’intérieur des terres, à des altitudes atteignant 2000 m au-dessus du niveau de la mer et à 130 km de l’océan. Toute la question est de savoir si ces lacs risquent d’augmenter l’écoulement de l’eau de fonte vers la mer.

Les auteurs de l’étude ont utilisé un modèle 3D d’écoulement de la glace pour mieux comprendre les images satellites de l’inlandsis du sud-ouest du Groenland et étudier le risque de réaction en chaîne. Les scientifiques ont constaté que ces événements en cascade peuvent temporairement accélérer le débit de glace de 400%, ce qui rend la calotte moins stable et augmente la vitesse d’élévation du niveau de la mer.

À mesure que l’eau s’écoule, elle déstabilise les régions voisines. De nouvelles fissures se forment, de nouveaux lacs se vident et la réaction s’intensifie. Dans l’un des cas observés, les chercheurs ont constaté que 124 lacs avaient été drainés en seulement cinq jours. Même les lacs qui se sont formés à l’intérieur des terres, que l’on croyait trop éloignés, se sont révélés vulnérables lorsque de nouvelles fissures se sont formées.

Ce réseau croissant de lacs de fonte menace à long terme de la calotte glaciaire du Groenland. Cette dernière était relativement stable il y a 25 ans mais elle perd aujourd’hui un milliard de tonnes de glace chaque jour. Cela cause un millimètre d’élévation globale du niveau de la mer par an, un taux qui est beaucoup plus rapide que ce qui avait été prévu il y a seulement quelques années.

Depuis une quinzaine d’années, le Groenland perd environ 200 Gt / an. Un répit a été avec observé en 2017 petite augmentation de 44 Gt. De récentes études ont montré que le Groenland était plus vulnérable qu’on ne le pensait.  Depuis le début des mesures GRACE en 2002, la perte la plus importante a été constatée en 2012-2013 avec 562 Gt. Le Groenland contribue davantage que l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer. Selon le dernier rapport du GIEC, la contribution du Groenland sera ainsi passée de 0,09 mm par an entre 1992 et 2001 à 0,59 mm par an entre 2002 et 2011. Celle de l’Antarctique sera passée de 0,08 mm à 0,40 mm sur les mêmes période.

Graphique montrant le bilan masse total de l’inlandsis groenlandais.
La carte montre les derniers changements de masse dérivés des données des satellites GRACE. Source : Polar Portal.

La calotte de glace occupe 85% du Groenland, une île grande comme 3 fois la France. L’épaisseur moyenne de la calotte est de 2,3 km. Une fonte totale se traduirait par une élévation du niveau de la mer de 7 mètres.

D’après une étude du Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) publiée en mars 2012 dans la revue Nature Climate Change, le seuil pour une fonte complète du Groenland serait d’environ 1,6°C par rapport au niveau préindustriel. Une fonte totale prendrait cependant beaucoup de temps. Il faudrait pour cela au minimum 2000 ans, d’après le PIK, pour qu’une fonte totale intervienne dans un scénario de poursuite des émissions de gaz à effet de serre.

67 réponses »

    • Phil, on vous le répète : le phénomène n’est absolument pas linéaire et le système comporte des seuils auxquels des boucles de rétroaction se mettent en place. Ça peut donc évoluer par paliers/bonds, par accélérations/décélérations, par arrêts brutaux, etc.

      Si les modélisation au doigt mouillé de ces vendus de scientifiques (en poussant le trait du fond de votre pensée) ne peuvent pas grand chose et se gourent quantitativement, l’attentisme consiste surtout à saisir une véritable occasion pour réagir à l’opposé et prouver qu’il y a fausse route complète. Pour le moment, ça ne se refroidit pas du tout. Et beaucoup de décideurs (mettons tout ce qui est très proche de l’agro-industrie, vous devinerez pourquoi quand 10 milliard de clients sont attendus) ont besoin de ces projections pour savoir ce qu’il est nécessaire de faire aujourd’hui pour éviter de s’en prendre encore plus dans la tronche demain, à moyen terme, avec la tendance actuelle ; tout en n’ayant que des impacts limités pour leurs bourses s’il y a surestimation des effets. Pas de suivre l’exemple confortable intellectuellement de l’attente. C’est une chose qu’il faut intégrer en fond dans votre sujet.

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