Climat

Sensibilité climatique : vers une réconciliation entre observations et modèles

La sensibilité climatique traduit par convention l’augmentation de la température de la surface de la Terre liée à un doublement des niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Les estimations de la sensibilité climatique, selon les approches, vont de 1,5°C à 4,5°C. Une nouvelle étude réconcilie les différentes méthodes utilisées par les climatologues.

Quelle est la sensibilité du système climatique terrestre au CO2 atmosphérique ?  A cette question, le dernier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)  répondait qu’elle se situait dans une fourchette de 1,5°C à 4,5°C pour un doublement de la concentration de CO2.

Certaines estimations basées sur le bilan énergétique du système climatique actuel penchent plutôt vers la fourchette basse du GIEC, environ 1,6 à 2°C. D’un autre côté, les modèles climatiques plaident pour une sensibilité d’environ 3°C. Les données paléo montrent que la sensibilité pourrait être encore plus grande quand des rétroactions lentes auront joué.

Il y a donc une incertitude quant à la valeur de la sensibilité climatique, selon que l’on se base sur les conditions actuelles, les modèles ou encore les données paléoclimatiques. Les processus évolutifs inclus dans les modèles climatiques ne sont pas pris en compte par les observations actuelles pour évaluer le réchauffement futur.

On sait pourtant que de nombreux processus influent sur la valeur de la sensibilité climatique, notamment l’impact des nuages, la vapeur d’eau atmosphérique et les modifications de l’albédo de la surface de la Terre lorsque la neige et la glace fondent.

Ces processus se produisent à différentes échelles de temps : par exemple il ne faut que quelques jours pour que la vapeur d’eau augmente dans l’atmosphère, mais plus de temps pour faire fondre les surfaces glacées.

Précisions au passage que le comportement des nuages dans un contexte de réchauffement reste l’une des principales incertitudes. La réponse climatique peut être très variable car les nuages ont des propriétés très différentes selon leur composition, leur hauteur ou leur localisation.

Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Earth’s Future, Philip Goodwin, (Université de Southampton) utilise les simulations de modèles climatiques pour traiter chacun des forçages séparément et montrer comment leur prise en compte joue sur le calcul de la sensibilité climatique.

La figure ci-dessous montre la fourchette du GIEC (IPCC 2013), deux estimations de la sensibilité au climat établies à partir des observations actuelles en gris foncé (Lewis & Curry, Otto et al.) et deux estimations à plus long terme, établies à partir de modèles ou de paléo-données en gris clair (Cox et al., Goodwin et al.). Les lignes colorées montrent les estimations de l’étude de Phil Goodwin basées sur la prise en compte isolée des différents facteurs, qui jouent à plusieurs échelles de temps (10-1 pour 0,1 an, 10pour 1 an, 10pour 10 ans, 10pour 100 ans).

ECS diverses estimations - copie

Estimations de la sensibilité climatique (°C) tirées de plusieurs études (noir et gris) étudiés sur plusieurs échelles de temps de réponse allant de 10-1 à 102 ans (couleurs). Les points sont les meilleures estimations (en utilisant la médiane des distributions pour cette étude); les lignes pleines épaisses représentent 66% de probabilité et les lignes pointillées 95% de probabilité. Source : Phil Goodwin/Earth’s Future.

 

La meilleure estimation de la sensibilité climatique serait de 2,1°C (avec une incertitude allant de 1,6 à 2,8°C) en prenant en compte les facteurs qui jouent sur des échelles de temps annuelles (100). Cependant, la sensibilité climatique augmenterait à 2,9°C (allant de 1,9 à 4,6°C) quand on prend en compte les rétroactions à l’échelle du siècle (102).

Imaginons que la Terre subisse un doublement du CO2 à un moment t, puis que le CO2 reste constant à ce niveau doublé par la suite. Il y aurait alors déjà un effet immédiat : ce que l’on appelle la sensibilité de Planck nous dit que l’augmentation brute de la température sera alors de 1,2°C environ.

Par la suite jouent des rétroactions comme la vapeur d’eau, le gradient vertical de température, les nuages et l’albédo.

Deux facteurs entraînent cependant un retard du réchauffement de la surface. Premièrement, le système met un certain temps à chauffer, en particulier l’océan, qui a une très grande capacité calorifique.

Deuxièmement, les processus de rétroaction qui déterminent la valeur de la sensibilité au climat à l’équilibre mettent du temps à se manifester.  Une estimation de la sensibilité climatique réalisée avant que les processus de rétroaction aient le temps de réagir pleinement sous-estimerait le résultat final.

C’est ainsi que Phil Goodwin explique pourquoi certaines estimations de la sensibilité au climat sont plus basses que d’autres. Il est possible d’estimer la sensibilité climatique à l’équilibre à partir d’observations du réchauffement et du forçage radiatifs actuels, en tenant compte de l’impact de l’absorption de la chaleur par les océans. Ces estimations basées sur le bilan énergétique du système climatique présent tablent, on l’a dit, vers la fourchette basse du GIEC, environ 1,6 à 2°C.

Etant donné que les processus de rétroaction continuent à augmenter avec le temps, les valeurs de sensibilité climatique estimées à l’aide de la méthode basée sur les conditions actuelles pourraient bien être inférieures à la sensibilité climatique réelle observée dans 100 ans.

La figure ci-dessous montre que les estimations actuelles de la sensibilité du climat sont inférieures aux estimations à long terme parce que la sensibilité du climat augmente avec le temps, à mesure que différentes rétroactions entrent en jeu.

ECS response timescale - copie

L’évolution limitée de la sensibilité climatique sur plusieurs échelles de temps de réponse. Source : Phil Goodwin/Earth’s Future.

Les résultats concernant la sensibilité au climat sur des échelles de temps de réponse courtes sont cohérentes avec les résultats précédents tablant sur 1,6 à 2°C.

A plus long terme, l’étude trouve une sensibilité climatique de 2,9°C pour un doublement de la concentration de CO2 à l’horizon du siècle, avec un intervalle de 66% compris entre 2,3 et 3,6°C.

On peut voir ci-dessous les réponses aux différentes échelles de temps, pour lesquelles la sensibilité du climat doit prendre en compte des paramètres supplémentaires.

Echelle de temps Sensibilité climatique moyenne Sensibilité climatique (66% de probablité) Sensibilité climatique (95% de probablité)
0.1 an 1.9 °C 1.7 à 2.2 °C 1.5 à 2.6 °C
1 an 2.1 °C 1.8 à 2.4 °C 1.6 à 2.8 °C
10 ans 2.4 °C 2.1 à 2.9 °C 1.8 à 3.4 °C
100 ans 2.9 °C 2.3 à 3.5 °C 1.9 à 4.6 °C

Ainsi, l’étude suggère que les différentes estimations antérieures de la sensibilité du climat ne sont pas nécessairement incohérentes mais reflètent simplement différentes échelles de temps de réponse.

D’après une étude de l’Institut Niels Bohr publiée en 2016, la sensibilité du climat aurait été plus élevée au cours des périodes chaudes passées que lors du climat actuel et des périodes glaciaires. Une manière de dire que le carbone risque d’avoir encore plus d’impact lorsque les températures auront augmenté. Ce qui tendrait à confirmer les résultats de l’étude de Phil Goodwin dans Earth’s Future.

Sensibilité du climat

Sensibilité du climat à différentes périodes. LGM : dernier maximum glaciaire ; MD : période moderne ; LP : fin du Paléocène ; PETM : Maximum thermique du Paléocène-Eocène. Source : Shaffer et al.

Il faut aussi dire que d’autres processus modifieront encore la rétroaction et la sensibilité au climat à plus longue échéance : cycle du carbone ; rétroaction d’albédo liée à la fonte des calottes glaciaires qui risque de s’étendre sur des dizaines de milliers d’années. Si le réchauffement futur est beaucoup plus élevé que celui observé pour les interglaciaires passés, le dégagement de carbone du permafrost pourrait aussi amplifier la hausse des températures.

Les observations paléoclimatiques et les résultats des modèles diffèrent donc à l’échelle du centenaire au millénaire. Les chercheurs ont jusqu’à présent pu constater que les données paléo suggéraient une hausse des températures et une élévation du niveau de la mer plus importantes que les modèles.

Par conséquent, la contrainte sur la sensibilité climatique pour une échelle de temps de réponse de 102 ans présentée dans l’étude parue dans Earth’s Future ne doit pas être considérée comme une sensibilité climatique finale mais fait partie d’une évolution en cours de la sensibilité climatique sur plusieurs échelles de temps.

 

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5 réponses »

  1. Très intéressant article. De ce que j’ai pu lire ailleurs, deux causes pourraient être à l’origine d’une sensibilité climatique au CO2 de plus en plus importante à mesure que la température augmente:

    -l’existence d’un effet de serre négatif au dessus de l’Antarctique (j’en ai parlé récemment: https://www.nature.com/articles/s41612-018-0031-y). À cause de l’inversion de température qui caractérise cette région la majeure partie de l’année, le CO2 et surtout la vapeur d’eau de la couche radiative supérieure émettent plus d’énergie que le sol, favorisant une perte nette d’énergie dans l’espace. Mais avec plus de CO2 et un réchauffement mondial (qui touche aussi l’Antarctique à cause des courants océaniques et marins), cette inversion devrait diminuer en intensité et en durée à cause du réchauffement au sol combiné à une remontée en altitude de la couche radiative supérieure. D’où, un effet de serre local de plus en plus positif et donc un effet de serre global accru. En clair, le CO2 et l’eau deviennent des gaz à effet de serre d’autant plus efficaces que la température augmente.

    -le fait que la pression de vapeur saturante en eau ps augmente exponentiellement avec la température t: ps = (T/100)^4 si j’en crois wikipedia. Donc, dans des zones désertiques froides (pôles et haute troposphère) où le CO2 assurait seul jusque là l’effet de serre, j’imagine que l’eau va jouer un rôle de plus en plus important. Du coup, la rétroaction à la vapeur d’eau est de plus en plus forte à mesure que le forçage au CO2 (donc la température) augmente.

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    • Merci Maignial,
      L’étude que vous mettez en lien, dans le chapitre « Discussion », envisage un retournement de tendance en Antarctique, avec une possibilité d’évolution comparable à l’Arctique. Tout à la fin de l’étude rappelle d’ailleurs que les modèles prévoient un fort réchauffement de l’Antarctique dans la seconde moitié du 21e siècle.

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  2. Je n’ai pas eu le temps et le courage de regarder ce qu’il y a dans de ce document très technique, mais l’impact de l’inertie thermique des océans semble mal estimée (l’O₂ et le CO₂ relargué comme mandataire de l’énergie emmagasinée), et la fourchette de se situer plutôt entre 2°C et 4.5°C.

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  3. Et l’impact des gaz contenus au fond des océans, qui commence à se libérer du fait de cette augmentation de température planétaire, ne risque t’il pas d’augmenter encore la fourchette indiquée ? (La valeur basse à 100 ans me semble faible)

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