Climat

Record de chaleur pour les océans en 2018

Le contenu en chaleur  des océans a atteint un niveau record en 2018, dépassant celui de 2017, qui avait été l’année la plus chaude jamais enregistrée auparavant. Un article publié dans le magazine Science montre que les progrès réalisés dans la reconstitution des températures confirment l’accélération du réchauffement depuis les années 1990.

D’après une analyse publiée en janvier 2019 par Lijing Cheng, John Abraham, Zeke Hausfather et Kevin E. Trenberth, les progrès réalisés dans l’observation des océans montrent clairement une tendance au réchauffement.

Grâce au système d’observation appelé Argo initié en 2005, des flotteurs ont permis de mesurer avec davantage de précision le réchauffement de l’océan. En outre, la qualité des données océaniques anciennes a été améliorée et il existe des méthodes à la fois meilleures et indépendantes qui tiennent compte de la rareté des données océaniques avant l’ère Argo.

Le changement du contenu en chaleur des océans (OHC pour Ocean Heat Content) est l’un des meilleurs, sinon le meilleur, indicateur du changement climatique, d’après Lijing Cheng et ses coauteurs. En raison de sa grande capacité calorifique et de son volume énorme, la capacité de l’océan à stocker la chaleur est bien plus importante que celle des autres composants du système terrestre. 93% environ du surplus de chaleur est absorbé par les océans : c’est donc là que le déséquilibre énergétique peut se mesurer avec le plus d’acuité.

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Anomalie annuelle moyenne du contenu calorifique de l’océan en 2018 par rapport à la période de référence 1981-2010. Source : Lijing Cheng.

Pour déterminer à quelle vitesse le globe accumule de la chaleur, les scientifiques étudient le déséquilibre énergétique de la Terre, la différence entre le rayonnement solaire entrant et le rayonnement sortant à grande longueur d’onde. Cet équilibre a été perturbé par l’augmentation des gaz à effet de serre qui piègent davantage d’énergie dans le système climatique. Il y a donc depuis plusieurs décennies un déséquilibre.

Ce surplus de chaleur disponible dans le système climatique se manifeste à bien des égards : augmentation de la température à la surface des terres et des mers, augmentation du contenu en chaleur de l’océan, élévation du niveau de la mer, fonte des calottes de glace et du pergélisol, modification du cycle hydrologique, modification de la circulation atmosphérique et océanique. Ces symptômes du réchauffement climatique sont tous observables, mais c’est dans l’océan que les changements sont les plus significatifs.

L’année 2018 a établi un nouveau record pour le contenu en chaleur des océans, dépassant 2017,  le précédent record. Sur la base d’une nouvelle mise à jour de l’Institut de physique de l’atmosphère (IAP), l’anomalie de chaleur totale entre 0 et 2000 mètres a été de 19,67 ± 0,83 × 1022 joules en 2018, par rapport à la période de référence 1981 – 2010. Et les 10 dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées… Voici donc ci-dessous le top 10 des années les plus chaudes dans l’océan :

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Les 10 années les plus chaudes de l’océan depuis 1958. Anomalies de l’OHC dans les 2000 m supérieurs (unités: 1022 joules) par rapport à la moyenne 1981-2010. D’après : Lijing Cheng – IAP.

Le réchauffement des océans se poursuit et accélère même depuis les années 1990. Le réchauffement concerne quasiment tous les bassins du globe.  Cette augmentation du contenu en chaleur des océans est une preuve irréfutable du réchauffement climatique, d’après les scientifiques. L’augmentation des températures entraîne en outre une dilatation thermique de l’eau et une élévation du niveau de la mer, qui peut également être vérifiée. L’augmentation du contenu en chaleur de l’océan (19,67 ± 0,83 × 1022 J) a entraîné une élévation moyenne du niveau de la mer de 29,5 mm au-dessus de la moyenne de 1981-2010. Cela représente une élévation de 1,4 mm au-dessus de 2017.

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Evolution du contenu en chaleur de 1960 à 2015 pour différents bassins océaniques.(A) Pour 0 à 2000 m, (B) 0 à 700 m et (C) 700 à 2000 m. Toutes les séries chronologiques sont relatives à la période de base 1997-1999 et lissées sur 12 mois. Les courbes sont additives et les modifications apportées par l’OHC dans différents bassins océaniques sont ombrées de différentes couleurs. Source : Cheng et al (Science Advances 2017).

Le réchauffement de l’océan est beaucoup moins affecté par la variabilité interne et est donc mieux adapté pour détecter et attribuer les influences humaines que les températures de surface. Ces dernières montrent une tendance claire au réchauffement également mais sont davantage influencées à l’échelle interannuelle par des phénomènes comme El Niño .

Les observations montrent une réchauffement important des océans ces dernières décennies. Ce réchauffement a contribué à l’augmentation de l’intensité des précipitations, à l’élévation du niveau de la mer, à la destruction des récifs coralliens, à la baisse des niveaux d’oxygène dans les océans, et à la réduction des calottes glace. Les estimations récentes du réchauffement observé sont similaires à celles des modèles, indiquant que les modèles projettent de manière fiable les changements de l’OHC.

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Evolution du contenu en chaleur de l’océan. Anomalies de l’OHC dans les 2000 m supérieurs (unités: 1022 joules) par rapport à la moyenne 1981-2010. D’après : Lijing Cheng – IAP.

Les dernières analyses permettent de réconcilier modèles et observations. Le rapport du GIEC sur les changements climatiques, publié en 2013, comprenait cinq séries chronologiques différentes de l’OHC pour les 700 premiers mètres de l’océan. Mais les changements tirés des observations étaient à l’époque moindres que ceux projetés par la plupart des modèles climatiques sur la période allant de 1971 à 2010.

Depuis lors, la communauté scientifique a fait des progrès substantiels dans la mesure de l’OHC et a identifié plusieurs sources d’incertitude dans les mesures et les analyses antérieures. Depuis le dernier rapport du GIEC, les principales sources d’erreur ont été identifiées.

Une étude publiée en 2018 par Laure Resplandy (Université de Princeton) avait utilisé une toute nouvelle approche pour estimer les changements du contenu en chaleur de l’océan en fonction de la quantité d’oxygène et de CO2 libérée par les océans.

Plusieurs études ont ainsi tenté récemment d’améliorer les méthodes utilisées pour rendre compte des lacunes spatiales et temporelles dans les mesures de la température des océans. Lijing Cheng propose pour sa part une nouvelle solution pour combler les lacunes : les modèles lui permettent d’utiliser les informations dans les régions riches en données pour combler celles qui sont plus pauvres en observations.

Lijing Cheng et ses coauteurs ont utilisé les données du réseau de 3 500 flotteurs Argo qui mesurent la température et la salinité des océans à une profondeur de 2 000 mètres. Ces flotteurs sont maintenant largement déployés dans les océans du monde. Les données ont aidé les scientifiques à corriger et valider les relevés de température à partir de mesures plus anciennes et moins fiables, ainsi qu’à combler les lacunes géographiques et temporelles.

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Déploiement des flotteurs Argo dans l’Océan Austral. Source : Alicia Navidad/CSIRO.

Les récentes estimations de l’OHC basées sur des observations montrent des changements très cohérents depuis la fin des années 1950. Le réchauffement est notamment plus important sur la période 1971-2010 que ce qui est rapporté dans les observations du dernier rapport du GIEC. La tendance de l’OHC pour les 2000 premiers mètres dans l’AR5 variait de 0,20 à 0,32 Wm -2 pendant cette période.

Trois estimations récentes qui couvrent le même période suggèrent un réchauffement au taux de 0,36 ± 0,05, 0,37 ±0,04 et 0,39 ± 0,09 W m − 2. Et quatre études récentes montrent que le taux de réchauffement de l’océan pour les 2000 m supérieurs a accéléré depuis 1991 à 0,55 – 0,68 W m − 2.

Au vu de l’augmentation quasi contenue du contenu en chaleur des océans, il est de plus en plus clair que la « pause » dans le réchauffement de surface au début du XXIe siècle était en partie dû à la redistribution de la chaleur de la surface vers les profondeurs de l’océan. L’OHC s’est accéléré depuis la fin des années 1990. Cette constatation réfute le concept d’un ralentissement du réchauffement climatique induit par l’homme au début des années 2000.

Comment donc y a-t-il eu un ralentissement de l’élévation de la température de l’air sur la période 1998-2013 ? L’hypothèse principale est que cette température de surface a été modulée par la variabilité naturelle générée à proximité de l’interface air-mer, telle que l’Interdecadal Pacific Oscillation (IPO) ou l’Oscillation décennale du Pacifique (PDO) dans l’océan Pacifique. Des études ont montré que le Pacifique tropical était le principal responsable, car les vents alizés plus forts sur le Pacifique central et oriental ont augmenté la remontée d’eau froide dans le Pacifique oriental tropical, ce qui a refroidit la surface de la mer et augmenté la pénétration de l’eau chaude sous la surface de l’océan.

Le déploiement du réseau Argo au début des années 2000 a permis une meilleure couverture et une réduction des incertitudes. Au cours de la période 2005-2017, dans les 2000 premiers mètres, le taux de réchauffement linéaire pour la moyenne d’ensemble des modèles CMIP5 est de 0,68 ± 0,02 W m -2, alors que les observations donnent des taux de 0,54 ± 0,02 (Cheng, la présente étude) ; 0,64 ± 0,02 (Domingues) et 0,68 ± 0,60 Wm − 2 (Resplandy) dans trois études récentes. Ces nouvelles estimations suggèrent que les modèles dans leur ensemble sont fiables pour les changements du contenu en chaleur de l’océan.

Il faut ajouter que le contenu en chaleur entre 0 et 2000 mètres ne montre pas tout le déséquilibre énergétique. De 1960 à 2015, 36,5% de l’énergie a été absorbée entre 0 et 300 mètres, 20,4% entre 300 et 700 m, 30,3% entre 700 et 2000 m et 12,8% sous 2000 m. Pour calculer le déséquilibre énergétique total, il faut donc ajouter aux chiffres de 0 – 2000 m le réchauffement sous les 2000 m. Il faut aussi prendre en compte l’énergie absorbée par les autres composantes du système climatique, (7% du total, étant donné que l’océan absorbe 93% de l’énergie).

Les estimations récentes (OHC et TOA) montrent que le déséquilibre énergétique a varié entre 0,5 et 1 W m − 2 au cours de la dernière décennie.

Sources :

How fast are the oceans warming ? – Science – Lijing Cheng, John Abraham, Zeke Hausfather et Kevin E. Trenberth

2018 Continues Record Global Ocean WarmingAdvances in Atmospheric Sciences – Lijing Cheng, Jiang Zhu, John Abraham, Kevin E Trenberth, John T Fasullo, Bin Zhang, Fujiang Yu, Liying Wan, Xingrong Chen, Xiangzhou Song

Improved estimates of ocean heat content from 1960 to 2015 – Science Advances – Lijing Cheng, Kevin E. Trenberth, John Fasullo, Tim Boyer, John Abraham, Jiang Zhu

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14 réponses »

  1. Excellent article basé sur des égalités qui feraient plaisir à un comptable.
    L’énergie entrante = l’énergie sortante + l’énergie stockée.
    Energie entrante>énergie sortante => énergie stockée>0. Donc, la planète se réchauffe.

    Cette énergie est stockée principalement (93%) dans les océans. Pour le reste, il s’ agit de la terre et de l’atmosphère. Il faut vraiment comprendre que le stockage de cette énergie est intimement liée aux courants marins, et plus principalement à ceux qui entrainent l’énergie au fond des océans, là ou elle peut être absorbée. Il faut aussi rappeler que l’eau chaude, moins dense, a tendance à rester en surface, ce qui complexifie l’envoi d’énergie en profondeur.

    Donc, à terme, le stockage d’énergie, c’est à dire l’augmentation de température, a tendance à se faire en surface. Et en surface, il y a les animaux terrestres, éventuellement humains

    A part ça, tout va bien.

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  2. Cet article complète les récentes découvertes faites en Antarctique à propos du glacier Thwaites dont la base ancrée à un socle rocheux situé en dessous du niveau de la mer est fondue par endroits (en fait des cavités gigantesques) du fait du réchauffement des eaux océaniques et de la modification des courants marins. Et l’eau douce de fonte, plus légère que l’eau salée, fait office de couvercle et piège la chaleur dans les profondeurs aux abords des glaciers, contribuant d’autant plus au minage de leur base. Mais le plus difficile reste tout de même de faire comprendre aux politiques qu’un vêlage gigantesque des glaciers antarctiques serait vite une catastrophe bien pire que l’abandon du modèle économique dominant. (Je vais quand même essayer en leur envoyant mes doléances, puisque c’est d’actualité en France, recentrées autour de l’écologie).

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  3. Encore un excellent article, mais il y a un détail qui m’échappe…

    Si l’océan capture 93% du surplus d’énergie du bilan radiatif terrestre et qu’en plus il n’est pas soumis à une variabilité naturelle importante, comment l’anomalie ne progresse pas d’année en année de manière « systématique » ? Bon la tendance est quand même à une belle augmentation quasi continue, mais comment 2015 peut être devant 2016 ou 2009 devant 2010 ? C’est en rapport avec une plus forte « décharge » d’énergie dans les autres compartiments du système climatique ces années là ?

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    • Bonjour Hector,

      Pour 2016, on peut imaginer le scénario suivant : 2015 est anormalement élevé en quantité d’énergie océanique de 0 à 2000 m. Cette anormalité s’évacue en 2016 de deux façons : une partie de l’énergie est transférée au delà de 2000 m. L’autre partie se révèle en atmosphère sous la forme d’El Nino. Pour ma part, je considère que la somme énergétique océans<2000 m + océan 0-2000m + atmosphère + autres endroits de stockages (réchauffement de la glace, des terres de surfaces, …) devrait logiquement être en augmentation régulière.

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      • Pas forcément. Des travaux indiquent que les rayons cosmiques, en influençant la formation des nuages, entraînent une variabilité naturelle du flux entrant d’une année sur l’autre (par contre ce n’est plus vrai à l’échelle de la décennie ou du siècle). Il faut dire que les nuages réfléchissent 30% du rayonnement solaire.

        https://www.pnas.org/content/112/11/3253

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        • Je regarde des études sur le sujet, notamment un article que j’avais remarqué il y a quelques mois et qui donne des infos très intéressantes sur El Nino et le contenu en chaleur de l’océan. En espérant pouvoir en parler prochainement…

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  4. Bonjour Johan, vous dites qu’entre 1960 et 2015, 36,5% de l’energie a été absorbée entre 0 et 300 mètres, 20,4% entre 300 et 700 mètres, et 30,3% entre 700 et 2000 mètres.
    Pourquoi plus d’energie a été absorbée entre 700 et 2000 mètres que entre 300 et 700 mètres ? Je ne m’y connais pas vraiment, mais ça aurait été plus logique que plus d’énergie soit absorbée entre 300 et 700 mètres que entre 700 et 2000 mètres? Ou alors ça aurait été dû à des courants marins très profonds qui auraient redistribuer plus de chaleur à des niveaux plus profonds?

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    • Bonjour Nono1212,
      Tout d’abord, cette estimation est tirée de l’article
      « Improved estimates of ocean heat content from 1960 to 2015 – Science Advances  » dans lequel on peut lire – »The new result (Fig. 6) suggests a total full-depth ocean warming of 33.5 ± 7.0 × 1022 J (equal to a net heating of 0.37 ± 0.08 W/m2 over the global surface and over the 56-year period) from 1960 to 2015, with 36.5, 20.4, 30.3, and 12.8% contributions from the 0- to 300-m, 300- to 700-m, 700- to 2000-m, and below 2000-m layers, respectively. »
      Comme vous le supposez, le réchauffement est moins important dans les grandes profondeurs. Il y a bien des échanges verticalement mais en proportion, il n’y a pas de contradiction puisque entre 700 et 2000 m il y a 1300 mères, plus que quatre fois plus de profondeur qu’entre 300 et 700 mètres. Je ne sais pas si je suis clair ?

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  5. Connaît-on l’augmentation d’énergie stockée dans les glaciers? Les températures de surface augmentent. La conductivité thermique de la glace est supérieure à celle de l’eau. Toutefois, il est vrai que les glaciers sont moins l’objet de courants que l’eau des océans.
    Ensuite, il devrait y avoir un phénomène de répartition des températures à l’inverse de celui des océans. Connaissez-vous des études à ce sujet?

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    • Je n’ai pas lu d’études à ce sujet, mais je sais que la fusion d’un gramme d’eau nécessite une énergie de 333 Joules pour se produire. Or, le Groenland (qui représente aujourd’hui l’essentiel de la masse des eaux de fonte sur la planète) perd environ 375 Gt de glace par an, ce qui correspond à une absorption d’énergie de 1 X 10^20 Joules par an. Soit, à peu près, 1% de l’énergie absorbée par les océans. C’est 4 fois plus qu’il y a 15 ans. Et en Antarctique, la fonte atteint désormais 260 Gt par an, 6 fois plus qu’il y a 30 ans.

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