Comment évoluera le climat des grandes villes au cours du XXIe siècle ? Des études et des outils en ligne publiés ces dernières années permettent de rendre les chiffres du réchauffement plus concrets.
Où se trouvent les analogues actuels du climat futur ? On peut se demander à quel climat de grande ville ressemblera celui de Paris à la fin du siècle si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent de manière ininterrompue.
Les prédictions du réchauffement climatique peuvent paraître abstraites, éloignées de la perception commune. Comment communiquer les prévisions comme une augmentation de 3 ou 4°C de la température globale moyenne ? Traduire la mesure globale en termes d’expériences personnelles actuelles, locales et concrètes peut aider à surmonter certains obstacles à la reconnaissance publique des risques du changement climatique.
Des outils permettent aujourd’hui de dire en fonction des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre qu’en général les villes de l’hémisphère nord verront leur climat afficher les caractéristiques de villes situées bien plus au sud. Dans l’hémisphère sud, la climatologie adoptera réciproquement des caractéristiques que l’on retrouve aujourd’hui plus au nord.
Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu de deux études consacrées au déplacement climatique (températures, précipitations) en Europe et aux Etats-Unis. Trois outils en ligne proposent en outre des cartes interactives dédiées aux seules températures.
L’Europe
L’approche des analogues climatiques est conçue pour faire correspondre le climat futur (ou passé) d’un lieu donné au climat actuel d’un autre endroit.
Ainsi, une paire d’analogues climatiques est constituée de deux zones géographiques différentes partageant un climat sensiblement similaire mais à une période différente.
Une étude publiée en 2018 sous la direction de Guillaume Rohat permet d’appréhender le changement climatique de 90 villes européennes de 1951 à 2100 avec le scénario A1B du GIEC qui conduit à une hausse globale de 3°C en 2100.
La méthode développée dans cette étude prend en compte cinq variables climatiques : la température moyenne et les précipitations moyennes mensuelles, qui sont les deux déterminants climatiques les plus essentiels ; la température minimale mensuelle pour les mois d’hiver (décembre, janvier et février) et la température maximale mensuelle pour les mois d’été (juin, juillet et août), qui sont respectivement les indicateurs de périodes froides et chaudes ; et les précipitations totales annuelles, qui sont un facteur climatique important pour la gestion de l’eau dans les villes.
Ces variables ont été calculées mensuellement (ou annuellement dans le cas de la variable annuelle des précipitations totales) et moyennées sur cinq périodes de 30 ans, à savoir P1 (1951-1980), P2 (1981-2010), P3 (2011-2040), P4 (2041-2070) et P5 (2071-2100).
Parmi les 90 villes étudiées, 70 villes ont des analogues climatiques fiables pour chacune des quatre périodes futures de 30 ans. Pour les 20 autres villes, aucun analogue de climat n’a été trouvé pour au moins une période future. La plupart de ces 20 villes sont situées à la limite du domaine européen; par conséquent, leurs analogues climatiques respectifs sont vraisemblablement situés en dehors de l’Europe.
Le papier montre que les analogues climatiques sont toujours situés au sud de leur ville de référence respective. Ce résultat plutôt attendu met en évidence le déplacement bien connu des zones climatiques vers l’équateur (c’est-à-dire du nord au sud dans le cas de l’Europe).
Sur les quatre périodes de 30 ans, la vitesse la plus lente vers le sud concerne les villes de Jönköping (Suède) et de Cordoue (Espagne), avec 0,9 km par an pour le passage P2-P3. Zurich (Suisse) et Cracovie (Pologne) affichent la vitesse la plus rapide vers le sud, avec 34,0 km et 38,1 km respectivement, pour le passage de P4 (2041-2070) à P5 (2071-2100).

Changement climatique sur le continent européen pour les villes d’Aarhus (Danemark), de Berlin (Allemagne) et de Varsovie (Pologne), pour les quatre périodes de 30 ans, à savoir P1-P2 (de 1951-1980 à 1981-2010) , P2-P3 (de 1981-2010 à 2011-2040), P3-P4 (de 2011-2040 à 2041-2070) et P4-P5 (de 2041-2070 à 2071-2100). Source : Rohat et al 2017 (Emerald Insight).
Andorre-la-Vella (Andorre) et Berlin (Allemagne) présentent respectivement, tout au long de la période d’étude P1-P5 (1951-2100), les déplacement les plus faibles (2,9 km / an) et les plus rapides (13,2 km / an).
Parmi les déplacements les plus spectaculaires, on a donc le climat de Berlin : en 2071-2100 (P5), il sera situé à 1 584 km vers le sud (sud de l’Espagne) par rapport à son climat en 1951-1980 (P1).
Les résultats montrent que la vitesse du changement climatique des villes européennes n’est pas constante de 1951 à 2100, mais qu’elle accélère de manière significative tout au long du XXIe siècle. Le déplacement vers le sud commence à une moyenne de 7,0 km/an pour le passage P1-P2 et double presque pour atteindre une moyenne de 13,4 km/an pour le passage P4-P5.
Le climat des villes européennes se déplacera vers le sud à une vitesse moyenne de 7,9 km par an de 1951-1980 à 2071-2100 (P1-P5), selon le scénario A1B. Cela signifie qu’en moins d’une génération humaine (c’est-à-dire 25 ans), le climat des villes européennes changera de 200 km en moyenne vers le sud.
Ce changement climatique rapide aura sans aucun doute des conséquences négatives sur les 416 millions d’habitants des 90 villes faisant l’objet de l’enquête, voire sur de nombreux autres cas similaires, indique l’étude. En outre, les habitants des villes devront non seulement faire face à l’évolution des conditions climatiques, mais aussi à l’accélération du rythme de ces changements, qui devrait doubler au cours du XXIe siècle.
En été, la ville championne du réchauffement sera Sofia, en Bulgarie, d’après un outil publié par Climate Central. Un scénario à fortes émissions comme le RCP8.5 (qui prévoit un réchauffement global de 3,2 à 5,4°C en 2081-2100) pourrait élever la température estivale de 8,4°C à l’horizon 2100. Un été passant de 24,3°C à 32,6°C atteindrait la température de Port Said, en Egypte. Il faudra pour cela une concentration de CO2 de 1000 ppm contre 410 ppm aujourd’hui.

Déplacement climatique de Sofia en 2100 avec le scénario RCP8.5. Source : Climate Central.
D’après les données dévoilées par Carbon Brief, Sofia s’est déjà réchauffée de 1,6°C en moyenne annuelle.

Source : Carbon Brief.
La moyenne annuelle pourrait atteindre +5,9°C en 2100.

Source : Carbon Brief.
Pour Paris, le réchauffement est un peu moins important mais reste très impressionnant, notamment en été avec +6,5°C en 2100, digne de ce que l’on trouve actuellement à Fez, au Maroc :

Source : Climate Central.
Le réchauffement déjà enregistré à Paris est proche de celui de Sofia avec +1,4°C en moyenne annuelle. Comme en Bulgarie, la tendance est clairement à la hausse depuis les années 80 :

Source : Carbon Brief.
La projection pour 2100 avec le scénario RCP8.5 annonce +5,2°C en moyenne annuelle à Paris :

Source : Carbon Brief.
L’Amérique du Nord
Pour 540 zones urbaines d’Amérique du Nord, une autre étude a utilisé la cartographie climat analogique afin de déterminer l’endroit où le climat contemporain est le plus semblable au climat prévu pour chaque zone urbaine en 2080.
L’étude montre également comme celle sur l’Europe que le climat de la plupart des zones urbaines changera considérablement et ressemblera davantage aux climats contemporains situés à des centaines de kilomètres de distance et principalement au sud, ou n’aura pas d’équivalent moderne.
L’article présente une cartographie de la similitude entre le climat futur des villes nord-américaines prévu pour les années 2080 (moyenne de la période 2070-2099) et le climat contemporain (représentatif des conditions moyennes pour 1960-1990).
La méthode statistique tient compte des corrélations entre les variables climatiques. Une dissimilarité sigma égale à 0 (c’est-à-dire, 0σ) indiquerait des climats identiques ou un analogue parfait. L’étude considère que les valeurs de ≤2σ entre le climat futur d’une zone urbaine et son climat contemporain le plus similaire constitue un analogue représentatif.
Les valeurs> 4σ représentent les différences extrêmes entre le climat futur et le climat contemporain dans le domaine à l’étude, que l’étude interprète comme de nouvelles conditions climatiques futures et un analogue médiocre.
Pour le climat de 2080, les scientifiques ont sélectionné deux trajectoires d’émission, l’une basée sur des émissions non atténuées (RCP8.5) et une basée sur un scénario d’atténuation (RCP4.5).
Les chercheurs constatent que si les émissions continuent à augmenter tout au long du XXIe siècle, le climat des zones urbaines nord-américaines deviendra en moyenne plus similaire au climat contemporain des localités situées à 850 km et principalement au sud.
D’ici les années 2080, de nombreuses villes pourraient connaître de nouveaux climats sans équivalent moderne dans le domaine étudié.
Dans les années 2080, et même compte tenu du scénario optimiste d’émissions atténuées (RCP4.5), le climat des zones urbaines nord-américaines sera sensiblement différent de ce qu’il est aujourd’hui, et dans de nombreux cas, différent des climats contemporains.
Dans l’est des États-Unis, presque toutes les zones urbaines, y compris Boston, New York et Philadelphie, deviendront plus proches des climats contemporains situés à des centaines de kilomètres au sud et au sud-ouest.

Variation des analogues climatiques pour le scénario RCP8.5. Les triangles indiquent des analogues contemporains représentatifs (<2σ) et la taille du cercle indique des analogues de plus en plus pauvres. Source : Fitzpatrick, M. C. et al (2019, Nature Communications).
En d’autres termes, dès les années 2080, le climat des villes du nord-est aura tendance à ressembler davantage aux climats subtropicaux humides typiques des régions du Midwest ou du sud-est des Etats-Unis (plus chaud et plus humide en toutes saisons), tandis que les climats des villes de l’ouest devraient ressembler davantage à celles du désert du sud-ouest ou du sud de la Californie (plus chaud en toutes saisons, avec des changements dans l’ampleur et la répartition saisonnière des précipitations).
En moyenne, la distance géographique entre chaque zone urbaine et son meilleur analogue climatique contemporain est presque deux fois plus grande pour le RCP8.5 (849,8 km) que pour le RCP4.5 (514,4 km).
En d’autres termes, avec un scénario de fortes émissions de CO2, le citadin moyen aux Etats-Unis devra parcourir près de 1 000 km pour se rendre dans un climat semblable à celui qu’il est susceptible de rencontrer dans sa ville aujourd’hui.
Les plus grandes distances géographiques entre les climats futurs des zones urbaines et leurs meilleurs analogues climatiques contemporains se trouvent dans l’est des Etats-Unis. Ce schéma est particulièrement apparent pour les villes de Floride, pour lesquelles les meilleurs analogues sont concentrés le long de la côte du golfe du Mexique.
Toutefois, dans certaines villes de la côte ouest relevant du RCP4.5, l’analogue le plus proche se trouve au nord, ce qui reflète probablement aussi l’influence de la topographie sur l’emplacement du meilleur analogue climatique.
Un exemple parmi d’autres permet d’illustre l’ampleur des changements qui toucheront Calgary, en été. La ville canadienne pourrait connaître un réchauffement estival de +7,2°C avec le RCP8.5. Soit une température estivale que l’on trouve actuellement à Los Angeles.

Source : Climate Central.
L’Australie
Des universitaires de la School of Art & Design se sont associés avec des collègues de l’Institut du changement climatique de l’ANU pour un concevoir un outil à même de mieux communiquer les données existantes du changement climatique.
Les données montrent que, d’ici 2050, les Australiens ne profiteront plus de l’hiver tel qu’ils le connaissent aujourd’hui et connaîtront une nouvelle saison baptisée « Nouvel été ». Le nouvel été représente une période de l’année où, dans de nombreuses localités, les températures dépasseront régulièrement les 40 ° C sur une période prolongée.
Grâce à cet outil, les internautes peuvent cliquer sur des milliers de localités en Australie pour voir comment la météo dans leur ville changera d’ici 2050. La comparaison entre les températures moyennes historiques de chaque saison et les projections climatiques montre qu’il n’y aura plus de période hivernale (un concept assez relatif, convenons-en, en Australie) soutenue ou durable.
L’outil indique le nombre de degrés de hausse de la température moyenne à chaque endroit et le nombre de jours de plus de 30 ou 40 degrés dans les différentes localités australiennes en 2050.
On peut voir ci-dessous la température moyenne à Sydney, qui est loin d’être la ville la plus chaude d’Australie. La température moyenne y était de 22,1°C sur 1960-1990 avec une saison hivernale allant de juin à août. En 2050, la température moyenne grimperait à 25,4°C avec le scénario RCP8.5 avec une disparition de ce que l’on appelle aujourd’hui l’hiver et l’apparition d’un « nouvel été ». La période estivale dans son ensemble couvrira plus de la moitié de l’année.
Seule la Tasmanie connaîtra encore ce que l’on considère comme la saison hivernale dans 30 ans.
Pas d’analogue pour Bagdad, en Irak
Si vous voulez faire buguer le logiciel de Climate Central, essayez de trouver un analogue à la température estivale de Bagdad, en Irak. Actuellement, la température estivale y est de 42,5°C. En 2100, avec le scénario RCP8.5, l’été affichera une moyenne invivable de 49,5°C. Il n’est pas possible de trouver un analogue à la surface du globe. Le Moyen-Orient dans son ensemble franchira des seuils au-delà de ce qu’un être humain est capable de supporter. Dans des conditions de chaleur sèche, le corps humain est en danger, même avec des températures bien en dessous de 60°C. L’humidité peut abaisser le niveau au-delà duquel la simple mesure de chaleur relevée au thermomètre peut devenir dangereuse.

Source : Climate Central.
Catégories :Climat
Je voudrais savoir si comme moi vous êtes troublés par cette étude, et j’expose pourquoi je le suis.
Au premier abord, les analogues climatiques montrent très concrètement comment le climat d’une ville va dériver vers celui d’une autre ville déjà existante aujourd’hui
(parfois il n’y en a pas, le climat dérivant vers l’inconnu). C’est donc très concret et pédagogique.
Et puis dans un deuxième temps j’ai compris aussi que l’étude montre que dans la plupart des cas, il existe un analogue climatique, donc une ville où aujourd’hui des gens vivent (même si dans des conditions différentes). De fait, le message sous-jacent n’est-il pas que malgré la radicalité du changement, la situation restera majoritairement vivable ?
Du coup, je crains que le message reçu ne masque la gravité des enjeux.
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Pour certains pays, au Moyen-Orient, dans le sud-est asiatique, l’Australie, le scénario rcp8.5 pourrait conduire à la limite du supportable. Pour l’Europe, il y a évidemment plus de marge mais canicules, inondations, sécheresses poseraient de graves problèmes faute de capacités d’adaptation. Sur ce dernier point, il me semble difficile de faire une quelconque prévision.
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Oui, c’est exactement ça ! Se focaliser sur le glissement des localités urbaines occulte les changements des environnements dans lesquels elles s’insèrent et dont elles dépendent.
D’où peut-être mon problème de dissonance après cet article…
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Pour le Moyen-Orient, c’est cuit. Mais y’aura plus personne pour le manger.
Faut se dépêcher d’aller y puiser tout le pétrole qu’il y reste avant. Et accélérer le moment où plus aucun humain (et non-humain) pourra y survivre.
Ne pas oublier d’ajouter les quelques centaines de millions d’homo dit sapiens (au Bangladesh notamment, où l’eau douce descendant des glaciers himalayens appelés à disparaître viendra, elle, à manquer) qui fuiront la montée des océans. Lesquels océans ne permettront plus à la plupart des animaux à coquille de vivre. Quant aux poissons, nous les en aurons débarrassés bien avant.
« Sapiens »: du latin « sage ».
Quant à ceux qui voudraient encore croire dans ces tartufferies que sont les Cop (dernière en date en Pologne, championne de l’électricité au charbon…), rassurez-vous, « nos » zélites européennes ont compris le message réitéré quasi-quotidiennement par les scientifiques de tout bord et relayé par les citoyens, jeunes et moins jeunes: pour le climat, il est urgent d’attendre.
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/22/climat-les-vingt-huit-echouent-a-fixer-de-nouveaux-engagements_5440001_3210.html
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L’îlot de chaleur urbain
Contrairement à la campagne, les bâtiments et surfaces imperméables des villes stockent la chaleur du Soleil et la renvoient vers l’atmosphère la nuit, empêchant le rafraîchissement. Si le phénomène n’est pas lié aux gaz à effet de serre, les conditions anticycloniques intensifiant l’îlot de chaleur urbain vont favoriser la stagnation des polluants, avec des problèmes sanitaires supplémentaires.
Le satellite permet ici une mesure directe de la température des surfaces ainsi que la caractérisation fine de ces dernières, le suivi de l’extension urbaine et de la transformation du sol, ou encore le suivi de la végétation, élément déterminant du microclimat urbain.
Extension urbaine de Las-Vegas entre 1979 et 2010 observée par le satellite Landsat © NASA
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Quand on regarde sur Climate Central le top10 des villes qui se réchaufferont le plus en été (avec un scénario business as usual), ce sont toutes des villes méditerranéennes ou en bordure nord du bassin méditerranéen.
La méditerranée est un point chaud du réchauffement planétaire, à plusieurs titres: le 1er, c’est que cette région du monde subira les effets combinés d’un réchauffement et d’un assèchement tout deux plus marqués que la moyenne mondiale; le 2ème, c’est que la diversité biologique y est très élevée, et que les dégâts à venir sont ainsi potentiellement gigantesques; le 3ème, c’est que c’est l’une des régions les plus densément peuplées du monde.
Comme le dit Goupil, si des analogues futurs existent aujourd’hui, c’est que la vie y est possible; mais dans le désert égyptien, il n’y a presque personne. Port-Saïd ne pèse « que » 600 000 habitants, et il n’y a pas de peuplement dans l’arrière pays. Sofia et Rome, qui doivent se préparer à avoir ce climat d’ici la fin du siècle, font respectivement 1,4 million et 3 millions d’habitants, avec des campagnes alentour très peuplées. L’écosystème actuel le permet, mais ça ne va pas durer…
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