Climat

Un faible rôle de la variabilité naturelle du climat par rapport aux forçages anthropiques

Des chercheurs de l’Université d’Oxford confirment que l’activité humaine et dans une moindre mesure certains facteurs externes expliquent l’essentiel de la hausse de la température mondiale depuis près de 170 ans. Le rôle des cycles naturels de l’océan, supposés expliquer une partie des fluctuations climatiques, serait finalement marginal.

La nouvelle étude publiée dans le Journal of Climate, se penche sur  la température à la surface des océans et des terres depuis 1850. Outre les facteurs anthropiques comme les gaz à effet de serre, d’autres agents tels que les éruptions volcaniques, l’activité solaire et la pollution atmosphérique (aérosols) ont été inclus dans l’analyse. En plus de ces facteurs dits externes, l’auteur principal Karsten Haustein et ses collègues ont examiné le rôle des cycles océaniques à action lente.

L’article du Journal of Climate montre que la combinaison des émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre,  les éruptions volcaniques, l’activité solaire et les aérosols peuvent expliquer la quasi-totalité des changements à long terme (sur plus de 30 ans) de la température au cours des 170 dernières années.

Alors que les hauts et les bas d’une année à l’autre sont bien liés au phénomène El Niño-Oscillation australe (ENSO), les scientifiques ont constaté que la variabilité due aux cycles océaniques comme l’Oscillation atlantique multidécennale (AMO) n’était pas nécessaire pour expliquer les changements à long terme des températures. L’AMO est une variation de la température de surface de la mer qui s’étend sur plusieurs décennies, de 40 à 80 ans. Cette oscillation serait en fait contrôlée par des facteurs externes également.

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Oscillation atlantique multidécennale 1880-2018. Source : Oldenborgh et al.

Les auteurs de l’étude ont conçu un modèle climatique relativement simple prenant en considération le fait que la majeure partie de la pollution provient des régions terrestres, qui se réchauffent et se refroidissent plus rapidement que les océans. Or il y a beaucoup plus de terres dans l’hémisphère Nord. Un traitement plus fin de l’impact des aérosols permet ainsi une reconstruction plus fidèle des forçages climatiques réellement impliqués dans les fluctuations des températures.

Le carbone suie d’origine  industrielle a fortement contribué au réchauffement du début du 20ème siècle. Ce « black carbon » est capable d’influencer le bilan radiatif en réchauffant l’atmosphère. Dans l’Arctique, il favorise un assombrissement de la neige, absorbant la lumière du soleil. Après la Seconde Guerre mondiale, le brouillard de sulfate reflétant la lumière provenant de centrales électriques a augmenté, ce qui a contrecarré le réchauffement potentiel de l’augmentation des gaz à effet de serre. Puis, le contrôle de la pollution est arrivé dans les années 1970, permettant au réchauffement d’accélérer à nouveau.

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Communément appelé suie, le carbone noir pénètre dans l’air lorsque des combustibles fossiles et des biocarburants, tels que le charbon, le bois et le diesel, sont brûlés. Le carbone noir est présent dans le monde entier. Source : NASA.

La «période de réchauffement précoce» entre 1915 et 1945 est l’une de celles qui intriguent le plus les scientifiques. On pensait jusqu’à présent que près de la moitié du réchauffement observé au cours de cette période était imputable à des facteurs externes (effet de serre, éruptions volcaniques, variabilité solaire). L’autre moitié était attribuée à des facteurs internes, à savoir les fluctuations naturelles du système climatique lui-même. Cela laissait penser qu’il pourrait exister des cycles océaniques à long terme fonctionnant sur des périodes de 60 à 70 ans qui influenceraient les températures mondiales.

Mais la nouvelle étude remet en cause ce scénario. Pratiquement tous les changements observés dans les températures moyennes mondiales au cours des 170 dernières années seraient imputables à des facteurs externes, avec une contribution marginale de la variabilité interne. Cela signifie que les cycles océaniques sur des échelles de temps de 60 à 70 ans ne sont probablement pas un facteur dans l’évolution observée des températures globales depuis 1850.

Dans le modèle présenté par Karsten Haustein et ses co-auteurs, la quasi-totalité (97 à 98%) des variations de température à long terme sont expliquées par des forçages externes.

Comme on l’a vu, cette approche utilise une description plus précise des processus de rétroaction anthropiques des aérosols et élimine les biais dans les enregistrements de température de surface de la mer (SST) causés par un changement dans la manière dont les mesures ont été prises autour de la Seconde Guerre mondiale.

Bien que le système climatique continue d’être influencé par la variabilité naturelle à court terme causée par les événements El Niño et La Niña, l’idée selon laquelle les océans ont entraîné le climat dans des périodes plus froides ou plus chaudes au cours de plusieurs décennies est probablement incorrect, d’après les auteurs de l’étude.

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On voit que les années 90, marquées par El Nino, ont connu une forte hausse des températures mondiales. Depuis 1998, les épisodes de type La Nina ont été plus fréquents et les températures ont moins augmenté. (Source : GISS/NASA)

La plupart des modèles complexes du climat mondial corroborent fortement l’hypothèse selon laquelle les océans n’ont qu’une capacité limitée à modifier les températures mondiales sur des périodes multidécennales.

Cela signifie que nous pouvons nous attendre à ce que le réchauffement futur soit principalement causé par des facteurs de forçage externes – tels que les émissions de gaz à effet de serre causées par l’homme – ainsi que par la variabilité associée à ENSO. Cette dernière peut expliquer des courtes périodes de stagnation des températures comme lors du soit-disant hiatus du début du 21e siècle, qui a duré une dizaine d’années.

Avec une variabilité expliquée des températures globales observées allant jusqu’à 98% (lissage sur 30 ans en douceur) ou ∼93% (avec la variabilité ENSO), le modèle explique l’essentiel des variations. Les auteurs ont pu suivre l’évolution de la température depuis au moins 1850 et parviennent à reproduire à la fois les périodes de réchauffement accéléré au début du 20e siècle et le petit refroidissement du milieu du 20e siècle avec une grande précision, sans avoir besoin d’invoquer la variabilité interne multidécennale en complément.

Trois aspects essentiels sont cruciaux pour une attribution appropriée de la réponse de la température aux perturbations du forçage radiatif externe.

1 – Traitement soigné des aérosols spatialement hétérogènes. L’évolution temporelle du forçage a des répercussions majeures à la fois pour la «période de réchauffement précoce» entre 1915 et 1945 et pour la période de refroidissement entre 1950 et 1980. Shindell (2014) et Marvel et al. (2016) ont dans de précédentes études souligné l’importance du traitement hémisphérique différent de la charge d’aérosols.

Karsten Haustein soutient que tout exercice d’attribution qui ne tient pas suffisamment compte des modifications spatio-temporelles des aérosols produisent invariablement des résultats peu fiables et erronés.

2 – Suppression du biais chaud de la Seconde Guerre mondiale dans la génération actuelle de jeux de données SST car il existe maintenant des preuves que la période 1942-1945 est biaisée à des degrés divers.

Haustein et ses collègues ont pris en compte le changement dans la façon dont les températures de l’océan sont mesurées. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la pratique consistant à mesurer des échantillons d’eau dans des seaux cédait le pas à des lectures américaines toujours plus chaudes de l’eau passant par les soupapes d’admission des navires. Haustein et son équipe ont découvert que les efforts déployés auparavant pour compenser ce changement avaient été vains. Ils ont donc utilisé les données des stations météorologiques situées sur les côtes et sur les îles comme correctifs.

3 – Étalonnage du temps de réponse rapide afin de prendre en compte les effets médiateurs d’ENSO et la réponse aux éruptions volcaniques.

L’analyse démontre qu’il est possible de reproduire l’évolution de la température séparément pour l’hémisphère nord, l’hémisphère sud, la surface des terres et celle de l’océan avec une précision égale.

Dans cette évaluation des contributions potentielles de la variabilité multidécennale de l’Atlantique et du Pacifique, les scientifiques constatent qu’à l’exception des périodes prolongées de prépondérance d’El Nino ou de La Niña, la variabilité interne non forcée de l’océan laisse peu de place au-delà des échelles de temps sous-décennales, ce qui est particulièrement vrai pour la région Nord Atlantique.

« A l’exception des périodes prolongées de prépondérance d’El Nino ou de La Niña », dit l’étude. De nombreuses études ont en effet insisté sur le rôle non négligeable que pouvait jouer la variabilité du Pacifique à des échelles de temps dépassant les variations interannuelles d’ENSO. L’oscillation interdécennale du Pacifique (IPO) est un mode de variabilité naturelle dans le Pacifique avec une phase positive qui favorise des températures élevées à la surface du Pacifique, et une phase négative, qui promeut des périodes de refroidissement. C’est un phénomène dont les caractéristiques sont similaires à celles d’El Niño ou de l’Oscillation décennale du Pacifique (PDO), à ceci près qu’elle s’exerce sur une échelle d’une quinzaine d’années contre quelques mois pour El Niño, et qu’elle concerne une zone plus grande que la PDO.

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Phase positive de l’oscillation interdécennale du Pacifique (IPO). Source : NOAA.

C’est peut-être l’un des points qui donne le plus matière à discussion dans cette étude. Dans leur modèle, Haustein et ses collègues ne trouvent pas un gros impact des variations du Pacifique sur le long terme. Pour une période somme toute assez courte comme celle du hiatus des années 2000, ils avancent comme explication un mélange de facteurs externes et de phases type La Niña. La part de la variabilité du Pacifique dans ledit hiatus n’apparaît pas encore comme tranchée, si tant est qu’elle l’être un jour.

Les chercheurs ont en tout cas utilisé le modèle de 1500 à 2015, et d’après eux celui-ci correspond bien aux archives paléoclimatiques, y compris le petit âge glaciaire en Europe.

12 réponses »

  1. Excellent résumé !

    Il y a cependant quelque chose que je ne comprends pas dans cette étude, c’est la mention de l’activité volcanique qui serait un facteur de forçage externe expliquant une partie de la hausse des températures depuis 170 ans, or il me semblait que cette activité volcanique n’avait qu’un impact à très court terme puis la température retrouve toujours un équilibre après une éruption ; on voit très bien ce qui se passe avec le graphique des différents forçages dans cet article : http://theconversation.com/changement-climatique-quel-est-le-role-des-eruptions-volcaniques-91681 ; c’est clair et net la courbe du forçage volcanique oscille de part et d’autre d’une droite horizontale, tout comme d’ailleurs le forçage solaire en très grande partie.

    Est-ce que j’ai raté quelque chose ?

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    • Merci. En fait l’étude n’explique pas que les causes de variations à long terme mais tente avec son modèle de les reproduire année après année. Une éruption joue effectivement sur quelques années tout au plus, même si au début du 21e siècle, une série d’éruptions moyenne aurait eu un rôle non négligeable.

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      • Merci pour la réponse, mais ce n’est pas très clair dans l’étude, d’ailleurs vous expliquez : « L’article du Journal of Climate montre que la combinaison des émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre, les éruptions volcaniques, l’activité solaire et les aérosols peuvent expliquer la quasi-totalité des changements à long terme (sur plus de 30 ans) de la température au cours des 170 dernières années » ; on parle bien de périodes de plus de 30 ans au minimum, et dans ce cas toute variabilité naturelle (ENSO, volcanisme et irradiance solaire) finit par s’équilibrer en très grande partie…

        De ce que je comprends de l’étude seuls les cycles longs tels que l’AMO n’auraient aucune influence sur le forçage à plus de 30 ans (et à plus forte raison à moins de 30 ans) mais je ne comprends toujours pas pourquoi ils parlent d’ENSO, des volcans et de l’irradiance alors qu’on sait depuis longtemps que tout cela n’a qu’un effet temporaire sur la température de l’atmosphère (ENSO n’est qu’un échange de chaleur entre océan et atmosphère selon un cycle plus ou moins (ir)régulier)

        Bref tout cela ne me semble pas très clair même si la conclusion principale l’est.

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        • Pour résumer, l’étude compare la contribution respective des facteurs externes aux facteurs dits internes pour conclure que ces derniers sont marginaux, 2% à plus de 30 ans, 7% à l’échelle interannuelle.
          Cela ne veut pas dire que les volcans jouent sur le long terme (encore qu’une série d’éruptions puisse avoir un impact) mais ces volcans ont été pris en compte dans le calcul du forçage externe.
          L’AMO est clairement récusée comme facteur de changement à long terme. Pour ENSO, les auteurs reconnaissent un rôle à l’échelle sous-décenalle. Je me demande quand même si l’étude ne sous-estime pas le rôle de l’IPO.

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            • L’AMO est en général le 2e mode de variabilité utilisé pour les prévisions climatiques à court terme. C’est intéressant ce lien avec le volcanisme, d’autant que c’est l’inventeur de l’expression qui en parle. Michael Mann a ceci dit des positions qui tendent à remettre en cause la réalité des phénomènes comme la PDO et l’AMO. On sait bien qu’El Nino n’est pas un artefact mais la PDO et l’AMO sont plus discutées. Dommage, l’article est payant, mais Science c’est souvent du sérieux.

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  2. Exit, donc, le cycle de 60 ans. ça ne fera pas plaisir aux sceptiques, qui pensaient que la température mondiale devait se remettre à décroître et que le pic de 2016 n’était qu’un « accident brouillant le signal ». Mais si la variabilité interne est négligeable au-delà de 30 ans, ça signifie qu’il y a fort peu de chances que le réchauffement s’arrête à nouveau durablement comme dans les années 50-70. Les aérosols ne sont plus aussi présents pour refroidir l’atmosphère et les fluctuations de l’irradiance solaire ne peuvent rivaliser avec le forçage induit par nos émissions de CO2. Il faudrait une éruption majeure, avec les dégâts que ça impliquerait.

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    • C’est tout à fait ça. A l’exception des périodes prolongées d’El Nino ou de La Nina, il y a peu de place pour la variabilité interne non forcée de l’océan au-delà des échelles de temps sous-décadales, dit l’étude.
      Pour ce qui est des aérosols, la croissance rapide a ralenti à partir des années 1980. D’un forçage conduisant à -0,48°C en 1990, on est revenu à un impact de -0,40°C qui semble se stabiliser aujourd’hui. Les gaz à effet de serre auraient un impact beaucoup plus important sans ces aérosols.
      En dehors d’Enso, la source majeure de variabilité d’une année à l’autre serait effectivement une grosse éruption volcanique, le dernier exemple étant Pinatubo en 1991, qui comme Tambora en 1815, s’est soldé par un -0,5°C durant l’été de l’hémisphère nord. Il peut y avoir pire, comme la très grosse éruption en 1257, Samalas.

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