Climat

Antarctique : risque de forte élévation du niveau de la mer au-delà de 2°C

Une nouvelle étude de modélisation montre l’importance de limiter le réchauffement climatique pour éviter une fonte accélérée des glaces de l’Antarctique.

La quantité d’émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines décennies aura une incidence sur le niveau moyen de la mer pour les centaines d’années à venir, à travers une combinaison d’expansion thermique des océans et de perte de glace terrestre. L’élévation se poursuivra longtemps après l’arrêt des émissions de gaz à effet de serre. Une étude publiée dans Nature montre l’importance des effets de seuil qui interviendraient si les émissions de CO2 ne peuvent être maîtrisées au 21è siècle. Des mécanismes tels que l’hydrofracturation des plateformes et l’effondrement des falaises de glace risquent de rapidement augmenter le débit des calottes glaciaires marines.

La calotte glaciaire antarctique est le plus grand réservoir de glace terrestre de la Terre avec l’équivalent de 58 mètres d’élévation du niveau de la mer. La majeure partie de l’inlandsis de l’Antarctique de l’Ouest est ancrée bien au-dessous du niveau de la mer, avec de vastes lignes d’échouage (grounding line en anglais, la zone située entre la partie où les glaces flottent et celle où elles reposent sur la terre) et de larges plateformes de glace directement en contact avec l’océan. Les données géologiques indiquent que le niveau moyen de la mer a fluctué sur au cours des 25 derniers millions d’années, atteignant parfois 20 mètres ou plus au-dessus du niveau moderne. Une telle élévation implique des variations substantielles de la taille de l’inlandsis de l’Antarctique.

Animation montrant comment le mouvement horizontal des lignes d’échouage des glaciers est détecté en utilisant les mesures par satellite du changement d’élévation.Crédit: Hannes Konrad et al, Université de Leeds.

Des observations satellitaires récentes indiquent que la contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer a considérablement augmenté ces dernières années. La plupart des pertes de glace sont concentrées dans l’Antarctique occidental, où l’amincissement des plateformes de glace flottantes entraîne une accélération de l’écoulement des glaciers et le retrait des lignes d’échouage. Il n’en reste pas moins que des incertitudes demeurent dans la prévision de l’élévation future du niveau de la mer. Elles sont principalement dues aux mécanismes physiques qui pourraient amplifier la contribution de l’inlandsis antarctique.

Il est donc primordial de pouvoir déterminer la sensibilité de l’Antarctique aux instabilités dynamiques et le risque d’assister à une retraite accélérée. L’étude publiée dans Nature et des explications fournies sur le site CarbonBrief par deux des auteurs, Pollard et DeConto, précisent les risques liées aux facteurs dynamiques de la plus grande calotte de glace du globe. Avec 1,5°C ou 2°C d’élévation de la température globale, la fonte des glaces en Antarctique se poursuivrait à des niveaux similaires à ceux d’aujourd’hui. Cependant, avec 3°C, il y a des risques importants d’élévation rapide et irréversible du niveau de la mer avant 2100. Le modèle utilisé intègre des processus glaciologiques qui pourraient s’avérer déterminants, comme l’impact de la fonte des plateformes sur les glaciers de sortie et les «falaises de glace» marines qui risquent de s’effondrer.

Les auteurs de l’étude montrent que leur modèle est capable de reproduire avec précision les changements du niveau de la mer dans le passé ancien de la Terre, ce qui augmente leur confiance dans la simulation des impacts à long terme, au-delà de 2100. Ce modèle indique ainsi qu’un seuil serait franchi avec un réchauffement dépassant 2°C.

Le dernier million d’années a connu une série d’âges glaciaires interrompus par des périodes relativement courtes de températures plus chaudes, appelées interglaciaires. Il y a environ 125 000 ans, la température globale était sensiblement la même qu’aujourd’hui, mais le niveau de la mer était d’environ 6 à 9 mètres plus élevé. De grandes sections de la calotte glaciaire du Groenland ont probablement résisté à ce réchauffement. Cela indique qu’une partie de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental a dû fondre pour obtenir une élévation de 6 à 9 mètres.

Comme les températures mondiales ne sont pas encore stabilisées et pourraient dépasser +3°C par rapport à la période préindustrielle, il faut trouver un autre analogue pour avoir des indices de ce que nous réserve l’avenir dans des scénarios à concentration élevée de CO2. Le milieu du Pliocène, il y a environ 3 millions d’années, constitue une période de comparaison intéressante. Les géologues pensent que les niveaux de CO2 se situaient aux alentours de 400 parties par million (contre près de 420 ppm aujourd’hui), avec des températures comprises entre 2 et 3°C au-dessus des niveaux préindustriels .  

Des données suggèrent que la mer a probablement atteint des niveaux beaucoup plus élevés qu’aujourd’hui, impliquant une contribution d’environ 11 à 21 mètres de l’Antarctique. Cela signifie qu’une partie de l’Antarctique de l’Est a perdu de la glace, en plus du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest. Ces données géologiques indiquent donc que la calotte glaciaire antarctique serait fragilisée par une élévation de température d’environ 2°C.

Il s’avère que le modèle employé dans l’étude ne peut reproduire ces observations géologiques qu’en incluant certains processus dynamiques. Il s’agit de la rupture soudaine des plateformes de glace recouvertes d’eau de fonte et de l’effondrement de hautes falaises de glace instables qui émergent au bord de la calotte glaciaire lorsque les plateformes de glace sont perdues. 

Une grande partie de la calotte de l’Antarctique de l’Ouest repose sur un substrat rocheux situé sous le niveau de la mer, jusqu’à 2,5 km sous le niveau de la mer par endroits. Aujourd’hui, les plateformes de glace flottantes dans les mers de Ross, Weddell, Amundsen et Bellingshausen fournissent des contreforts qui empêchent l’écoulement de la glace vers le large et stabilisent les zones d’échouage marines. Malgré leur épaisseur, un océan qui se réchauffe a le potentiel d’éroder rapidement les plateformes de glace par le bas.

Plateforme de glace de l’Antarctique (Crédit : Georges Nijs)

Bien que les plateformes de glace elles-mêmes ne contribuent pas directement à l’élévation du niveau de la mer, elles jouent un rôle crucial dans le ralentissement de la perte de glace de l’Antarctique.

Les plateformes de glace dans un climat en réchauffement sont vulnérables à la fois à la fonte de l’océan en-dessous et à la fonte en surface par le haut. De plus en plus, les plateformes de glace s’amincissent, en particulier lors de pics de température soutenus au-dessus du point de congélation, lorsque l’eau de fonte peut s’accumuler à leur surface.

Le processus appelé hydrofracturation est impliqué dans la désintégration de la plateforme glaciaire de Larsen B en 2002 dans la péninsule antarctique. Aujourd’hui, les températures estivales approchent voire dépassent légèrement 0°C à la surface de certaines plateformes. Il ne suffirait que d’un petit réchauffement atmosphérique pour augmenter considérablement la surface concernée par la fonte et les précipitations d’été. Les plateformes peuvent être déstabilisées par le dessus en raison des infiltrations à l’origine de crevasses.

Une instabilité incluse dans de nombreux modèles est l’instabilité de la calotte glaciaire marine, qui concerne les zones de la calotte glaciaire reposant sur le substrat rocheux avec une pente inversée dite rétrograde, c’est-à-dire que le lit sous-jacent s’enfonce vers l’intérieur. Un retrait initial peut déclencher une boucle de rétroaction positive et auto-entretenue, provoquant une réaction de plus en plus rapide.

Des chercheurs de l’Antarctique occidental ont déjà observé des preuves de ce phénomène, en particulier au glacier de Thwaites, connecté par des bassins intérieurs profonds au reste de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental. 

C’est là qu’un deuxième phénomène pourrait entrer en jeu. Si la glace d’un kilomètre d’épaisseur qui se jette dans l’océan perd entièrement sa plateforme de glace de soutien, la fraction de glace au-dessus du niveau de la mer peut former une falaise de glace massive exposée au-dessus de la surface de l’océan. Cette hypothèse émergente postule que les falaises de glace deviennent instables et s’effondrent si elles dépassent ~ 90 m au-dessus du niveau de la mer, facilitant le retrait rapide des calottes glaciaires. Ce processus peut avoir été important en Antarctique au cours des périodes de réchauffement passées. 

Le mécanisme des falaises de glace permet d’augmenter la sensibilité d’une modélisation, montrant ainsi qu’il est possible d’atteindre les niveaux de la mer très élevés du passé. Cependant, l’hypothèse de l’effondrement des falaises ne fait pas l’objet d’un consensus. Elle n’a pas été observée à grande échelle en Antarctique, et il n’est donc pas aisé de déterminer à quelle vitesse une falaise de glace serait susceptible d’être fragilisée.

Certains chercheurs estiment que ces falaises de glace ne sont peut-être pas si instables. Heureusement, le phénomène n’est pas encore observé en Antarctique aujourd’hui, car la plupart des principaux glaciers de sortie de l’Antarctique se déversent vers les plateformes de glace qui agissent encore en contrefort. Mais cela pourrait changer avec un réchauffement futur. L’existence de fissures et de crevasses profondes pourraient fragiliser ces falaises. 

En résumé, l’effondrement des falaises de glace est un facteur clé qui pourrait accélérer la contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau mais il n’y a pas de certitude à ce sujet.

Ces phénomènes dynamiques ont été testés grâce à un modèle pour évaluer leur capacité à simuler la contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer il y a 125 000 ans (la fin de la dernière période glaciaire, à environ 1°C de réchauffement) et il y a environ 3 millions d’années (le milieu du Pliocène, à 2-3 °C de réchauffement). Le modèle a bien reproduit ces conditions passées seulement lorsque la dynamique associée à la rupture des plateformes de glace recouvertes d’eau de fonte et l’effondrement des falaises ont été inclus. 

La conclusion de l’étude est qu’à mesure que les températures augmentent, la perte de glace de l’Antarctique accélère avec le risque d’atteindre des conditions irréversibles assez rapidement. 

Avec des températures de +1,5°C à 2°C, la perte de glace antarctique et sa contribution à l’élévation du niveau de la mer se poursuivent aux taux observés aujourd’hui, atteignant probablement de 6 à 11 cm d’ici 2100. Au-delà de ce siècle, la contribution se poursuit à un rythme similaire, ne s’accélérant que légèrement vers 2300.

Même si le réchauffement climatique est limité à 1,1°C, le niveau actuel, l’élévation du niveau de la mer dû à l’Antarctique ne cesse pas. Au lieu de cela, elle continue lentement pendant des siècles, sans s’arrêter. Cela correspond à ce que nous savons du passé de la Terre. Dans le dernier interglaciaire, par exemple, lorsque le niveau de la mer s’est stabilisé à 6-9 mètres plus haut qu’aujourd’hui, il a fallu plusieurs milliers d’années pour atteindre ces niveaux.

Dans des scénarios de 3°C de réchauffement, la modélisation suggère que l’Antarctique connaît une forte augmentation de son taux d’élévation du niveau de la mer, déclenchée par le retrait rapide de Thwaites, qui déstabilise une grande partie ou la totalité de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental. Les simulations suggèrent que cette accélération commence vers 2060, atteignant 5 mm par an à la fin de ce siècle. En comparaison, le taux actuel de toutes les sources (y compris le Groenland, les glaciers terrestres et l’expansion thermique) est d’ environ 3 à 4 mm par an. L’élévation totale du niveau de la mer (liée à tous les facteurs) pourrait alors dépasser 1 cm par an.

Un saut encore plus net et plus catastrophique se produit avec un réchauffement au-dessus de 3°C. En utilisant le scénario d’émissions très élevées RCP8.5 entraînant un réchauffement d’environ 4,5°C en 2100, les auteurs de l’étude constatent que l’élévation du niveau de la mer liée à l’Antarctique est presque le double de celle des scénarios 3°C, atteignant au total 34 cm d’ici 2100 puis dépassant 6 cm par an dici 2150, alors que la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental se désintègre. Dans ce scénario, l’instabilité de la calotte glaciaire est également déclenchée en Antarctique oriental ; et d’ici 2300, l’élévation du niveau de la mer liée à l’Antarctique atteint à elle seule près de 10 mètres.

D’après le GIEC, l’élévation du niveau de la mer due à tous les facteurs dans un avenir à fortes émissions (RCP 8.5) se situerait entre 60 centimètres et 1 mètre d’ici 2100. L’instabilité des falaises pourrait cependant conduire à une élévation au-delà de 2 mètres dès 2100,  disaient déjà Kopp, DeConto et Pollard en 2017. En revanche, cette instabilité n’aura pas beaucoup d’effet si nous atteignons l’objectif d’émissions de l’Accord de Paris. Ce dernier permettrait de contenir la hausse mondiale probable entre 30 et 90 centimètres.

Projections d’élévation du niveau de la mer avec le scénario RCP 8.5 pour 2050, 2100 et 2300. Source : Kopp et al.

Comme dans les scénarios 1,5°C et 2°C, cette perte de glace antarctique et l’élévation du niveau de la mer se poursuivraient pendant de nombreux siècles. A ceux qui jugeront ces conclusions alarmistes, il faut rappeler que les données du passé suggèrent de 2°C à 3°C se sont soldées par un niveau de la mer environ 20 mètres plus élevé qu’aujourd’hui.

Il faut cependant ajouter que l’étude se base sur un seul modèle. D’autres modèles incluant les phénomènes physiques décrits précédemment pourraient constater une élévation du niveau de la mer inférieure ou supérieure.

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12 réponses »

  1. On oublie souvent que l’Antarctique, et plus précisément l’Antarctique de l’Ouest, est géographiquement un chapelet de grandes îles, donnant une part prépondérante à l’eau. Ce n’est pas du tout une masse continentale recouverte de glaciers. Cela implique des phénomènes très divers au niveau des plateformes.

    Pour info, je ne sais toujours pas comment faire pour coller une image sur ce blog. Je copie mais le mode coller m’est refusé.

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  2. En fait, l’Antarctique de l’ouest est bien une masse continentale, d’un point de vue géologique; seulement, cette masse s’est enfoncée de plusieurs centaines de mètres dans la lithosphère sous le poids des glaciers. Une fonte de la calotte entraînerait une remontée du continent à long terme, d’où une hausse supplémentaire du niveau des océans puisque c’est tout une mer qui sera chassée de la zone par l’élévation de la croute terrestre.

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    • L’Antarctique est effectivement un continent ; l’impression d’un archipel ne serait que le résultat visible d’une fonte de la partie Ouest, comme ce fut le cas au Miocène sur la reconstruction ci-dessous

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    • Et c’est qu’il y aurait même beaucoup de clathrates. 🙂
      Mais on a le temps de s’auto-terminer avant.

      Si l’eustatisme sera peut-être insuffisant pour garantir la fonte basale actuelle (on n’est plus sûr de rien pour l’avenir… toute la colonne d’eau pourrait chauffer uniformément), il a été tout de même remarqué que la fonte de la partie occidentale est le fait du transport d’humidité sur de longue distance. Les fracturations, les bédières et autres moulins parachèveront l’écoulement de plus grandes quantités d’eau plus loin de l’intérieur vers l’extérieur de l’inlandsis et ce d’autant plus rapidement.
      Ce serait bien plus qu’une mer chassée à terme.

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      • Je ne pense pas qu’il y ait des clathrates de méthane sur le continent lui même, car il était émergé au moment où la calotte a commencé à se former, il y a 40 millions d’années; par contre, il y en a très certainement sur les marges continentales, actuellement à plus de 1000 mètres de profondeur mais qui se retrouveront près de la surface si la calotte fond en majeure partie. Enfin, ça, se sera dans plusieurs millénaires.

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        • Sur le continent, je suppose qu’il doit y en avoir au même titre que les régions arctiques et les hautes altitudes (pergélisol), avant que la couche de glace stabilisant et conservant l’ensemble ne finissent par enfoncer le tout sous le niveau de la mer – donc n’ayant pas connu autant de cycles de gel/dégel.
          L’activité anaérobie d’organismes méthanotrophes comme certaines archées remarquée lors des carottage vers les lacs sub glaciaires (de mémoire il y a a peine une dizaine d’années dont celui de Vostok), pourrait aussi en trahir la présence. Bombe ou pet à méthane (ou à CO₂) à venir, très certainement, mais ça ne sera pas de mon vivant. Ou alors on aurait sacrément mal déconné.

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