Le rôle de puits de carbone de la plus grande forêt tropicale de la planète est menacé par la déforestation et le réchauffement climatique. Une étude montre que le sud-est de l’Amazonie a été une source de carbone sur la période 2010-2018.
Il y a beaucoup de carbone stocké dans les forêts de l’Amazonie mais dans certaines régions, le dioxyde de carbone libéré dans l’atmosphère excède maintenant ce qui est absorbé. D’après une étude publiée dans la revue Nature, des centaines d’échantillons prélevés en altitude au cours de la dernière décennie montrent que le sud-est de l’Amazonie a été une source de dioxyde de carbone sur la période 2010-2018, une évolution qui semble liée au changement climatique et à la déforestation.
Les puits de carbone océanique et terrestre absorbent la moitié environ des émissions anthropiques de CO2. Les écosystèmes terrestres ont permis sur les 50 dernières années de pomper un quart du dioxyde de carbone lié aux activités humaines. Ils le doivent pour à la forêt tropicale amazonienne, où le CO2 absorbé pour la photosynthèse excède la quantité émise par la décomposition de la matière organique.
Si l’Amazonie, avec les 123 milliards de tonnes de carbone contenus dans ses arbres et son sol (équivalent à 450 milliards de tonnes de CO2), en arrivait à devenir une source plutôt qu’un puits de CO2, l’équation du changement climatique prendrait un tour plus complexe. Il faut rappeler que les émissions actuelles de CO2 sont d’environ 40 milliards de tonnes par an.

La déforestation et la dégradation de la forêt semblent réduire la capacité de l’Amazonie à assurer son rôle de tampon, d’après les chiffres présentés dans Nature. Depuis 1970, les forêts tropicales de la région ont diminué de plus de 17%, principalement pour permettre l’élevage du bétail et les cultures qui les nourrissent.
Les forêts sont généralement défrichées par le feu, ce qui à la fois libère de grandes quantités de CO2 et réduit le nombre d’arbres disponibles pour absorber le dioxyde de carbone.
Le changement climatique est également un facteur clé. Annuellement, l’Amazonie se réchauffe dans son ensemble à peine plus que le reste de la planète. Mais il y a de grandes différences selon les régions et les saisons. Le sud-est est a pris 2,5°C en 40 ans sur la période de la saison sèche (août-septembre-octobre). Et davantage encore sur août-septembre avec +3,07°C degrés entre 1979 et 2018, soit le triple de la moyenne mondiale. Cette région de l’Amazonie est donc avec l’Arctique un « point chaud » du réchauffement climatique.
La hausse des températures semble s’accélérer, les taux de croissance annuels augmentant au cours des 40, 30 et 20 dernières années. Cela concerne toute l’Amazonie et toutes les saisons mais l’accélération est particulièrement notable dans le sud-est lors de la saison sèche.
Sur les 40 dernières années, pour la période août-septembre-octobre, les précipitations ont diminué de 17% pour l’Amazonie dans son ensemble mais la baisse est surtout significative dans le sud-est avec -24% et le nord-est avec -34%. Les changements annuels de précipitations pour l’Amazonie dans sa globalité ne sont statistiquement pas significatifs. Une fois de plus, on observe un fort contraste saisonnier et régional.

La capacité du bassin amazonien à absorber le CO2 est un point clé mais les données satellitaires, en partie à cause de la couverture nuageuse persistante, ne sont pas en mesure de fournir une réponse complète. Pour contourner ce problème, les chercheurs ont utilisé des avions pour collecter près de 600 échantillons de CO2 et de monoxyde de carbone de 2010 à 2018, à des altitudes allant jusqu’à 4,5 kilomètres au-dessus de la canopée. Les relevés leurs ont permis de faire un bilan du CO2 absorbé par les forêts pour la photosynthèse par rapport à la quantité de CO2 produite par la décomposition de la matière organique. La mesure du monoxyde de carbone a été utilisée pour déterminer le poids des émissions de combustion de la biomasse dans le flux de carbone.
Les relevés reflètent clairement les dégâts engendrés par l’activité humaine. Les changements les plus importants sont relevés dans les zones qui ont subi une déforestation à grande échelle et ont été fortement brûlées.
L’étude montre que l’ouest de l’Amazonie absorbe encore légèrement plus de CO2 qu’il n’en dégage. Mais le sud-est, surtout pendant la saison sèche, émet plus de dioxyde de carbone qu’il n’en absorbe. On y observe une hausse des températures et une baisse des précipitations.

Au cours des 40 dernières années, l’Amazonie orientale a été soumise à plus de déforestation, de réchauffement et de stress hydrique que la partie occidentale, le sud-est connaissant les tendances les plus fortes avec une saison sèche qui se rallonge.
La forêt tropicale reçoit des précipitations à l’échelle du bassin d’environ 2 200 mm par an en moyenne. L’évapotranspiration a été estimée par plusieurs études comme étant responsable de 25 % à 35 % des précipitations totales. Mais les activités humaines risquent de perturber les interactions écosystème-climat. L’élimination des forêts provoque une augmentation de la température et réduit l’évapotranspiration.

L’Amazonie a perdu plus de 17% de sa surface forestière depuis 1970, notamment pour la conversion en terres agricoles (pâturage, cultures). La déforestation s’est fortement accélérée entre 1991 et 2004, jusqu’à atteindre un taux annuel de perte de surface forestière de 27 423 km2 en 2004. Le taux de déforestation a commencé à ralentir à partir de 2004, tombant à 4 571 km2 en 2012. On observe cependant une reprise depuis 2015. La situation s’est encore aggravée avec l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil en 2019. En 2020, la déforestation a atteint son plus haut niveau depuis 2008 : 11 088 km2 de perdus, l’équivalent de la région Ile-de-France. Cela représente une hausse de 9,5% par rapport à l’année précédente.
Passés certains seuils, il est à craindre que des puits de carbone deviennent des sources importantes de libération gaz à effet de serre dans l’atmosphère. L’Amazonie est l’un des exemples de rétroactions susceptibles d’amplifier le réchauffement climatique. D’autres phénomènes pourraient entrer en jeu, comme le dégel du pergélisol, qui contient de grandes quantités de carbone organique.
Le dégel du pergélisol, les hydrates de méthane océaniques, l’affaiblissement des puits de carbone terrestres et océaniques, la croissance de la respiration bactérienne, le dépérissement des forêts amazonienne et boréale, la réduction de la couverture de neige, la réduction de la glace de mer et des calottes polaires sont autant de processus qui pourraient amplifier l’élévation de température globale liée à la hausse de concentration de CO2. Difficile de quantifier ces rétroactions, mais d’après une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), l’ensemble de ces facteurs pourrait faire passer un réchauffement de 2°C à environ 2,47°C, avec une fourchette probable entre +2,24°C et +2,66°C.
Catégories :Climat
Bonjour Johan,
Les observations de la NASA vont dans le même sens : https://advances.sciencemag.org/content/7/27/eabe9829
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Bonjour Ghtuz,
Bien vu, cette étude est très intéressante. Basée sur les données satellites traitées par machine learning, ellle complète celle tirée du terrain si je puis dire (mesures depuis des avions).
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Et comme avec courant d’air, le mouvement de la fenêtre s’accélère avant qu’elle ne claque : https://www.nature.com/articles/s41558-022-01287-8
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