Climat

Un réchauffement quatre fois plus rapide de l’Arctique

Au cours des dernières décennies, le réchauffement de l’Arctique a été beaucoup plus rapide qu’au niveau global. De nombreuses études indiquent que l’Arctique se réchauffe deux fois, voire trois fois plus vite que le reste de la planète en moyenne… Un phénomène connu sous le nom d’Amplification arctique (AA). Une nouvelle analyse utilisant plusieurs ensembles de données d’observation qui couvrent la région arctique montre qu’au cours des 40 dernières années, l’Arctique s’est en fait réchauffé presque quatre fois plus vite que le globe dans son ensemble.

Le rythme de réchauffement plus rapide de l’Arctique par rapport à la moyenne planétaire ne fait plus guère de doute. Ce phénomène, appelé Amplification arctique (AA), peut être observé à la fois dans les observations et les modèles, mais à des degrés différents. Un article en preprint publié dans Research Square sous la direction de Mika Rantanen montre que l’Arctique s’est réchauffé presque quatre fois plus vite que la planète dans son ensemble.

Anomalies de température moyenne annuelle dans l’Arctique et dans le monde pendant la période 1900-2019, dérivées des différents ensembles de données d’observation (voir la légende). Les anomalies de température ont été calculées par rapport à la période 1981- 2010. Source : Rantanen et al.

Bien qu’il n’y ait aucun doute sur le réchauffement accru de l’Arctique dû à l’augmentation des gaz à effet de serre, il ne semble pas y avoir de consensus clair sur l’importance relative des mécanismes de rétroaction menant à l’Amplification arctique. Au cours de la dernière décennie, de multiples facteurs ont été proposés pour expliquer l’AA : réduction de l’albédo de surface due à la perte de glace de mer et de la neige, rétroaction de Planck, rétroaction du gradient thermique adiabatique (diminution de la température troposphérique avec l’altitude), inversion de la température de surface, rétroaction des nuages, transport de chaleur dans l’océan ou encore le transport méridien de l’humidité atmosphérique. En outre, la réduction de la pollution en Europe peut avoir contribué au réchauffement de l’Arctique au cours des dernières décennies. Des réductions possibles des aérosols asiatiques dans le cadre d’une politique d’atténuation forte pourraient augmenter l’AA future.

La difficulté de définir l’Amplification arctique tient à ce que la période d’intérêt et la zone de l’Arctique peuvent être définies de multiples façons. Le réchauffement peut être calculé à partir des tendances linéaires des 30 à 50 dernières années, voire de périodes plus longues. En outre, la zone de l’Arctique peut être définie en utilisant les seuils de latitude 60N, 65N ou 70N, ou des définitions non basées sur la latitude. Le profil ci-dessous montre la tendance du réchauffement selon la latitude sur la période 1980-2019 d’après les données NASA Gistemp. On peut voir assez clairement que l’AA se renforce en fonction de la latitude.

Tendance du réchauffement sur la période 1980-2019 d’après les données Gistemp. Source : NASA GISS.

Il existe différentes définitions de la superficie de l’Arctique mais l’étude de Mika Rantanen utilise la zone entourée par le cercle polaire arctique (66,5-90N) comme définition primaire de l’Arctique, partant du constat qu’il s’agit de la zone que la plupart des scientifiques considèrent comme l’Arctique. Le quatrième rapport d’évaluation (AR4) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a défini l’Arctique comme la région située au pôle de 65.0N, et l’AR5 a utilisé 67.5N.

Bien que des améliorations aient été apportées aux modèles pour représenter de manière réaliste l’évolution du climat arctique et de la glace de mer dans le cadre du réchauffement climatique, la plupart des modèles de la dernière génération de la phase 6 du projet de comparaison des modèles couplés (CMIP6) peine toujours à simuler une sensibilité plausible de la perte de glace de mer à l’augmentation des températures mondiales. Le déclin de glace de mer étant l’un des principaux mécanismes à l’origine de l’AA, la question qui se pose est de savoir si les modèles climatiques sont capables de reproduire l’ampleur de l’AA observée.

L’étude montre l’évolution des températures moyennes mondiales et arctiques entre 1900 et 2019 en considérant quatre ensembles de données d’observation : GISTEMP, BEST, Cowtan & Way et ERA5. Par rapport aux températures mondiales, les variations de température dans l’Arctique apparaissent comme largement amplifiées. Les variations multidécennales peuvent être divisées en trois périodes distinctes : tout d’abord, une hausse des températures entre 1900 et 1940 (souvent appelée réchauffement du début du XXe siècle) ; ensuite, une baisse des températures entre 1940 et 1980 (appelée refroidissement du milieu du XXe siècle) ; et enfin, la période de réchauffement récente, depuis environ 1980.

Le réchauffement de l’Arctique depuis les années 1980 a été particulièrement fort, et les différents ensembles de données sont en étroite concordance les uns avec les autres.

Les observations indiquent qu’au cours de la période 1980-2019, une grande partie de l’océan Arctique s’est réchauffée à un rythme de plus 0,75°C par décennie, avec un maximum de réchauffement dans le secteur eurasien de l’océan Arctique, près de Svalbard et de Novaya Zemlya. Dans cette région, la tendance des températures sur la période 1980-2019 dépasse 1,25°C par décennie ! Une autre région qui se réchauffe rapidement est la zone située au nord du détroit de Béring, avec une tendance au réchauffement de 1°C décennie… En revanche, les grandes régions continentales de la Sibérie occidentale et de l’Amérique du Nord ne manifestent pas de tendances aussi marquées. Ces régions sont situées à des latitudes plus moyennes et ne sont qu’indirectement touchées par l’AA. Les schémas spatiaux des tendances de température sont largement cohérents entre les différents ensembles de données d’observation. GISTEMP montre des maxima de réchauffement un peu moins prononcés près de Svalbard et du détroit de Béring, probablement en raison d’une méthode d’interpolation (un outil statistique permettant de calculer des données manquantes grâce aux stations les plus proches) différente de celle de Berkeley Earth et Cowtan & Way.

Tendances des températures moyennes annuelles (ligne supérieure) et Amplification arctique (ligne inférieure) pour la période 1980-2019, dérivées des observations (a,e), de la moyenne multi-modèle CMIP5 (b,f), de la moyenne multi-modèle CMIP6 (c,g) et de la moyenne MPI-GE (d,h). La ligne pointillée représente le cercle arctique (latitude 66,5N). Dans la rangée supérieure, les zones sans changement statistiquement significatif sont masquées. Source : Rantanen et al.

En ce qui concerne les tendances de la température simulée, les modèles CMIP5 indiquent un plus faible réchauffement sur l’océan Arctique par rapport aux observations. Par exemple, le taux de réchauffement simulé par CMIP5 près de la région de Svalbard est inférieur à 1°C par décennie alors que les observations montrent un réchauffement de plus de 1.25°C par décennie.

Dans la moyenne multi-modèle de CMIP6, l’ampleur du réchauffement dans l’océan Arctique est légèrement plus élevée que dans les modèles CMIP5 et donc plus proche des observations, bien que les maxima de réchauffement localisés près du Svalbard et du Détroit de Béring soient certainement sous-estimés dans les deux générations de modèles. En revanche, le réchauffement en dehors de l’Arctique a en réalité été plus lent que ce qu’impliquent les modèles CMIP5 et CMIP6, en particulier en Sibérie occidentale et sur le continent nord- américain.

Entre 1980 et 2019, de grandes parties de l’Océan Arctique se sont réchauffées au moins quatre fois plus vite que la moyenne mondiale. Il semble que les valeurs AA les plus extrêmes observées dans les zones maritimes proches du Svalbard (plus de sept fois la moyenne mondiale) soient liées à la perte de glace de mer, qui a a été la plus prononcée dans la mer de Barents. Les zones avec des taux élevés de changement de température correspondent étroitement aux régions avec des taux élevés de perte de glace de mer.

Source : Wikipedia

Une étude publiée dans la revue Nature Climate Change en 2020 avait montré que le réchauffement observé dans certaines régions arctiques pouvait être comparé aux événements régionaux de réchauffement extrême à la fin de la dernière période glaciaire. Dans le passé, les modèles et les données indiquent que la disparition de la glace de mer a précédé les brusques changements de température, ce qui est le cas depuis 40 ans dans l’Arctique. Ce qui explique la tendance au réchauffement rapide lors des événements passés est probablement l’importante couverture de glace de mer avant leur émergence : il y avait alors un potentiel de réchauffement très important.

La couverture de glace de mer de l’Arctique isole un océan Arctique relativement chaud d’une atmosphère beaucoup plus froide. Le retrait ou l’affaiblissement de la couverture de glace de mer isolante entraîne logiquement un réchauffement de l’atmosphère. La fonte de la glace met à découvert des zones d’eau libre sombres qui absorbent facilement le rayonnement solaire, ce qui augmente le contenu en chaleur dans les 20 mètres supérieurs de l’océan. A la surface des terres, le réchauffement entraîne une fonte des neiges plus précoce à l’approche de l’été, ce qui signifie une exposition prématurée de la surface sombre sans neige et une plus forte absorption du rayonnement solaire.

Les observations montrent que le rythme de hausse de la température de l’Arctique est de 0,73C° décennie alors qu’il est de 0,19°C décennie pour l’ensemble du globe, avec de petites variations entre les différents ensembles de données. Cela se solde par une AA de de 3,9 pour la période 1980-2019. Les valeurs individuelles de l’AA vont de 3,8 pour GISTEMP et ERA5 à 4,1 pour Berkeley Earth. Si l’on considère les valeurs mensuelles, l’AA est la plus forte en novembre, atteignant une valeur de 5,4 pendant la période 1980-2019.

 JanFevMarsAvrMaiJuinJuilAoûtSeptOctNovDéc
ERA54,83,83,75,32,821,52,13,655,14,5
Gistemp54,23,74,82,92,31,922,74,25,34,9
Berkeley5,64,84532,21,92,13,25,365,2
Cowtan5,14,43,94,732,322,42,84,25,24,6
Moy5,14,33,85,02,92,21,82,23,14,75,44,8

La tendance moyenne au réchauffement des modèles multiples du CMIP5 pour 1980- 2019 est de 0,61°C par décennie pour l’Arctique et de 0.24°C par décennie pour l’ensemble du globe. La moyenne de l’AA multi-modèles de CMIP5 est de 2,5. Si les modèles CMIP5 ont sous-estimé le réchauffement de l’Arctique, ils surestiment le taux de réchauffement global, ce qui entraîne une sous-estimation de 36 % de l’Amplification arctique en cours.

Les modèles CMIP6 simulent le changement de température dans l’Arctique de manière un peu plus réaliste que leurs prédécesseurs. Le taux de réchauffement moyen multi-modèles dans l’Arctique est de 0,68°C par décennie, mais par rapport aux modèles CMIP5, les modèles CMIP6 présentent une dispersion inter-modèles beaucoup plus importante dans les tendances. Conformément au taux de réchauffement plus élevé dans l’Arctique, le taux de réchauffement moyen global dans les modèles CMIP6 est également légèrement plus élevé que dans les modèles CMIP5, soit 0,25° par décennie. En raison des tendances de température plus élevées à la fois dans l’Arctique et à l’échelle mondiale, l’AA moyenne de 2,6 dans les modèles CMIP6 ne diffère pas beaucoup de l’ensemble CMIP5 et sous-estime toujours l’amplification arctique observée de 33 %.

Presque tous les modèles simulent une perte de glace de mer trop faible. Un autre facteur potentiel induisant des différences entre les ratios d’Amplification arctique modélisés et observés est la phase dite de « hiatus du réchauffement climatique » qui s’est produite entre 1998 et 2012 environ. Comme l’a montré une étude menée en 2014 par Matthew England, un renforcement des vents d’est sans précédent a été observé lors des années 2000, sans équivalent sur les 100 dernières années. Ces vents ont permis d’enfouir davantage de chaleur dans l’ouest de l’océan Pacifique, faisant remonter des eaux plus froides à la surface de l’autre côté, à l’est. L’impact des anomalies de température tropicales du Pacifique ne s’est pas étendu aux hautes latitudes nord où le réchauffement s’est poursuivi sans relâche. Le hiatus a ainsi été surestimé par certaines analyses. Certaines estimations sont biaisées par le fait que l’Arctique ne dispose pas d’un solide réseau d’instruments pour collecter les données de température. Certaines agences, comme le Met Office, omettent tout simplement les régions non couvertes alors que d’autres, comme la NASA, et dans une moindre mesure la NOAA, utilisent une méthode appelée interpolation pour combler les manques. Il s’agit d’estimer les valeurs des régions non couvertes grâce aux stations les plus proches. Le Met Office a corrigé depuis ce biais dans ces données. En outre, il faut préciser que des études statistiques ont montré que ledit hiatus relevait du bruit lié à la variabilité naturelle et non un changement de tendance. La suite a d’ailleurs montré que le réchauffement avait repris un rythme rapide quand la variabilité naturelle s’est retournée.

Dans les simulations des modèles, un hiatus est un phénomène possible, car lié à la variabilité naturelle. Si le hiatus s’avère effectivement être une source importante de la différence d’AA entre les simulations de modèles et les observations, on peut s’attendre à ce que l’AA observée soit réduite à long terme, parallèlement à la réduction du rapport entre le changement climatique forcé et non forcé.

Les modèles climatiques sous-estiment en moyenne l’Amplification arctique de 33 à 36 %. Cela est également vrai pour les derniers modèles CMIP6, même si certains de ces modèles reproduisent mieux le taux de réchauffement absolu dans l’Arctique. Cependant, les modèles qui montrent une tendance plausible au réchauffement de l’Arctique ont simultanément un réchauffement global trop important. En revanche, les modèles qui simulent un réchauffement global raisonnable ont généralement un réchauffement arctique trop faible. Ces résultats montrent que la plupart des modèles climatiques sont incapables de simuler un réchauffement rapide de l’Arctique en même temps qu’un réchauffement global plus faible.

Les raisons de la sous-estimation de l’AA dans les modèles climatiques ne sont pas claires. D’après les auteurs de l’étude, il est probable que la variabilité interne du climat, par exemple le hiatus du début du 21e siècle dans le réchauffement climatique, contribue à la grande AA observée. Cependant, la sous-estimation de l’AA par les modèles se révèle également lorsque l’on compare les observations avec des modélisations qui tiennent fidèlement compte de la variabilité interne. L’analyse suggère qu’une des causes potentielles de la sous-estimation de l’AA est la faiblesse des mécanismes de rétroaction entre la fonte de la glace de mer et le réchauffement atmosphérique dans les modèles climatiques, ce qui se traduit par leur incapacité à reproduire la structure verticale du réchauffement observé de l’Arctique.

L’Amplification arctique agit pour réduire le gradient de température méridional et peut donc avoir des implications sur la météo et le climat des latitudes moyennes, en particulier via le courant-jet. C’est un sujet actif de recherche et il reste encore à prouver que les effets de l’AA ont eu une influence perceptible sur les tendances climatiques récentes aux latitudes moyennes et sur l’occurrence des événements extrêmes. Le dégel du pergélisol risque aussi d’entraîner une augmentation de l’activité microbienne et la libération du carbone actuellement bloqué dans les sols gelés, ce qui déclenchera une rétroaction qui entraînera un réchauffement supplémentaire.

Catégories :Climat, Pôles

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