Les changements climatiques liés à un scénario de fortes émissions de CO2 pourraient rendre les cyclones tropicaux puissants deux fois plus fréquents d’ici le milieu du siècle, selon une nouvelle étude publiée dans Science Advances. L’analyse prévoit également que les vitesses maximales du vent associées à ces cyclones pourraient augmenter d’environ 15 %.
Les évaluations d’impact de cyclones tropicaux s’appuient souvent sur des projections climatiques provenant de modèles climatiques globaux (GCM) pour des scénarios spécifiques d’émissions de gaz à effet de serre. Cependant, les GCM fournissent des informations limitées sur la façon dont les cyclones tropicaux peuvent changer, principalement parce que la résolution spatiale est insuffisante pour résoudre adéquatement l’intensité, la taille et la trajectoire des cyclones tropicaux. Récemment, des progrès substantiels ont été réalisés dans le développement de modèles à haute résolution (±0,25°). Cependant, ces GCM ont encore du mal à capturer les cyclones les plus intenses, à la fois par des limitations continues de résolution et de précision numérique et par des paramétrisations de processus convectifs qui ne tiennent pas pour les phénomènes les plus intenses.
Les cyclones tropicaux sont en outre relativement rares. Au cours d’une année donnée, seulement 80 à 100 cyclones tropicaux se forment dans le monde, dont la plupart ne touchent jamais terre.
Une nouvelle étude parue dans Science Advances utilise un modèle synthétique de génération des cyclones tropicaux baptisé STORM pour créer des cartes de période de retour de vitesse du vent cohérentes à l’échelle mondiale à une résolution de 10 km. Cette nouvelle approche combine des données historiques avec des modèles climatiques mondiaux pour générer des centaines de milliers de « cyclones tropicaux synthétiques ».
Constatant qu’il serait difficile de calculer le risque de cyclone tropical à partir des ensembles de données (historiques) disponibles, pour la simple raison que ces ensembles de données sont trop clairsemés au sens spatial et temporel pour obtenir une bonne compréhension du risque de cyclone tropical, une équipe de chercheurs a développé une méthode pour étendre l’ensemble de données en créant un modèle synthétique permettant de générer l’équivalent de 10 000 ans d’activité de cyclones tropicaux. Cette longueur était nécessaire pour analyser des événements à faible probabilité tels qu’un cyclone tropical avec une période de retour de 1 sur 100 ou 1 sur 1000 ans.
Ivan Haigh, de l’Université de Southampton, et Nadia Bloemendaal, de l’Institut d’études environnementales d’Amsterdam, ont ainsi conçu un modèle innovant entièrement statistique qui pourrait être exécuté pour n’importe quel bassin océanique, appelé Modèle Synthétique de génération de cyclOne tropical (STORM). STORM utilise des informations sur la fréquence, l’intensité et la trajectoire des cyclones tropicaux, et les rééchantillonne statistiquement pour créer de nouveaux cyclones tropicaux dits « synthétiques ». Les cyclones tropicaux synthétiques sont des cyclones tropicaux qui ne se sont pas produits en réalité, mais qui sont théoriquement possibles dans nos conditions climatiques actuelles. En répétant cette procédure, il est possible de créer un ensemble de données équivalent à 10 000 ans d’activité des cyclones tropicaux. L’ensemble de données STORM représente 10 000 ans avec le climat actuel, de sorte qu’aucun changement climatique n’est pris en compte.
Pour la nouvelle étude publiée dans Science Advanccs, un modèle statistique STORM a permis aux chercheurs de générer 10 000 ans de cyclones tropiques synthétiques dans les conditions climatiques passées (1980-2017) et futures (2015-2050 ; RCP8.5/SSP5) à partir d’un ensemble de quatre modèles climatiques à haute résolution.
Avec un scénario de fortes émissions de gaz à effet de serre, l’étude montre pour 2015-2050 une augmentation à l’échelle mondiale de la fréquence d’occurrence des cyclones tropicaux intenses (c’est à dire dépassant la catégorie 3 sur l’échelle du vent Saffir-Simpson) et une diminution de la fréquence des systèmes plus faibles tels que les tempêtes tropicales. Les résultats sont similaires pour les différents bassins, à l’exception du Golfe du Bengale (nord-est de l’Océan Indien), où la fréquence des cyclones intenses diminue sous le changement climatique. Ceci est conforme aux résultats d’autres études utilisant des modèles à haute résolution (plus de 28 km × 28 km).
L’article annonce également une augmentation de l’intensité des cyclones tropicaux, évaluée en fonction de la vitesse maximale moyenne du vent (en mètres par seconde). À l’échelle mondiale, la vitesse maximale du vent passe de 35,0 ± 1,9 m/s à une moyenne de 39,9 ± 3,0 m/s à travers les ensembles de données STORM-C du climat futur, tous les modèles étudiés s’accordant sur le changement. Les différences les plus importantes dans la vitesse maximale moyenne du vent se trouvent dans le Pacifique Est, avec une augmentation de 7,7 m/s par rapport au niveau de référence (de 37,0 à 44,7 m/s). Les augmentations relatives de la vitesse maximale du vent entre la valeur de référence et les différents ensembles de données sur le climat futur pour les différents bassins se situent entre 7,2 et 23,8 %, avec une hausse moyenne globale entre 11 et 15%. Bien que le signe du changement soit le même, la fourchette est plus élevée que celle observée dans un article de référence, Knutson et al., qui rapporte une augmentation de 5% (fourchette entre 1 et 10%) dérivée de la synthèse des résultats de nombreuses études basées sur les modèles climatiques globaux. Les raisons possibles de ces différences tiennent principalement à la forte dépendance de l’intensité de cyclones tropicaux à l’égard des températures de surface de la mer dans STORM. Un affaiblissement des cyclones tropicaux peut cependant intervenir avec le cisaillement (vertical) du vent, l’entraînement de l’air sec et l’influence des masses terrestres voisines, ce qui pourrait expliquer les différences.
Le tableau ci-dessous montre la vitesse maximale des vents avec dans la colonne de gauche (STORM Baseline) la période de référence 1979-2017, dans les colonnes suivantes (CMCC, CNRM, EC-Earth, HadGEM) les résultats pour la période 2015-2050 sous le scénario RCP8.5. avec à droite la moyenne des modèles (Aggregated over GCMs).


Outre l’augmentation globale prévue de l’intensité des cyclones tropicaux, les données de l’étude montrent également une forte augmentation de la fréquence des cyclones tropicaux intenses (catégorie 4 et catégorie 5) au niveau global de +63 à +104% selon les modèles. Dans les différentes régions, on trouve une augmentation de la fréquence des cyclones tropicaux de + 0,5% (modèle EC -Earth dans l’Atlantique Nord) à 218 % (modèle HadGEM dans le Pacifique Sud). Les ensembles de données STORM suggèrent en outre une expansion future vers le pôle de l’emplacement de l’intensité maximale dans l’hémisphère Nord, en particulier dans le Pacifique occidental et l’Atlantique Nord.
L’étude évalue enfin les périodes de retour des vitesses maximales du vent pour 18 mégapoles côtières situées dans des régions sujettes aux cyclones tropicaux. Pour 14 villes, les simulations montrent une augmentation de la vitesse maximale du vent dans toute la gamme des périodes de retour. Pour Nouméa (Nouvelle-Calédonie), la vitesse maximale du vent avec une période de retour de 100 ans (un événement qui se produit tous les 100 ans) passe de 46,8 m/s dans le climat de référence à 53,0-59,0 m/s avec le changement climatique, ce qui représente la plus forte augmentation parmi les villes étudiées. Pour la période de retour de 1000 ans, la plus forte augmentation de la vitesse maximale du vent se trouve à San Diego (Etats-Unis), passant de 34,3 m/s à 42,9-48,2 m/s. Les villes du bassin de l’Atlantique Nord connaissent une évolution beaucoup moins nette et le Golfe du Bengale fait figure d’exception.

Les 18 villes côtières sont réparties uniformément sur les six bassins océaniques : Pacifique Est (A), Atlantique Nord (B), Indien du Nord (C), Indien du Sud (D), Pacifique Sud (E) et Pacifique occidental (F). La ligne continue représente les RP STORM-B (correspondant aux conditions climatiques moyennes de 1980-2017). Les zones ombrées indiquent la gamme de PR des quatre ensembles de données STORM-C (correspondant aux conditions climatiques moyennes de 2015-2050). Source : Bloemendaal et al. (Science Advances)
Bon nombre des endroits les plus à risque se trouveront dans des pays à faible revenu. Les pays où les cyclones tropicaux sont relativement rares aujourd’hui verront un risque accru dans les années à venir, y compris le Cambodge, le Laos, le Mozambique et de nombreuses nations insulaires du Pacifique, telles que les îles Salomon et les Tonga. À l’échelle mondiale, l’Asie connaîtra la plus forte augmentation du nombre de personnes exposées aux cyclones tropicaux, avec des millions supplémentaires exposées en Chine, au Japon, en Corée du Sud et au Vietnam.
Catégories :Climat
Bonjour
Une question (un peu idiote certainement) au sujet de la vitesse maximale du vent. 37m/s égale 130 km/h. Cela me paraît pas très important surtout pour un cyclone, quand il y a en France des tempêtes avec 130 140 km/h de vent voir plus 160km/h pour Xynthia. une erreur ou je comprends pas tout?
Merci pour votre site que je suis avec attention depuis plusieurs années. Je ne commente jamais, au vu de mes connaissances médiocres en climatologie. j’apprends.
Cordialement
Cédric
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Bonjour Cédric,

A l’échelle globale, la vitesse des vents pour les cyclones tropicaux pourrait passer de 35 m/s (126 km/h) à 39,9 m/s (143,6 km/h) mais il s’agit de la valeur pour les cyclones tropicaux en général et non pas celle des cyclones les plus puissants.
L’étude montre non seulement que la vitesse des vents augmenterait pour les cyclones en général mais aussi une augmentation de la fréquence des cyclones de catégorie 4 et 5, qui pourrait être deux fois plus fréquente. On parle là de vents de plus de 209 km/h pour la catégorie 4 et de plus de 250 km/h pour la catégorie 5.
Attention par ailleurs à la définition du vent maximal. Sur les cyclones tropicaux, on parle de vent maximal soutenu sur 1 ou 10 minutes selon les régions du monde. Sur les tempêtes en Europe, on fait souvent référence au vent maximal instantané, ou rafale, de l’ordre de quelques secondes (la différence avec un vent soutenu de 1 minute est d’environ 30%). Voir (https://www.meteo.nc/en-savoir-plus/comprendre-la-meteo/phenomenes-particuliers/faq/33-le-vent-dans-les-cyclones-tropicaux/131-que-signifie-vents-moyens-maximaux-comment-sont-ils-relies-aux-rafales-dans-les-cyclones-tropicaux).
Voici un tableau qui montre approximativement le rapport entre l’échelle de Saffir-Simpson et les rafales :
Un exemple : l’ouragan Irma de 2017, catégorie 5, a connu un vent maximal soutenu sur une minute de 287 km/h mais des rafales de 360 km/h (https://www.francetvinfo.fr/meteo/cyclone-ouragan/ouragan-irma/rafales-a-360-km-h-alerte-violette-trois-preuves-que-l-ouragan-irma-est-un-phenomene-exceptionnel_2359097.html).
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J’en sais probablement moins que Johan à ce sujet, mais je me permet de vous faire une première réponse: dans un cyclone tropical, la force est mesurée selon le vent moyen sur une minute. Un cyclone de catégorie 1 est ainsi une tempête où les vents moyens sont de 119 à 153 km/h. Mais les rafales les plus puissantes peuvent être plus rapides de plusieurs dizaines de km/h: par exemple, le cyclone Irma avait atteint la vitesse moyenne maximale de 287 km/h pour une rafale de pointe à 360 km/h. Chez nous, on donne souvent la rafale la plus rapide, et effectivement, il n’est pas rare d’avoir en France ce type de vitesse; mais les vents moyens sont significativement plus bas. Facteurs agravants, les pluies et la surcôte sont bien moindres sous une tempête classique que sous un phénomène tropical.
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Ah ben, zut, je réponds une minute après Johan pour donner en gros la même réponse :-p
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Je jure qu’il n’y a eu aucune concertation 😉
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