En 2016, l’anomalie de température globale a atteint +0,99°C au-dessus de la période 1951-1980, selon la NASA. Cela nous conduit au-dessus de la prévision centrale des modèles du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Quelle portée attribuer à ce réchauffement récent ?
Les projections de James Hansen confirmées
James Hansen a été l’un des premiers à prévenir de la menace du réchauffement climatique en tant que directeur de l’institut Goddard des études spatiales (GISS), le principal laboratoire de science climatique de la NASA. Il a contribué dès les années 80 à établir les fameuses données relatives aux températures terrestres globales. Ses prévisions d’élévation des températures remontent à 30 ans. A la lumière du record de chaleur établi en 2016, +0,99°C au-dessus de la moyenne 1951-1980, il est intéressant de rappeler le graphique publié par Hansen en 1988 :

En 1988, le réchauffement global avait atteint 0,4°C par rapport à la période 1951-1980. Une augmentation qui dépassait la variabilité habituelle observée depuis le début des mesures instrumentales en 1880. Cette année 1988, James Hansen avait présenté une étude exposant trois scénarios d’émissions de gaz à effet de serre : A, B et C, du plus émetteur au moins émetteur. Celui qui se rapprochait le plus des émissions actuelles de CO2 était le scénario B qui tablait pour 2016 sur une concentration de 408 ppm, soit un petit peu plus qu’aujourd’hui (environ 404 ppm sur les premiers mois de 2016). Le scénario A tablait sur 412 ppm et le C sur 369 ppm.
La comparaison la plus intéressante est donc celle entre les observations instrumentales de la NASA et la prévision du modèle d’Hansen basée sur le scénario B de gaz à effet de serre. Comme on peut le voir sur son graphique, le scénario B prévoyait des températures autour de +1°C à l’horizon 2016. Dans la prévision d’Hansen faite en 1988, on observe que l’année 2015 est annoncée à +1°C et 2016 retombe légèrement à +0,94°C.
Depuis ces prévisions de James Hansen, le GIEC a publié cinq rapports. Le dernier en date, publié en 2013, prévoyait quatre scénarios nommés d’après la gamme de forçage radiatif prévue pour l’année 2100 : le scénario RCP2.6 correspond à un forçage de +2,6 W/m2, le scénario RCP4.5 à +4,5 W/m2, et de même pour les scénarios RCP6 et RCP8.5.
Les prévisions des derniers modèles du GIEC
On peut voir ci-dessous ce que donne la comparaison entre les températures réellement observées par la NASA et les prévisions centrales de deux scénarios, RCP4.5 et RCP8.5 :

L’année 2016 apparaît bien comme plus chaude que les prévisions centrales des dernières modélisations du GIEC. RCP4.5 tablait sur +0,92°C en 2016 alors que RCP8.5 prévoyait +0,95°C.
Maintenant, quand on voit ce graphique, on peut légitiment se demander si 2016 n’est pas une brève période de réchauffement après une période de hiatus ou pause climatique. Après le gros épisode El Niño de 1998, l’élévation des températures a semblé effectivement marquer le pas, ce qui a été souvent mis en avant pour critiquer la fiabilité des modèles. Entre 1990 et 1999, les températures ont augmenté à un rythme soutenu, de l’ordre de 0,25°C par décennie, si l’on prend comme référence les données de la Nasa. Mais entre 2000 et 2009, ce rythme s’est ralenti, retombant à moins de 0,10°C par décennie, soit moins que les prévisions des modèles.
Contrairement à d’autres scientifiques, James Hansen a lui-même reconnu que le rythme du réchauffement global avait ralenti – sans toutefois s’arrêter – dans la première décade du XXIe siècle. L’ancien directeur du GISS a imputé ce phénomène au refroidissement de l’océan pacifique tropical, se basant sur une étude de Kosaka et Xie publiée dans la revue Nature : sans ce refroidissement dans le Pacifique, il n’y aurait pas eu de pause du réchauffement.
Où est passée la « chaleur manquante » de la pause des années 2000 ?
Entre 1997 et 2015, l’océan a absorbé autant de chaleur qu’au cours des 133 années précédentes (1865-1997). C’est ce que montre une étude publiée dans la revue Nature Climate Change, sur la base de nombreuses observations instrumentales et de modèles climatiques.
Depuis le début de l’ère industrielle, l’océan a absorbé une quantité phénoménale d’énergie en raison du largage massif de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Environ 93% de l’excès d’énergie lié à cet effet de serre a été emmagasiné par les océans.

La moitié de la chaleur absorbée depuis le début de l’ère industrielle en 1865 a été emmagasinée entre 1997 et 2015. Environ 35% de cette chaleur a été enfouie à plus de 700 mètres, ce qui signifie que l’océan a atténué le réchauffement de l’atmosphère. L’augmentation du contenu en chaleur est également significatif entre 2000 mètres et le fond de l’océan. S’il y a eu un ralentissement du réchauffement en surface après le phénomène El Niño de 1998, l’océan a quand à lui continué à se réchauffer à un rythme soutenu depuis.
Comment expliquer le réchauffement de l’atmosphère depuis 2014 ?
La situation a changé dans le Pacifique récemment. A la faveur de ce revirement, l’année 2015 et surtout le début de 2016 ont été marquées par un réchauffement important. Ce qui a changé, c’est l’Oscillation décennale du Pacifique (PDO), un mode majeur de variabilité naturelle dans le Pacifique. Elle comporte une phase positive qui favorise des températures élevées à la surface de l’océan, et une phase négative, qui promeut des périodes de refroidissement. C’est un phénomène dont les caractéristiques sont similaires à celles d’El Niño mais elle s’exerce sur une échelle d’une quinzaine d’années contre quelques mois pour El Niño.
On peut voir ci-dessous que les températures ont peu augmenté durant la longue phase de PDO négative au début du XXI siècle avant de reprendre leur forte hausse à partir de 2014. Si le contenu en chaleur de l’océan est probablement pus significatif, ont peut clairement voir que les oscillations du Pacifique modulent en partie le rythme du réchauffement climatique en surface :

Le retour vers une phase positive pourrait conduire à une accélération du réchauffement climatique dans les années à venir. A la faveur de ce revirement, une étude de Meehl et al. (2016) a prévu, sur la période 2013-2022, un réchauffement moyen de +0,22°C par décennie, trois fois plus que le rythme de +0,08°C observé entre 2001-2014.
Comment un gaz peu abondant, comme le CO2, peut-il avoir un tel impact ?
Les variations naturelles comme la PDO ne peuvent cependant expliquer l’ampleur du réchauffement récent. Comme on peut le constater sur le graphique superposant température globale et PDO, il y a progressivement un décrochage entre les deux séries de données. Ce décrochage s’explique par les émissions massives de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. Les courbes de la concentration de CO2 et de températures sont assez parlantes :

Le CO2 perturbe l’équilibre énergétique de la Terre en absorbant le rayonnement infrarouge émis par la Terre en direction de l’espace. Mais ce qui est important, c’est qu’il le fait dans un spectre non couvert par les autres gaz à effet de serre comme la vapeur d’eau. Cette dernière est le premier contributeur à l’effet de serre et certains sceptiques ont tenté de démontrer qu’elle surpassait les autres gaz à effet de serre en importance.
Mais cette vision est tronquée. La vapeur d’eau absorbe l’énergie infrarouge à de nombreuses longueurs d’onde mais pas toutes. C’est dans cette fenêtre que se joue le réchauffement climatique anthropique. Le CO2 absorbe fortement l’énergie infrarouge à des longueurs d’onde de plus de 12-13 microns, là où la vapeur d’eau laisserait l’énergie repartir vers l’espace. Il ne suffit donc pas de dire que le CO2 est peu abondant par rapport à la vapeur d’eau. On peut en voir ci-dessous l’illustration avec la vapeur d’eau en bleu, qui absorbe beaucoup d’énergie mais laisse le CO2 jouer à des longueurs d’onde différentes :

En outre, l’élévation des températures conduit à une augmentation des concentrations de vapeur d’eau atmosphérique. Puisque la vapeur d’eau absorbe le rayonnement infrarouge, on a alors un renforcement de l’effet de serre, qui conduit à une augmentation supplémentaire des températures. La vapeur d’eau n’est pas un forçage mais une rétroaction.
Comment les scientifiques ont-ils établi que l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère était due aux activités humaines ?
On sait que le CO2 est lié aux activités humaines grâce aux travaux des chimistes. D’après Jean Jouzel (dans « Comprendre le changement climatique »), « Le carbone possède des isotopes naturels de masse 12, 13 et 14. L’isotope de masse 12 représente l’essentiel du carbone présent dans la nature mais y trouve également l’isotope de masse 13. Le CO2 produit par l’utilisation des combustibles fossiles et du bois a une composition isotopique différente de celle caractéristique des autres sources de gaz carbonique dans l’atmosphère. Lors de leur croissance, les plantes extraient du CO2 de l’atmosphère par photosynthèse et ce avec une préférence pour l’isotope léger (celui de masse 12). Comme les combustibles fossiles se sont formés dans le lointain passé à partir de plantes, ils produisent du gaz carbonique enrichi dans cette isotope lorsque nous le brûlons. En analysant la composition isotopique de l’air, les chercheurs ont confirmé que ces combustibles fossiles sont à l’origine de l’essentiel du gaz carbonique accumulé dans l’atmosphère ».
Autre élément probant : l’analyse des glaces de l’Antarctique. Sur le dernier million d’années, la planète a connu de longues périodes froides de 100 000 ans entrecoupées de phases plus chaudes de 10 000 à 20 000 ans. Les recherches ont permis d’identifier deux mécanismes principaux pour expliquer ces variations du climat : la position de la Terre par rapport au Soleil et la teneur de l’atmosphère en CO2.
Les prélèvements dans les calottes de glace de l’Antarctique et du Groenland ont apporté une mine d’informations et ont permis notamment de reconstituer l’évolution des températures. Les scientifiques ont ainsi pu constater qu’elles suivaient fidèlement celle des niveaux de CO2. Les archives glaciaires montrent que les concentrations actuelles de gaz à effet de serre sont les plus élevées depuis au moins 800 000 ans.



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