Mené par Timothy Lenton, climatologue de référence et voix majeure du GIEC, le collectif Planetary Solvency évalue les risques climatiques. Les points de bascule forment le coeur d’une approche systémique et lucide. Il prend en compte les effets du climat sur les écosystèmes et sur l’économie mondiale. 

Leur analyse se fonde sur plusieurs faits récents. En 2023, la température moyenne mondiale a dépassé 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels. La trajectoire du réchauffement s’accélère. L’inertie climatique retarde les effets des gaz déjà émis, donc nous avons devant nous des décennies de températures plus élevées. De plus, les événements extrêmes se produisent plus tôt, et plus fort que prévu.  Des pics de 40 à 50°C surgissent dans de nombreuses régions du monde, tandis que l’Arctique enregistre des températures jusqu’à +40°C au-dessus des moyennes saisonnières. Ces dérèglements redéfinissent l’ampleur des menaces et mettent à nu les limites de nos modèles de prévision.

L’iceberg invisible du Titanic climatique

L’une des critiques majeures portées par Planetary Solvency concerne la modélisation économique dominante des risques climatiques. Ces approches, souvent héritées des travaux de Nordhaus, tendent à minimiser l’ampleur des dégâts potentiels. Elles n’intègrent ni les effets en chaîne, ni les points de bascule, et encore moins les conséquences humaines, sociales, géopolitiques ou éco-systémiques. 

Les points de bascule climatiques – fonte irréversible des calottes glaciaires, effondrement de la circulation océanique, disparition des forêts tropicales – ne sont pas intégrés aux modèles du GIEC. Pourtant, leurs effets seraient majeurs. Ils mèneraient à  des changements météorologiques importants, à une perte de productivité agricole sur plusieurs continents, et à l’inondation des côtes.

Les auteurs suggèrent que nos évaluations du risque climatique ne considèrent pas les aléas les plus graves. « Comme si l’on modélisait l’impact d’un iceberg sur le Titanic sans envisager qu’il puisse couler, sans prendre en compte la pénurie de canots, la température de l’eau, ou les victimes ». Le confort apparent des résultats crée une illusion de sécurité, alors que les inconnues dominent.

Leur analyse alerte sur d’immenses dangers pour le monde entier. Ils considèrent qu’avec la trajectoire actuelle de l’Humanité, nous pourrions en 2050 dépasser les +2°C de réchauffement, ce qui provoquerait une perte du PIB de 25% et le décès de plus de 10% de l’Humanité (Risk Dashboard).

Estimation des risques: Les dommages à l’économie (E) sont actuellement limités, alors que les dommages causés à la société (S), à la Nature (N) et au climat (C) deviennent sévères. En noir, les projections pour 2050 indiquent que les pertes de l’économie atteindraient le niveau catastrophique, les sociétés humaines seraient décimées, et les dégâts causés à la Nature et au climat seraient extrêmes.

La nature, absente des équations économiques

L’économie souffre actuellement de cécité structurelle. Les services rendus par les écosystèmes  – stockage de carbone, régulation climatique, pollinisation, fertilité des sols – ne sont ni comptabilisés, ni protégés. Ils sont traités comme des externalités, donc négligeables. Mais lorsque les puits de carbone naturels déclinent – forêts dévastées, océans saturés, sols appauvris – c’est l’ensemble du système climatique qui s’en trouve déséquilibré. L’économie utilise des ressources naturelles et les modèles actuels en ignorent 87%. 

De plus, les événements extrêmes et leurs coûts dépassent largement les projections des modèles. Les impacts du changement climatique se manifestent à des températures plus basses qu’estimé.  » Il s’agit désormais d’une question de sécurité humaine, avec des populations touchées par les incendies, les inondations, les chocs sur les systèmes alimentaires, l’insécurité hydrique, le stress thermique et les maladies infectieuses ». Cela pourrait entraîner une hausse importante de la mortalité, des déplacements massifs de populations, une forte contraction de l’économie et un risque accru de conflits.

Les modèles omettent aussi la synergie entre nature dégradée et aggravation du réchauffement. Les incendies de forêt, par exemple, libèrent du carbone tout en détruisant les puits. La fonte de la banquise réduit l’albédo terrestre, amplifiant l’absorption de chaleur. Les océans, affaiblis, absorbent moins de chaleur et de CO₂, et donc en laissent davantage dans l’atmosphère. 

Vers une insolvabilité planétaire

Personnellement, je n’aime pas le terme de solvabilité planétaire utilisé ici,  parce qu’il ne s’agit pas seulement d’argent, mais de notre sécurité et de nos vies.  Les auteurs s’inspirent probablement du calcul des risques financiers ou espèrent communiquer avec les économistes. L’insolvabilité désigne ici le moment où nos institutions seront dépassées par les chocs systémiques induits par le réchauffement. À l’opposé de la résilience, cette insolvabilité suppose une perte de capacité d’adaptation structurelle.

Face à cette trajectoire, le collectif Planetary Solvency appelle à une refonte des pratiques :

  • Evaluations annuelles réalistes des risques et leur communication aux gouvernements.
  • Préparation à un réchauffement plus rapide au niveau temporel et en fonction de la concentration de gaz carbonique. Adaptation des budgets carbone, des trajectoires de décarbonation et des objectifs climatiques selon les dernières données climatiques.
  • Adaptation nécessaire à des risques de plus en plus sévères et sans précédent, liée à la résilience et à la sécurité nationale.
  • Education à l’environnement pour les décideurs
  • Soutien politique pour accélérer la transition énergétique et pour réduire les émissions.
  • L’inclusion de la justice sociale et la Nature dans les plans de transition nationaux et d’entreprise.

Le climat devient imprévisible précisément parce que nous avons longtemps cru qu’il était maîtrisable. Repenser notre relation au risque implique donc un changement de paradigme, une acceptation de l’incertitude, une politique de la prudence.

Ce groupement de milliers d’experts scientifiques confirme les objections émises au cours de ces dernières années. Les risques ne sont pas détaillées ici, mais il est clair qu’ils excèdent largement les estimations précédentes. Personnellement je m’intéresse surtout aux événements extrêmes mais ce groupe de scientifique a étudié de nombreuses solutions et leur mise en place, dont ils voient des nombreuses possibilités. Consultez -là !

Rapport Global Tipping Points: https://global-tipping-points.org/resources-gtp/ (une nouvelle version sera publiée en 2025)

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