Une période de réchauffement survenue il y a plus de 400 000 ans a poussé la calotte glaciaire du Groenland au-delà de son seuil de stabilité, ce qui a entraîné la fonte presque complète du sud de l’île et élevé le niveau des mers de 4 à 6 mètres.
Les chercheurs tentent depuis des années de déterminer comment la calotte glaciaire du Groenland a répondu à des températures un peu plus chaudes qu’aujourd’hui. Les changements de l’orbite de la Terre autour du soleil ont déjà permis au cours des ères interglaciaires de faire fondre partiellement les glaces de l’île, contribuant à l’élévation du niveau des mers. Mais quelle fut l’ampleur de cette hausse, c’est ce qui reste à déterminer pour mieux appréhender l’évolution du Groenland en proie depuis maintenant des dizaines d’années au réchauffement climatique.
Dans une étude parue dans Nature, Alberto Reyes, de l’université du Wisconsin, et Anders Carlson, professeur à l’Université d’Oregon State, montrent que le sud du Groenland a presque totalement fondu alors que le climat était à peine plus chaud qu’aujourd’hui. Si à l’époque l’insolation a probablement été la cause majeure de la fonte – alors qu’aujourd’hui c’est surtout le CO2 – la région a dû franchir un seuil permettant à la partie sud de la calotte glaciaire de disparaitre. Même si le forçage fut différent, cela peut nous donner une meilleure idée de ce qui pourrait advenir si les températures continuent à monter, selon Anders Carlson.
Pour déterminer comment le Groenland s’est comporté lors de l’épisode chaud qui a interrompu l’ère glaciaire il y a quelques 400 000 ans, les chercheurs ont utilisé une méthode astucieuse. Lorsque les glaces du Groenland avancent et se déversent dans la mer, elles emmènent avec elles des sédiments qui témoignent des conditions de leur région d’origine en raison d’une « signature » chimique unique. Reyes et son équipe ont pu recueillir des sédiments prélevés dans la mer au sud du Groenland. Ces archives leur ont permis de remonter 440 000 en arrière, soit juste avant l’épisode interglaciaire appelé MIS 11 (stade isotopique marin 11).
Les chercheurs ont découvert qu’il y a 400 000 ans, il n’y a quasiment plus eu de dépôt de sédiments sur une période de 10 000 ans. Lors de la présence de plaques de glace, les sédiments sont raclés et transportées dans l’eau. Au contraire, l’absence de sédiments constatée il y a 400 000 ans signifie que le sud du Groenland n’a pas eu de calotte glaciaire à l’époque.
L’analyse des chercheurs suggère que la déglaciation du sud du Groenland a représenté au moins 4 mètres – et peut-être jusqu’à 6 mètres – d’élévation du niveau de la mer. Lors de cette période MIS 11, le niveau des mers aurait été de 6 à 13 mètres plus élevé qu’aujourd’hui et la fonte du sud du Groenland aurait donc représenté une contribution majeure avec celle de l’Antarctique. Cette fonte s’est pourtant produite lors d’une période où les températures n’étaient pas beaucoup plus élevées qu’aujourd’hui.
Les chercheurs ont comparé les événements du stade isotopique marin 11 avec une autre période de réchauffement qui s’est produite il ya environ 125 000 ans et a entraîné une élévation du niveau de la mer de 5 à 10 mètres. L’analyse des sédiments suggère qu’à cette époque le sud du Groenland n’avait pas autant fondu, contribuant à une élévation du niveau de la mer de moins de 2,5 mètres. La déglaciation de l’Antarctique avait alors sans doute été le principal facteur d’élévation.
On peut se demander alors pourquoi le sud du Groenland a plus ou moins fondu lors des différentes ères interglaciaires, il y a 400 000 ans, 125 000 ans et 20 000 ans. L’étude parue dans t indique que le seuil au-delà duquel une fonte totale est amorcée serait de 1,7 à 2°C au-dessus du niveau préindustriel pour peu que le forçage se fasse sur une longue période. La période du MIS 11 a été particulièrement longue par rapport aux autres ères chaudes, et c’est ce qui semble avoir été déterminant pour la fonte du Groenland, selon Anders Carlson. L’ère interglaciaire survenue il y a 125 000 ans aurait été trop courte pour permettre une un scénario similaire. Cependant, avec un réchauffement de l’ordre de 4 degrés, qui pourrait être atteint d’ici la fin du siècle, la fonte pourrait être plus rapide, de l’ordre de 8000 ans.