Alors que l’Arctique continue à se réchauffer, l’Antarctique a connu cette année un niveau exceptionnel d’extension de la glace de mer. Il pourrait bien s’agir d’une manifestation inattendue du réchauffement climatique.
L’Antarctique atteint cette année un niveau d’extension record.
La glace de mer autour de l’Antarctique a atteint le 22 septembre 2014 un niveau d’extension record, selon le National Snow and Ice Data Center (NSIDC) américain. Le 22 septembre 2014, la glace de mer s’étendait sur 20.11 millions de km2. Le précédent record datait de 2013 et cela fait maintenant depuis 1979, date des premiers relevés satellites, que la glace de mer tend à progresser dans l’hémisphère sud.
L’Arctique d’un autre côté connait une tendance baissière.
La glace de mer de l’océan arctique s’est en revanche réduite de 30% par rapport au début des relevés satellites en 1979. Le record de la plus faible extension a été établi en 2012. Il n’a pas été battu cette année mais le NSIDC a tout de même annoncé que le 6è plus bas niveau avait été atteint le 15 septembre avec 5,07 millions de km2. Surtout, la glace survit de moins en moins longtemps. Il est rare qu’elle subsiste plus de 2-3 ans, contrairement à il y a une trentaine d’années, ce qui la rend beaucoup plus fragile. Autrement dit, un coup de chaud dans les années à venir pourrait lui porter un coup fatal. Certains scientifiques, comme Peter Wadhams, préviennent qu’elle pourrait même totalement disparaître – en été – d’ici quelques années.
Le problème, dans l’hémisphère nord, c’est que le réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre est amplifié par un phénomène de rétroaction : l’Arctique est un océan et plus la proportion de mer libre de glace est grande, plus la région est sombre. La moindre réverbération favorise l’absorption de chaleur.
Le trou dans la couche d’ozone
L’Antarctique n’a pas le même problème de réverbération que l’Arctique. La masse de glace continentale, de près de 3 km d’épaisseur, n’est pas prête de fondre. Le continent a en revanche été considérablement perturbé au siècle dernier par les émissions de CFC, un gaz qui a partiellement détruit la couche d’ozone. Son rétablissement progressif est attendu grâce à l’interdiction des CFC mais elle peut encore grandement s’amincir selon les années.
Or la perte d’ozone stratosphérique perturbe la circulation atmosphérique dans la région en renforçant les vents d’ouest qui soufflent autour de l’Antarctique. Les jet streams sont des vents de haute altitude qui circulent d’ouest en est, séparant dans chaque hémisphère la masse d’air froid polaire de la masse d’air chaude des moyennes latitudes. Ces vents isolent le continent et tendent à y maintenir des températures extrêmement basses. Cette année, le trou dans la couche d’ozone a atteint son pic le 11 septembre. La perturbation de la stratosphère favorise un jet stream puissant qui tend à se contracter vers l’Antarctique et à s’éloigner de l’Australie (qui connaît alors une sécheresse, comme c’est le cas depuis deux ans).
En raison de la rotation de la Terre, ces vents d’ouest génèrent un mouvement d’eau froide vers le nord, favorisant l’extension de la glace de mer. C’est l’une des explications possibles au record de cette année en Antarctique.
Le CO2 aussi favoriserait l’extension de la glace de mer dans l’hémisphère sud
D’autres théories expliquent pourquoi le jet stream pourrait se diriger vers les pôles. La couche d’ozone n’est pas le seul facteur suspecté d’avoir un rôle, il y a aussi les gaz à effet de serre.
Dans une étude publiée le 3 octobre dans la revue Geophysical Research Letters, Kevin M. Grise confirme que le CO2 peut favoriser le déplacement du jet stream vers le pôle sud. « La plupart des études montrent qu’un changement dans la différence de température entre l’équateur et les pôles pourrait favoriser un déplacement du jet stream vers les pôles« , précise Kevin M. Grise. Les conditions ne sont cependant pas les mêmes dans l’hémisphère nord, où l’on trouve une alternance de continents et de mer. Il n’a pas été relevé de déplacement aussi significatif du jet stream vers le pôle nord.
Wenju Cai, spécialiste de la modélisation du climat au CSIRO, une agence australienne dédiée aux sciences, a étudié le phénomène. « Le jet stream tend à se trouver là où il y a le plus fort gradient de température entre le nord et le sud, a-t-il confié à Global-Climat. Le réchauffement climatique ne provoque par un réchauffement uniforme. Il réchauffe moins l’océan dans les hautes latitudes de l’hémisphère sud qu’au nord. Cela tend à déplacer l’endroit où le gradient est le plus fort vers le pôle sud. Cela est particulièrement net dans l’océan du sud parce qu’il n’est pas aussi entravé par les terres que dans l’hémisphère nord. Dans l’hémisphère nord, les terres se réchauffent plus vite que l’océan et les vents d’ouest soufflent la chaleur au-dessus de l’océan. Le changement de gradient n’est pas net la plupart du temps ».
Pour Wenju Cai, il est fort possible que le renforcement et la contraction du jet stream vers le pôle sud, dû au CO2 dans l’hémisphère sud, favorise l’extension de la glace de mer.
El Nino pourrait inverser la tendance
En tant normal, dans l’océan Pacifique, les alizés, qui soufflent d’est en ouest tendent à pousser les eaux chaudes de surface vers l’ouest. Mais tous les 3 à 5 ans, ce bassin d’eau chaude qui s’est accumulé d’un côté de l’océan bascule vers les côtes américaines : c’est le phénomène El Nino.
Dans une étude publiée en janvier 2014, Wenju Cai estime qu’il pourrait y avoir plus d’épisodes El Nino à l’avenir avec le réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre. Or, selon le chercheur, El Nino favorise le déplacement du jet stream vers l’Equateur. El Nino est annoncé maintenant depuis plusieurs mois après une décennie marqué par la récurrence d’épisodes La Nina, dont les effets sont opposés.
L’arrivée d’El Nino est toujours jugée probable pour cet hiver et si c’est le cas, le déplacement du jet stream pourrait inverser la tendance à la formation de glace de mer autour de l’Antarctique, selon le chercheur.