La fonte des glaces de l’Arctique conduirait à une recrudescence des hivers froids dans le centre de l’Eurasie (entre le sud de la Russie et la Chine). Une étude basée sur des modèles climatiques montre que les hivers plus froids que la normale risquent d’être deux fois plus fréquents à l’avenir dans cette région.
Fort réchauffement de l’Arctique
L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste du globe alors que la concentration en gaz à effet de serre ne cesse d’augmenter dans l’atmosphère. La glace de mer de l’océan arctique s’est réduite de 30% par rapport au début des relevés satellites en 1979. Cette débâcle favorise encore plus le réchauffement de la région. Le pôle nord renvoie moins l’énergie du soleil car il est privé de son bouclier de glace. La région s’assombrit… Avec une plus grande partie de l’océan exposée au soleil , elle est de plus en plus sensible au rayonnement solaire. C’est en Arctique que le réchauffement climatique se fait le plus sentir, comme à la fin de la dernière ère glaciaire il y a 20 000 ans.
Vagues de froid en Eurasie
Malgré le fort réchauffement de l’Arctique, certaines régions du monde ont connu ces dernières années des hivers rigoureux. Ce fut le cas notamment dans le centre de l’Eurasie, entre le sud de la Russie et la Chine, lors de la dernière décennie. Plusieurs études ont déjà fait le lien entre la fonte des glaces arctiques dans les mers de Barents et de Kara (au nord de la Russie) et ces hivers très froids mais la question n’avait pas encore pu être tranchée.
Une étude japonaise publiée dans la revue Nature Geoscience dévoile les résultats d’un ensemble de simulations de l’évolution du climat dans la région. Les modèles climatiques permettent de prendre en compte de multiples facteurs comme les observations de l’évolution de la glace de mer et les paramètres de la circulation atmosphérique afin d’établir des prévisions.
La conclusion de ces simulations climatiques est que la probabilité pour que des hivers plus sévères que la normale se produisent a plus que doublé en Eurasie. Autrement dit, les modèles climatiques prenant en compte une forte réduction de l’étendue de glace dans les mers de Barents et de Kara prévoient des hivers plus rigoureux que ceux dans lesquels la glace de mer résiste davantage.
Perturbation des vents de haute altitude
Selon les auteurs japonais de l’étude, emmenés par Masato Mori (université de Tokyo), il pourrait y avoir un lien entre la réduction de la glace de mer et l’intensification du système de haute pression qui se développe en Sibérie et qui favorise la descente d’un air glacial vers le centre de l’Eurasie.
Il reste à déterminer quels sont les processus physiques à l’oeuvre. L’étude japonaise n’est pas la première à soupçonner un lien entre la fonte des glaces et la perturbation de la circulation atmosphérique. Jin-Ho Yoon, du Pacific Northwest National Laboratory, a proposé il y a quelques semaines dans la revue Nature Communications un mécanisme pour expliquer le lien entre la fonte de la glace de mer et les vagues de froid en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Selon lui, la fonte de la glace de mer favorise un fort réchauffement local et cette chaleur se propage ensuite aux plus hautes couches de l’atmosphère, ce qui affaiblit les vents de haute altitude. Ces derniers, appelés jet streams, empêchent normalement l’air froid arctique de s’engouffrer plus au sud. Le réchauffement dû à la fonte des glaces affaiblit ces vents de haute altitude qui circulent habituellement d’ouest en est et ils se mettent à onduler dans un mouvement nord-sud, permettant à l’air glacial de descendre sur les masses continentales.
Jennifer Francis, spécialiste du climat à la Rutgers University, propose un mécanisme différent. L’écart de température entre le pôle nord et les moyennes latitudes se réduit. Or plus l’écart est important, plus le jet stream est puissant, selon elle. Si l’Arctique se réchauffe plus vite que les continents situés au sud, l’écart se réduit et les vents de haute altitude risquent de s’affaiblir, ce qui favoriserait une ondulation du jet stream. On aurait alors, comme dans l’étude de Jin-Ho Yoon, un risque accru de voir descendre la masse d’air froid arctique.
Cependant, sur le long terme, les auteurs japonais de l’étude parue dans Nature Geoscience estiment que le réchauffement climatique devrait finalement l’emporter dans le centre de l’Eurasie. La survenue d’hivers rigoureux ne serait donc que temporairement liée à la fonte de la glace de mer. Quand le réchauffement global aura atteint un certain seuil, même les circonvolutions du jet stream ne suffiront pas à en atténuer les effets.