Climat

La chaleur manquante enfouie dans l’océan

Au début du 21è siècle, les températures à la surface du globe ont semblé stagner. Malgré une tendance de long terme toujours à la hausse, l’observation de la courte période 2003-2012 montre que le rythme du réchauffement a été moins important. L’une des théories principales est que le surplus de chaleur aurait été stocké dans l’océan. Une étude menée par trois spécialistes des océans du Jet Propulsion Laboratory de la NASA confirme l’enfouissement de la chaleur dans la mer et surtout précise comment cela s’est produit.

Pour expliquer le hiatus survenu au début des années 2000, plusieurs études avaient déjà pointé, ces dernières années, le renforcement important des alizés au-dessus du Pacifique. Une situation typique des conditions La Niña. Les alizés sont des vents qui soufflent fortement d’est en ouest pendant les périodes de type La Niña, ce qui contribue à l’enfouissement de chaleur dans l’ouest du Pacifique. Mais cette situation n’est que temporaire et un retournement vers un régime El Niño conduira inévitablement à une reprise du réchauffement de l’atmosphère. C’est précisément ce qui est en train de se passer avec l’émergence d’un événement El Niño qui pourrait être d’une intensité exceptionnelle.

Source : NASA

Les alizés (trade winds) qui soufflent fortement d’est en ouest pendant les périodes La Niña et les phases froides de la PDO. Source : NASA

Une nouvelle étude menée par Veronica Nieves, Josh Willis et Bill Patzert, du Jet Propulsion Laboratory (JPL) apporte des précisions intéressantes permettant d’expliquer comment ces changements à la surface du Pacifique ont impacté le climat mondial ces dernières années. Selon les trois scientifiques, les eaux de l’ouest du Pacifique et de l’Océan Indien se sont réchauffées substantiellement entre 2003 et 2012. Mais le réchauffement ne s’est pas produit à la surface : il s’est seulement manifesté sous 10 mètres de profondeur, principalement entre 100 et 300 mètres sous la surface, précise l’étude publiée dans la revue Science. Globalement, l’océan absorbe toujours de la chaleur mais les couches supérieures de l’océan échangent de la chaleur facilement et peuvent la garder à distance de la surface pendant des périodes de 10 ans en raison de cycles naturels. Sur le long terme, la planète se réchauffe donc toujours, la chaleur est tout simplement davantage absorbée par l’océan.

Une étude publiée en mai 2015 dans la revue Nature Geoscience avait montré un fort réchauffement des 700 premiers mètres de l’Océan Indien au 21è siècle.  Selon les auteurs de cette étude, la chaleur enfouie dans le Pacifique depuis la pause climatique de 1998 se serait frayée un chemin vers l’Océan Indien. Les résultats de cet article paru dans Nature Geoscience montrent cependant un réchauffement dans les 700 premiers mètres alors que la dernière étude parue dans Science insiste sur les 300 premiers mètres seulement. Mais sur les régions concernées, les deux études semblent d’accord pour pointer l’enfouissement de chaleur dans l’ouest du Pacifique qui se serait ensuite propagé à l’Océan Indien.

Transfert de chaleur du Pacifique vers l'Océan Indien (Source : Sang-Ki Lee et al)

Transfert de chaleur du Pacifique vers l’Océan Indien (Source : Sang-Ki Lee et al)

Malgré les records de chaleur battus en 2005, 2010, 2014 (et probablement en 2015), le rythme du réchauffement climatique a été moins important au début du 21è siècle que pendant les années 1990. Pour comprendre le ralentissement du réchauffement à la surface, Nieves et ses collègues ont plongé dans deux décennies d’archives des températures. Examinant les données compilées par les instruments de mesures marins, l’équipe du Jet Propulsion Laboratory a découvert que lors de la décennie 2003-2012, les eaux proches de la surface de l’Océan Pacifique, entre 0 et 10 mètres, se sont refroidies. En revanche, les eaux se sont réchauffées dans les couches inférieures : entre 10 et 100 mètres, 100 et 200 mètres ainsi que 200 et 300 mètres.

Le réchauffement le plus marqué s’est produit entre 100 et 200 mètres dans l’ouest du Pacifique et l’est de l’Océan Indien. Des régions du Pacifique ont semblé se refroidir, notamment près de la surface et dans l’est du Pacifique, ce qui correspond bien à la phase froide de la PDO (Oscillation décennale du Pacifique) qui s’est manifestée lors des 15 à 20 dernières années. La phase froide de la PDO est une sorte de La Niña qui se maintiendrait sur le long terme. Il existe aussi une phase chaude de la PDO, on l’a observé dans les années 90 et il se pourrait que l’on en revienne à ce régime dans les années à venir. Les dernières données du « PDO index » le laissent penser.

Indice PDO (source : JMA)

Indice PDO (source : JMA)

De son côté, l’Océan Atlantique ne montre pas de tendance significative liée à la profondeur, avec un réchauffement à un endroit contrebalancé par un refroidissement dans une autre région. Le bassin Atlantique est relativement petit par rapport au Pacifique et a un impact moindre sur les températures globales.

Les chercheurs du JPL ont voulu obtenir une image plus détaillée des températures de l’océan que ce que permettent les modèles. Sur le long terme, les modèles peuvent répliquer les grandes tendances, mais sur une échelle spatiale et temporelle plus réduite, les modèles ne peuvent avoir la même précision que les observations. L’étude devrait aider à améliorer les modèles de stockage de chaleur dans l’océan et l’impact sur le climat à l’échelle régionale.

L’Océan Pacifique représente un tiers de la surface de la planète, ce qui fait qu’il a impact déterminant sur le climat global. L’évolution ds 100 premiers mètres du Pacifique est ainsi directement liée à celle de la température à la surface du globe. Avec une température de surface plus froide pendant la période de la pause climatique, le réchauffement de l’atmosphère  a été modéré, y-compris au-dessus ds continents. On notera cependant que les températures des océans et de l’air ont repris un rythme soutenu de hausse ces deux dernières années, ce qui pourrait indiquer que la phase froide de la PDO et la pause climatique sont terminées.

Un fort réchauffement de l’est du Pacifique se poursuit depuis maintenant trois mois. El Niño a été officiellement annoncé au mois de mars 2015. La probabilité pour qu’un événement de forte intensité se produise a été sans cesse réévaluée depuis. Il y a maintenant 90% de chances pour qu’El Niño se maintienne jusqu’au printemps 2015 et 85% pour qu’il perdure en  hiver (contre 80% il y a un mois). Il y a donc de fortes chances pour que la température moyenne mondiale soit encore plus élevée qu’en 2014, marquée par un record de chaleur.

La variabilité naturelle à l’échelle décennale continue à avoir un impact majeur sur le climat. Selon Nieves, on peut s’attendre à voir d’autres phases de hiatus dans le futur, mais elles seront de moins en moins visibles en raison de l’augmentation continue de la concentration en gaz à effet de serre. Pour ce qui est de la période actuelle, l’effet combiné du réchauffement d’origine humaine et de la variabilité naturelle du Pacifique, qui entre dans une période chaude, pourraient jouer de concert pour produire une accélération du réchauffement.

Selon des scientifiques du Met Office et de l’Université d’Exeter, une brutale phase de réchauffement devrait succéder à la pause climatique. Grâce à la puissance de calcul des modèles climatiques, les auteurs de l’étude ont pu déterminer que les périodes de hiatus climatiques d’une durée de 20 ans n’étaient susceptibles de se produire qu’une fois tous les 100 ans. L’autre résultat important de l’étude est que les périodes de pause dues à la variabilité naturelle sont associées à l’enfouissement de chaleur dans l’océan. Lorsque se phénomène s’inverse, le largage de chaleur conduit à une phase de réchauffement rapide. La tendance décennale peut alors atteindre un rythme supérieur à celui prédit par les modèles (0,20°).

Il faut aussi rappeler que des scientifiques de la NOAA ont récemment amélioré la mesure de la température de surface de l’océan. L’observation de l’océan ne cesse en effet d’évoluer et les données issues des bouées et des bateaux sont plus nombreuses qu’auparavant. Les scientifiques de la NOAA estiment que la correction des données conteste l’existence d’une pause climatique : le réchauffement dans les 15 premières années du 21è siècle a été aussi important que durant la seconde moitié du 20è siècle. Ainsi, la NOAA relève un réchauffement de +0,113°C/décade entre 1950 et 1999 et de 0,116°C/décade entre 2000 et 2014. La variabilité naturelle pèserait donc moins, selon ces nouvelles données de la NOAA.

Pas de pause dans le réchauffement climatique : nouvelles données prises en compte par la NOAA

Pas de pause dans le réchauffement climatique : nouvelles données prises en compte par la NOAA

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