D’après une étude menée par des spécialistes des oscillations du Pacifique, les événements El Niño extrêmes sont appelés à se produire plus souvent à l’avenir. De même, les épisodes La Niña de forte intensité pourraient voir leur fréquence augmenter.
Survenant tous les 3 à 7 ans, El Niño est un phénomène à la fois océanique et atmosphérique. En temps normal, les alizés (vents d’est) soufflent sur le Pacifique, provoquant un empilement d’eau chaude au niveau de l’Indonésie. Cette configuration neutre apporte de la pluie à l’ouest et favorise des conditions sèches dans l’est du Pacifique. Avec El Niño, les alizés se relâchent et les différences de température de surface de la mer entre l’ouest et l’est de l’océan Pacifique sont diminuées. Cela modifie la distribution de la chaleur à la fois dans l’eau et l’air dans chaque région, forçant une cascade de changements climatique globaux. C’est probablement l’événement qui a le plus d’impact sur le climat mondial : en 1998, l’année du plus fort épisode enregistré ces 100 dernières années, les températures mondiales avaient été relevées de 0,2°C. El Niño est la phase chaude de l’oscillation australe (ou ENSO pour El Niño Southern Oscillation). Il peut être suivi d’une phase froide, La Niña, qui marque un retour à des conditions plus fraîches dans l’est du Pacifique et un nouveau basculement du régime des précipitations.
Comment évoluera El Niño avec la progression des émissions de gaz à effet de serre ? Une étude publiée dans Nature Climate Change fait le point sur les connaissances dans ce domaine. La principale information est qu’il faut s’attendre à voir des épisodes extrêmes deux fois plus souvent qu’aujourd’hui, selon cet article. Les événements El Niño se développeront de plus en plus vers l’est du Pacifique à mesure qu’augmenteront les émissions de CO2, ce qui est la caractéristique des phénomènes les plus marqués. L’étude ne porte pas sur la fréquence d’El Niño en général mais sur les événements les plus extrêmes.
Actuellement, un phénomène aussi intense que celui de 1997-98 n’est censé se produire qu’une fois tous les 27 ans, d’après l’étude. Avec le réchauffement climatique, un El Niño extrême devrait se manifester une fois tous les 16 ans. Ce scénario est basé sur d’importantes émissions de gaz à effet de serre. Le scénario utilisé pour les simulations est le RCP 8.5, le plus pessimiste du GIEC.
Autre conclusion des chercheurs : le phénomène La Niña devrait lui aussi se renforcer. En 1998-1999, un épisode La Niña exceptionnel a succédé à ce qui fut probablement le phénomène El Niño le plus important du 20è siècle. Lorsque survient un phénomène El Niño extrême, les conditions sont favorables à un épisode La Niña très marqué l’année suivante. L’inverse n’est pas vrai en revanche.
Les chances pour qu’une séquence avec un El Niño aussi fort que celui de 1998 soit suivi de La Niña comparable à 1999 ne sont que d’une tous les 187 ans actuellement… Il y avait donc peu de chances de revoir un tel phénomène sans le réchauffement dû au CO2. Mais avec le scénario RCP 8.5, les chances de voir une période aussi extrême que 1997-99 passeraient à une tous les 48 ans.
Le climat du Pacifique tropical devrait se modifier avec les émissions de gaz à effet de serre : les modèles tablent sur un déplacement vers l’est des précipitations intenses et un déplacement vers le sud de la Zone de convergence intertropicale. Des données paléoclimatiques indiquent que les variations d’ENSO ont été plus importantes au 20è siècle que lors des siècles précédents.
Les projections des modèles ont cependant été mises à mal au début du 21è siècle. Les prévisions tablaient sur un affaiblissement des alizés – les vents d’est – en raison de l’affaiblissement de la circulation de Walker. Cette dernière est censée être ralentie parce que les précipitations tropicales augmentent à un rythme plus faible que la vapeur d’eau, ce qui s’accompagnerait d’alizés moins soutenus. Mais c’est plutôt l’inverse qui s’est produit depuis 1999. Les alizés ont fortement soufflé lors des années 2000. Fin 1998, l’oscillation décennale du Pacifique (PDO) est en outre entrée dans une phase négative qui favorise le réchauffement de l’ouest du Pacifique. Cette oscillation négative est d’ailleurs suspectée être à l’origine de la pause dans le réchauffement climatique entre 2000 et 2013.
Les épisodes les plus intenses sont ceux qui se propagent nettement vers l’est, comme ceux 1982-83 et de 1997-98… Et peut-être celui de 2015 car l’événement en cours pourrait être aussi exceptionnel que les deux précédents, voire davantage. Les El Niño 1982-83 et 1997-98 ont été marqués par un réchauffement exceptionnel, avec des températures de surface de la mer supérieures à 28°C dans l’est du Pacifique équatorial. Cette anomalie a provoqué un déplacement vers l’Equateur de la Zone de convergence intertropicale, favorisant encore plus de précipitation dans l’est du Pacifique.
Certains événements de moindre intensité sont marqués par un réchauffement limité à la partie centrale du Pacifique. On parle alors d’El Niño Modoki. On peut citer par exemple les cas de 2002-2003, 2004-2005 ou 2009-2010. Tous ces événements ont eu lieu durant une phase froide de l’oscillation décennale du Pacifique (PDO).
La PDO est une une variation de la température de l’océan Pacifique dont le cycle se déroule sur 15 à 30 ans. Dans sa phase positive, l’oscillation favorise les phénomènes El Niño, ce qui tend à réchauffer l’atmosphère. Mais après une période marquée par le largage de chaleur par l’océan, une phase de refroidissement prend le relais, c’est la phase négative de la PDO. Les conditions sont alors plus propices au phénomène La Niña. Il peut quand même y avoir des épisodes El Niño pendant une phase froide de la PDO. Mais ils sont peut-être de moindre intensité. Ainsi on a pu voir entre 2000 et 2013 qu’il y avait surtout eu des El Niño Modoki.
La PDO était dans une phase négative avant 1976, puis dans une phase positive entre 1976 et 1998, une période qui a coïncidé avec une forte élévation des températures atmosphériques. Ensuite, une nouvelle phase négative a débuté en 1999, coïncidant avec la pause dans le réchauffement de la planète. Des données sur la PDO sont disponibles depuis 1900. Cinq des dix plus fortes PDO postives (phase chaude) ont été enregistrées dans les années 1980 et 1990. La nouveauté de ces dernières années est que l’on est peut-être en train de revenir dans une phase chaude après un intermède froid entre 1999 et 2013. Les niveaux observés en 2014 et 2015 figurent parmi les plus importants jamais observés. En moyenne annuelle, 2015 se classe pour le moment (entre janvier et juillet 2015) au 2è rang derrière 1941.
On va donc voir dans les prochaines années ce que pourraient donner des El Niño dans une phase chaude de la PDO. Cela n’a cependant rien de certain, ou une deux années ne sont pas suffisantes pour savoir si une tendance de long terme est en train de s’amorcer. Le phénomène en cours de formation est selon les dernières données à un niveau « fort ».