Climat

Le stockage de l’eau de fonte de moins en moins efficace au Groenland

La calotte glaciaire du Groenland était jusqu’à présent considérée comme une éponge pour les eaux de fonte mais une nouvelle étude montre qu’elle est en train de perdre sa fonction de tampon. Sa contribution – déjà significative – à l’élévation du niveau de la mer pourrait donc être réévaluée.

Une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Climate Change rapporte les découvertes étonnantes faites grâce aux prélèvements sur les névés de la calotte glaciaire du Groenland. Les névés  sont constitués de neige compactée qui se transforme graduellement en glace. Ils ne sont pas aussi denses que la glace et forment une couche poreuse à la surface de l’inlandsis. Dans les zones d’accumulation de la calotte polaire, les névés poreux peuvent faire 80 mètres d’épaisseur. Le névé retiendrait entre 30 et 40% de l’eau de fonte, ce qui en fait un tampon efficace contre le ruissellement, qui représente la moitié de la perte de masse du Groenland.

Source : NASA's Earth Observatory

Source : NASA’s Earth Observatory

Des chercheurs ont voulu savoir comment se comportait la couche de névé poreuse à la surface avec le changement climatique. Par -40°C, les scientifiques venus des Etats-Unis, du Danemark et de Suisse ont réalisé des forages jusqu’à 20 mètres de profondeur.

Les recherches se sont focalisées sur l’impact du changement climatique récent, montrant que les dernières années de fonte avaient vraiment modifié la structure du névé de la calotte groenlandaise. Les changements observés entre 2012 et 2015 ont surpris les scientifiques.

La fonte record qui a eu lieu en 2012 a entraîné la formation d’une couche de glace solide, épaisse de plusieurs mètres, au-dessus du névé poreux dans les zones de basse altitude. Des mesures radar ont permis de confirmer le phénomène sur des dizaines de kilomètres, ce qui n’avait pas été observé jusqu’à présent au Groenland. Les années suivantes, l’eau de fonte ne pouvait plus pénétrer verticalement à travers la couche de glace solide. A la place, elle était drainée le long de la surface vers l’océan.

L’étude montre que le névé réagit rapidement au changement climatique. Sa capacité à limiter la perte de masse de la calotte glaciaire en retenant l’eau de fonte pourrait être plus faible qu’on ne le pensait. La contribution du Groenland à l’élévation du niveau de la mer est peut-être sous-estimée car les modèles que les scientifiques utilisent ne prennent pas en compte ce phénomène de couverture du névé. Des changements similaires auraient été observés dans l’Arctique canadien, montrant que le processus pourrait être répandu.

Le Groenland a d’autres points faibles, comment l’ont montré des études parues ces deux dernières années. Les canyons qui bordent les côtes peuvent être très profonds, avec un lit rocheux situé sous le niveau de la mer. Le Groenland était censé résister au réchauffement de l’océan en raison de son front rocheux qui devait empêcher l’eau de trop s’engouffrer à l’intérieur des terres. Mas des analyses publiées en 2014 indiquent que cette barrière naturelle n’est pas assez élevée et présente de nombreuses failles permettant à l’eau de se frayer un chemin à travers les terres.

Parmi les facteurs qui pourraient contribuer à fragiliser le Groenland, il y a aussi les lacs supraglaciaires, ces étendues d’eau qui se forment quand fondent la neige et la glace. L’impact de ces lacs supraglaciaires était jusqu’à présent supposé faible ils inquiètent de plus en plus car ils peuvent accélérer la fonte et le glissement des glaciers vers la mer en lubrifiant la base de la calotte. Ils pourraient remonter de 110 km à l’horizon 2060, ce qui doublerait la surface qu’ils occupent actuellement au Groenland.

La situation pourrait avoir empiré en 2015 puisque le Groenland a  connu le 4 juillet dernier la fonte la plus importante depuis les niveaux records observés en 2012, selon le dernier « Arctic Report Card » publié par la NOAA. La fonte a concerné à son apogée la moitié de la surface de l’île. L’été 2015 a été marqué par une Oscillation de l’Atlantique Nord (NAO) négative, comme lors de la période 2007-2012, pendant laquelle la fonte a été intense en surface. Comme le rappelle l’Arctic Report Card, la NAO est définie comme le différentiel de pression entre la dépression d’Islande et l’Anticyclone des Açores. Une phase négative favorise la fonte au Groenland. Les conditions observées en 2015 ont cependant été différentes qu’en 2007-2012 car l’anomalie a été moins centrée sur l’île en juin et en août. La fonte aurait donc été plus importante si les conditions atmosphériques avaient été similaires à celles de la période record précédente.

D’après la mission satellite GRACE (qui permet de mesurer l’évolution de la gravité), la perte de masse de la calotte glaciaire a été de 186 milliards de tonnes (ou Gt) entre avril 2014 et avril 2015, soit un peu moins que ce qui a été observé entre 2002 et 2015 avec une perte moyenne de 238 Gt. Depuis le début des mesures GRACE en 2002, la perte la plus importante a été constatée en 2012-2013 avec 562 Gt, la plus faible en 2013-2014 avec 29 Gt. Le Groenland contribue davantage que l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer. Selon le dernier rapport du GIEC, la contribution du Groenland sera ainsi passée de 0,09 mm par an entre 1992 et 2001 à 0,59 mm par an entre 2002 et 2011. Celle de l’Antarctique sera passée de 0,08 mm à 0,40 mm sur les mêmes période.

Cumul de la masse de glace (en Gt) perdue par la calotte du Groenland entre avril 2002 et avril 2015, d'après GRACE. Source : Arctic Report Card 2015.

Cumul de la masse de glace (en Gt) perdue par la calotte du Groenland entre avril 2002 et avril 2015, d’après GRACE. Source : Arctic Report Card 2015.

La calotte de glace occupe 85% du Groenland. Son épaisseur moyenne est de 2,3 km. Une fonte totale se traduirait par une élévation du niveau de la mer de 7 mètres.

Citation : « Greenland meltwater storage in firn limited by near-surface ice formation » (Nature Climate Change) – Horst Machguth, Mike MacFerrin, Dirk van As, Jason E. Box, Charalampos Charalampidis, William Colgan.

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