Une équipe franco-chinoise relativise dans la revue Nature la responsabilité climatique de la Chine. D’après les chercheurs, la contribution chinoise au forçage radiatif global ne serait que de 10%. Un chiffre qui peut étonner alors qu’en 2014 le pays était responsable de 27% des émissions mondiales de CO2. L’écart entre les deux chiffres est en fait dû à deux facteurs : l’effet refroidissant des aérosols (émis massivement par la Chine) et la prise en compte de la totalité des émissions de gaz à effet de serre depuis le début de l’ère industrielle.
En 1990, la Chine était responsable de 11% seulement des émissions mondiales de CO2 liées aux combustibles fossiles et à la production de ciment. En 2014, changement total : la Chine est devenue le premier contributeur de la planète avec 27% des émissions. Dans le même temps, les Etats-Unis ont vu leur part diminuer de 21 à 15%.

Emissions annuelles de carbone de la Chine et du monde (combustibles fossiles, ciment) en millions de tonnes. Source : CDIAC.
Donc la Chine est désormais le pays le plus émetteur de la planète. Mais quelle est sa contribution totale au forçage radiatif alors que des gaz à effet de serre sont émis depuis le début de l’ère industrielle ? Le calcul du forçage radiatif est un élément déterminant pour l’analyse du changement climatique : il représente la différence entre l’énergie radiative reçue et l’énergie radiative émise.
Un forçage positif tend à réchauffer l’atmosphère, comme c’est le cas actuellement sous l’impulsion du CO2. Les gaz à effet de serre sont contrecarrés partiellement par les émissions d’aérosols mais le forçage reste globalement positif. Résultat, les températures ont augmenté d’environ 1°C depuis l’ère préindustrielle. En fonction de la variabilité naturelle, ce chiffre de 1°C peut être dépassé (comme cette année avec El Niño) et il serait encore plus important sans les aérosols.
Le forçage radiatif n’est pas seulement la traduction de la contribution du dioxyde de carbone. Il est aussi la résultante d’autres facteurs significatifs comme le méthane, le carbone suie, l’usage des terres et les aérosols. Chacun de ces facteurs a un poids différent, qui peut en outre être positif (gaz à effet de serre) ou négatif (aérosols). Et il ne faut pas prendre en compte que les émissions et changements actuels mais aussi ceux du passé.
Face à cette équation compliquée, une équipe franco-chinoise impliquant le Laboratoire des sciences du climat (LSCE, CEA/CNRS/UVSQ) vient de montrer que la contribution de la Chine au forçage climatique global était moins importante que ne le laissaient penser les derniers bilans d’émissions de CO2. Les chercheurs tirent ces résultats d‘une nouvelle méthodologie mise au point pour déterminer l’impact climatique d’un pays prenant en compte les émissions historiques de gaz à effet de serre et aussi les agents contribuant à refroidir le climat, comme les aérosols.
Les chercheurs ont estimé la contribution actuelle de la Chine au forçage radiatif planétaire en distinguant les différentes contributions des gaz à effet de serre à longue durée de vie, de l’ozone et de ses précurseurs, et des aérosols. Pour cela, ils ont établi un modèle couplant les grands cycles biogéochimiques de la Terre (cycle du carbone, chimie atmosphérique des gaz à effet de serre), une reconstitution 3D du transport et de la chimie des particules dans l’atmosphère et des reconstructions d’albédo provenant de données satellitaires.
La conclusion de l’équipe franco-chinoise est que la Chine contribue à hauteur de 10 % au forçage radiatif global actuel, qui est d’environ 2,88 Wm-2 (watt par mètre carré) . Les émissions de CO2 de la Chine sont aujourd’hui de 27% mais compte tenu des émissions de la période 1750-1990, qui sont principalement le fait des Etats-Unis et de l’Europe, son implication dans le forçage radiatif lié au CO2 n’est que de 13% avec +0,16 Wm-2. Idem pour le méthane et le carbone suie : les émissions actuelles de la Chine représentent environ 20% du total actuel alors que le forçage dû à la Chine n’est que d’environ 15%.
Du côté des agents refroidissants, on trouve notamment les aérosols dispersant le rayonnement solaire, tels que les sulfates ou les nitrates. La contribution de la Chine à la pollution des aérosols sulfatés est considérable : environ 28% du total mondial avec – 0,11 Wm-2. L’effet refroidissant des aérosols devrait cependant moins jouer à l’avenir. La lutte contre la pollution et l’amélioration de la qualité de l’air auront pour conséquence d’accélérer le réchauffement climatique si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas limitées dès maintenant.
Le budget carbone se réduit
L’étude impliquant le LSCE, le CEA et le CNRS a le mérite de préciser le rôle exact de la Chine à travers les différents facteurs agissant sur le climat. Elle pose cependant certaines questions. Tout d’abord, il peut sembler curieux d’invoquer une pollution (les aérosols) pour relativiser une contribution au réchauffement climatique. D’autre part, il semblait assez évident que la prise en compte des émissions historiques de gaz à effet de serre conduirait à relativiser la responsabilité de la Chine dans le forçage climatique actuel. Grâce à cette étude, on connaît certes le détail de la contribution chinoise. Le problème, c’est que cela ne change rien au défi que s’est fixé la communauté internationale lors de la COP 21 : limiter le réchauffement à 2°C.
Pour avoir 66% de chances de rester sous les 2°C, le GIEC estime qu’il ne faut pas émettre plus d’un milliard de tonnes (ou gigatonnes, GT) de carbone au total. Entre le début de l’ère industrielle et 2011, 531 GT de carbone ont déjà été émis. Cela laisse un budget de 469 GT. Le budget total serait encore réduit à 800 GT si l’on prenait en compte les autres gaz à effet de serre que le CO2. Il ne resterait plus que 270 GT de carbone environ à émettre, l’équivalent de 990 milliards de tonnes de CO2 (car 1 tonne de carbone = 3,67 tonnes de de CO2).
Sachant qu’entre 2011 et 2015, environ 48 GT de carbone ont été émis, le budget restant est d’autant réduit : 222 GT. Au rythme actuel de 10 GT par an, le calcul est simple : le budget sera épuisé en 22 ans, soit en 2037. Ce chiffre peut varier selon les facteurs pris en compte et l’estimation de leur poids respectif dans le calcul du forçage radiatif.
Revenons-en à la Chine. En 2014, environ 2,6 GT de carbone ont été émis par le pays. Un niveau d’émissions comme celui de 2014 maintenu d’ici 2050 se traduirait par un total de 91 GT de carbone, ce qui laisserait seulement 131 GT au reste de la planète. La Chine s’est récemment engagée à réduire ses émissions, mais seulement à partir de 2030.
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