Une étude sur le «budget carbone» a beaucoup fait parler d’elle récemment. Parce qu’elle revoit à la hausse la quantité de CO2 qui peut encore être libérée avant d’atteindre un réchauffement de 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels. D’après cet article, l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris sera certes difficile à tenir mais pas impossible. La méthode soulève cependant des questions et nous donne l’occasion d’examiner de plus près cette affaire de budget carbone.
Dans la presse comme au sein de la communauté scientifique, une étude de Millar et al. a fait l’objet de nombreux commentaires depuis sa publication le 18 septembre 2017. Elle a été d’abord été présentée par certains médias comme une sérieuse remise en cause des modèles utilisés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Mais l’étude a aussi été très critiquée par des climatologues de renom pour des questions de méthode. Les auteurs eux-mêmes ont d’ailleurs multiplié les interventions médiatiques pour tenter de s’expliquer.
Mais de quoi s’agit-il au juste ? Pour résumer, l’article publié dans Nature Geoscience affirme que la planète a une marge d’environ 20 ans avant de dépenser le budget carbone qui la mènera à +1,5°C. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle. C’est plus du double de ce qui était supposé jusqu’à présent avec les niveaux actuels d’émissions de CO2.
D’après la nouvelle étude, le budget carbone compatible avec 1,5°C de réchauffement est d’environ 200-240 millards de tonnes de carbone (GtC, ou 730-880Gt CO2) à compter de 2015.
Le niveau de température pour 2015 est estimé par les auteurs à +0,93°C au-dessus de la moyenne du 19ème siècle. Il reste donc une marge de 0,6°C.
Ces estimations du budget restant se distinguent assez nettement de celles du Cinquième rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC/AR5).
Quelle méthode était présentée dans l’AR5 ? Calculer un budget de 1,5°C pour les émissions de carbone à partir de 1870 puis soustraire les émissions cumulatives historiques estimées à ce jour, pour estimer le budget restant. Le budget 1,5°C total était de 615 GtC. Environ 545 GtC ont déjà été émises entre 1870 et 2015. Il ne resterait donc que 70 GtC, soit sept années d’émissions actuelles.
Au lieu de cela, Millar et al. a choisi d’estimer les émissions cumulatives et les variations de température par rapport à la décennie actuelle.
Cette dernière méthode semble à priori intéressante puisqu’elle prend en compte les derniers relevés de température et le niveau réel de carbone accumulé. On pourrait donc penser qu’elle est davantage ancrée dans la réalité.
Les scientifiques ont bien précisé après coup que leur étude ne consistait pas en une remise en cause des modèles. « Il n’y a rien dans notre document qui interroge les sciences climatiques fondamentales ou affecte l’une quelconque des sciences concernant les impacts et les risques climatiques » ont-ils dit sur le site Carbon Brief.
Mais quel est le problème alors ?
La différence fondamentale tient aux estimations modélisées et observées du climat actuel par rapport à l’état du cycle du carbone.
Les émissions cumulatives dans environ la moitié des modèles n’atteignent pas 545 GtC avant 2020, un niveau atteint en 2015 dans la réalité. Au moment où les émissions cumulatives de CO2 atteignent dans les modèles le niveau réellement relevé en 2015, les températures estimées sont de 0,3° C plus élevées que les observations. « C’est ce niveau de réchauffement pour un niveau donné d’émissions cumulatives, et non un réchauffement à une date donnée qui est pertinent pour le calcul des budgets de carbone » disent les auteurs.
Millar et al. estime que la hausse de température globale par rapport à la période préindustrielle, telle que définie au moment de la rédaction de l’Accord de Paris, était de 0,93°C en 2015. Les auteurs ont sélectionné comme période de référence 1861-1880 pour la cohérence avec les calculs de budget de carbone AR5.
Donc, le point principal de l’article est la comparaison entre les émissions cumulées de carbone. Les modèles prévoient que le niveau réellement observé en 2015 ne sera atteint qu’en 2020. Avec des températures plus élevées de 0,3°C. Dans les modèles, l’écart de température entre le niveau 2015 et le budget 615 GtC est donc plus important.
En recalibrant les modèles par rapport aux émissions et températures réelles, on obtient un budget carbone de 20 ans au lieu de 7 ans pour l’objectif 1,5°C.

On peut refaire le calcul avec le tableau ci-dessus issus des modèles CMIP5 du GIEC. Le réchauffement en 2015 est de 0,93°C, d’après Millar et al. Prenons le tableau 2 basé sur le scénario RCP 2.6. Pour obtenir 1,5°C, il faut ajouter 0,6°C. Cela correspond à un budget carbone de 242 Gt de carbone (66% de chances).
Le point déterminant de l’étude est sans doute le niveau de température retenu pour 2015, +0,93% au-dessus de la période préindustrielle (Millar et al al. a retenu 1861-1880). Il s’agit des données de HadCRUT4 auxquelles on a enlevé la part représentant la variabilité naturelle. Sans cela, le niveau retenu aurait été de +1,05°C. Les auteurs ont voulu ôter l’influence d’El Nino.
La principale critique que l’on peut formuler est le choix des données HadCRUt4 comme températures de référence. HadCRUT4 ne couvre pas toute la surface de la planète. Les régions polaires ne sont pas prises en compte. Or, on sait que l’Arctique est la région qui s’est le plus réchauffée depuis une cinquantaine d’années.
D’autres organismes comme la NASA ou Berkeley Earth couvrent la totalité du globe. La NASA a relevé en 2015 une anomalie de +1,10°C au-dessus de la période 1880-1899. En 2016, ce niveau a même été porté à +1,23°C et en 2017 nous en sommes pour le moment à +1,16°C, d’après la NASA.
Utilisons maintenant les tous derniers chiffres de la NASA pour évaluer la méthode de Millar et al.
Si nous prenons comme base 2016 (année El Nino) et 2017 (année neutre), la moyenne avoisine 1,2°C. Le différentiel avec 1,5°C tombe à 0,3°C. Le budget carbone, si l’on se réfère au tableau du GIEC cité précédemment, est de 106 GtC. Nous voilà beaucoup plus proches de ce qui avait été estimé précédemment, à savoir 70 GtC. Sur 2015, le Global Carbon Project a comptabilisé 11,2 GtC. La concentration de CO2 augmente sans interruption depuis le début des mesures.

D’après une étude publiée en mai 2017 par des scientifiques de l’Université de Melbourne, la température mondiale pourrait dépasser la barre des 1,5 °C dès 2026 si un mode de variabilité naturelle connu sous le nom d’Interdecadal Pacific Oscillation (IPO) passe à une phase positive.
Si l’IPO reste dans une phase négative, le franchissement sera reporté de 5 ans : l’étude annonce que nous verrons probablement les températures globales dépasser le seuil de +1,5 ° C en 2031.

D’après les scientifiques de Melbourne, la planète franchirait ensuite le seuil des +2°C vers 2040 avec un scénario tablant sur de fortes émissions de CO2 (RCP 8.5) ou en 2050 avec un scénario modéré d’émissions (RCP 4.5). Les 3°C seraient pour 2060 avec RCP8.5, ou pour 2100 avec RCP4.5.
Millar et al. a choisi d’enlever la variabilité naturelle mais les prochaines années être marquées par un rythme de réchauffement plus rapide s’enclenche avec une IPO positive. Le début du XXI siècle a été marqué par une IPO négative. 2015 a été dopée par un réchauffement du Pacifique avec des conditions El Nino mais une variation de plus long terme comme l’IPO peut produire une accélération du rythme du réchauffement sur plusieurs années. En ce sens, 2015 ne représente pas nécessairement un pic.
Sur un mois, la planète a déjà connu +1,62°C au-dessus de la période préindustrielle, d’après la NASA. C’était en février 2016. Avec plus de 10 milliards de tonnes de carbone émises chaque année, il semble difficile de croire que le seuil de 1,5°C en année pleine ne sera pas franchi avant 20 ans.

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