Retour sur une étonnante étude montrant la stabilité des températures de l’océan depuis le Crétacé. L’auteur principal, Sylvain Bernard, apporte des précisions sur global-climat, confirmant que les températures actuelles sont potentiellement les plus élevées des 100 derniers millions d’années.
Que dit la recherche sur les paléoclimats ? Des températures supérieures de 15°C à celle qu’aujourd’hui auraient régné sur la planète au Crétacé, il y a une centaine de millions d’années. Avec des niveaux de CO2 importants, favorisés par une activité volcanique intense. L’Eocène, il y a 55 millions d’années, aurait connu des niveaux similaires, à la faveur peut-être du dégazage des clathrates de méthane.
Une étude vient de remettre en cause cette vision, actuellement la plus partagée au sein de la communauté scientifique. Les auteurs affirment dans la revue Nature Communications que les températures auraient été beaucoup moins élevées au Crétacé mais aussi à l’Eocène. Il n’y aurait donc pas eu de forte baisse des températures depuis 100 millions d’années.
Il faut rappeler que l’étude du Crétacé et de l’Eocène pose problème depuis des années. Car les indices trouvés sur le terrain ne reflètent pas les simulations des modèles.
Comme on l’a dit, l’Éocène est censé avoir connu des températures de surface et des niveaux de CO2 atmosphérique élevés. Mais aussi une différence de température très faible entre les pôles et les Tropiques. C’est ce que révèle l’analyse des foraminifères, des micro-organismes retrouvés au fond de l’océan.
Le problème est que les simulations des modèles peinent à reproduire ce gradient latitudinal de températures plat et notamment la chaleur des océans de surface sous les hautes latitudes.
Dans la nouvelle étude de Nature Communications, les chercheurs annoncent avoir découvert des processus imperceptibles qui peuvent modifier les proxies que sont les foraminifères pendant l’enfouissement des sédiments. La méthode jusqu’ici utilisée pour remonter 100 millions d’années en arrière (au Crétacé) serait basée sur une erreur, selon les auteurs de l’article. Les températures de l’océan pourraient en fait avoir été relativement stables depuis le Crétacé supérieur.
Ces conclusions sont déjà assez détonantes. Les scientifiques affirment en outre que le réchauffement global actuel serait « un évènement potentiellement sans précédent ces 100 derniers millions d’années ».
Plutôt étonnant, quand on lit les descriptions de l’Eocène, il y a 55 millions d’années. Dans les régions arctiques, les températures auraient été propices à la présence de crocodiles et de fossiles de plantes adaptées à la chaleur.
L’auteur principal de l’étude, Sylvain Bernard, minéralogiste géochimiste au CNRS, a accepté de répondre aux questions posées par cette étude surprenante.
Global-Climat: Avez-vous quantifié la température du Crétacé ? De combien la baisse de la température, supposée jusqu’à présent de 15 degrés, doit-elle être rectifiée ?
Sylvain Bernard : Nous n’avons pas quantifié précisément la température des océans au Crétacé, mais nous avons simulé le signal qu’on obtiendrait si l’océan avait eu la même température qu’aujourd’hui depuis la fin du Crétacé (ce sont nos figures 3 – voir l’étude – et 4 ci-dessous). Ce qu’on observe, c’est que ces simulations reproduisent les signaux mesurés. On obtient exactement la distribution latitudinale mesurée pour l’Eocène (Figure 4) et on reproduit la tendance mesurée pour l’océan profond depuis la fin du Crétacé (Figure 3). Le signal porté par les foraminifères n’indique donc pas une baisse de température de 15 °C pour l’océan profond et l’océan de surface au niveau des pôles, au contraire, on peut l’interpréter comme indiquant que la température des océans n’a pas changé significativement depuis la fin du Crétacé.

GC : Peut-on y voir une réconciliation avec les modèles ?
SB : Les modèles n’arrivaient pas à expliquer comment on pouvait avoir un océan de surface au niveau de l’équateur à ~30°C et un océan profond à 15-20°C et un océan de surface au niveau des pôles à 15-20°C. Une telle redistribution de chaleur est impossible à modéliser. Notre étude suggère que les températures de l’océan n’ont que très peu bougé depuis le Crétacé et les modèles expliquent facilement la distribution des températures de l’océan actuel. Donc oui, c’est une réconciliation avec les modèles.
Vous parlez d’un réchauffement en cours sans précédent sur les derniers 100 millions d’années. Que voulez-vous dire exactement ? Vous parlez du réchauffement futur ou de celui qui est déjà arrivé ?
SB : On pensait jusqu’à présent que la fin du Crétacé était une période chaude. Notre étude montre que c’est probablement faux. Il faisait la même température au Crétacé que juste avant la révolution industrielle. Nous vivons actuellement une période de réchauffement global qui est donc peut être une première dans l’histoire de notre planète, tout du moins ces 100 derniers millions d’années. Après, il faut garder à l’esprit que le pas d’échantillonnage est très différent. On mesure aujourd’hui la température des océans quasiment en continu, alors que pour les océans du passés, nous n’avons que des valeurs moyennées sur des centaines voire des milliers d’années. C’est pour cela qu’il faut utiliser le mot « potentiellement ».
Quand vous dites que les températures actuelles pourraient être au niveau du Crétacé, vous parlez bien des températures de l’océan et des températures de surface et non des températures de l’air ?
SB : Oui, je parle des températures de l’océan profond et de l’océan de surface. Ceci dit, si les températures de l’océan étaient les mêmes, les températures de l’air étaient probablement les mêmes également.
Vous dites qu’il y a une convergence entre votre étude et les modèles. Cela ne concerne que le gradient de température ou également le niveau de température ? Car il me semble que les modèles climatiques montrent des températures de l’air très élevées au Crétacé et au PETM, notamment au niveau des Tropiques, beaucoup plus qu’aujourd’hui.
SB : Les deux. Les modèles sortent des températures atmosphériques élevées pour expliquer les paléotempératures élevées estimées pour les océans. Mais nous montrons que ces températures ont été surestimées. Qui plus est, les modèles n’expliquaient pas la distribution latitudinale mesurée pour l’Eocene, ni le gradient entre la surface et la profondeur. Notre étude lève ces paradoxes.
Votre étude pourrait-elle conduire à une révision des modèles ?
SB : Les modèles ont été construits à partir des observations actuelles. Revoir les paléotempératures permet de réconcilier les modèles avec les mesures. Je ne pense pas que les modèles doivent être révisés.

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