Climat

Comment l’apport d’eau douce accélère la fonte des plateformes de l’Antarctique

Une nouvelle étude montre l’impact de la fonte sous les plateformes de glace de l’Antarctique. La couche de surface de l’océan bordant le continent est moins salée et plus flottante. Le mélange des eaux en hiver s’en trouve contrarié, ce qui permet à l’eau chaude des profondeurs d’amplifier la fonte glaciaire par le bas.

L’inlandsis antarctique perd de plus en plus de masse, la plus grande perte étant observée dans les glaciers qui se jettent dans la mer d’Amundsen, dans l’Antarctique occidental. Dans l’Antarctique de l’Est, la perte de glace est moins importante mais elle se produit aussi sur la côte de Sabrina, où le glacier de Totten s’amincit et où sa ligne d’échouage recule.

Les auteurs d’une nouvelle étude parue dans Science Advances se penchent sur ce phénomène de fonte basale des glaciers, pointant le rôle des polynies.

Polynie en Antarctique près de l’Ile de Ross. Source : NASA.

Une polynie est une zone qui reste libre de glace au milieu de la banquise. On en trouve en Arctique et en Antarctique.

Autour de l’Antarctique, les polynies côtières sont formées par l’action du vent et des courants qui chassent la glace. La glace de mer se reforme ensuite dans ces brèches. C’est ce qui a intéressé les auteurs de l’étude car ces polynies sont des zones de formation des eaux denses, qui ont potentiellement un rôle dans la circulation océanique.

Dans les polynies, la formation de glace de mer s’accompagne d’un rejet massif de sel vers l’océan. Cet apport de sel s’accompagne d’une augmentation de la densité de l’eau se situant sous la glace. Cette couche d’eau plus dense a tendance à plonger.

Polynie côtière : le vent qui souffle chasse la glace, où la zone libre voit se former à nouveau de la glace de mer, éjectant du sel (brine formation) vers les profondeurs. Source : Open University.

Une forte perte de flottabilité dans les polynies les plus actives se retrouve dans la mer de Ross, la mer de Weddell, la côte Adélie, la région de Cape Darnley et Prydz Bay. L’eau froide et salée plonge vers le fond pour se mélanger avec l’eau ambiante, formant les eaux antarctiques de fond, une composante clé de la circulation méridienne de retournement.

Normalement, une forte perte de chaleur et une libération de sel pendant la formation de la glace de mer dans les polynies côtières ont pour effet de refroidir et de saliniser les eaux du plateau continental antarctique.

« Normalement », car malgré la présence des polynies, la plongée des eaux vers les profondeurs n’est pas assurée sur la côte de Sabrina (Antarctique de l’Est) et dans la mer d’Amundsen (Antarctique de l’Ouest) d’après les observations et les calculs des chercheurs.

Pourquoi ? Car l’apport d’eau douce provenant de la fonte basale des plateformes de glace contrecarre le flux de sel par la formation de glace de mer dans les polynies des deux régions, empêchant ainsi la convection.

En l’absence de convection profonde, l’eau chaude qui atteint le plateau continental dans la couche inférieure ne perd pas beaucoup de chaleur vers l’atmosphère. Elle est donc disponible pour entraîner la fonte basale rapide observée sous certaines plateformes de glace.

Sur les plateformes continentales chaudes, comme celles de la côte de Sabrina et de la mer d’Amundsen, les eaux profondes entraînent la fonte basale rapide de la plateforme glaciaire. Le grand volume d’eau de fonte glaciaire empêche la formation d’eau dense et salée dans les polynies. Le courant qui reste dans la couche inférieurepeut accéder aux cavités du plateau de glace. Sur les plateformes continentales froides, l’apport d’eau de fonte glaciaire n’est pas suffisant pour supprimer la convection hivernale dans les polynies. Source : Silvano et al. (Science Advances).

Toutes les polynies ne produisent donc pas de l’eau de surface suffisamment dense. La polynie de Dalton sur la côte de Sabrina et la polynie d’Amundsen sont parmi les plus actives de l’Antarctique en termes de volume de glace de mer formée chaque année. Malgré cette productivité, la convection entraînée par la perte de flottabilité hivernale n’atteint pas le fond. La colonne d’eau reste stratifiée toute l’année, avec des eaux hivernales relativement fraîches au-dessus d’une eau plus salée. Cette absence de convection en profondeur permet aux courants chauds de se propager à travers le plateau continental jusqu’aux cavités glaciaires.

Le résultat est la rapide fonte basale observée sur la côte de Sabrina et la mer d’Amundsen. Les plateformes de glace dans ces régions soutiennent un volume de glace équivalent à plus de 4 mètres de l’élévation globale du niveau de la mer.

L’eau de fonte peu salée ralentit la formation d’eau profonde autour de l’Antarctique, d’où un ralentissement des courants qui permettent à l’océan d’extraire le dioxyde de carbone et la chaleur de l’atmosphère.

Un mécanisme similaire a été proposé pour expliquer l’élévation rapide du niveau de la mer jusqu’à cinq mètres par siècle à la fin de la dernière période glaciaire, il y a environ 15 000 ans. D’après les auteurs de l’étude, une nouvelle accélération du taux d’élévation du niveau de la mer est donc possible à l’avenir.

Pour le moment, les plateformes de glace limitent l’écoulement de la glace vers l’océan, agissant comme un contrefort pour retenir la couche de glace sur le continent antarctique.

Là où les eaux chaudes de l’océan s’écoulent sous les plateformes de glace, elles peuvent entraîner une fonte rapide par le bas. Des plateformes de glace amincies ou fragmentées perdent leur rôle de contreforts. Ce processus conduit à l’élévation du niveau de la mer, car plus de glace se déverse dans l’océan.

Les résultats de l’étude suggèrent qu’une augmentation de l’apport d’eau de fonte glaciaire dans un monde en réchauffement entraînera une perte de masse accrue de l’inlandsis antarctique, avec des conséquences sur la circulation globale et l’élévation du niveau de la mer.

Actuellement, les eaux du plateau antarctique sont généralement relativement froides et les taux de fonte basale sont encore faibles en de nombreux endroits, ce qui indique que l’apport d’eau de fonte glaciaire soit insuffisant pour empêcher la formation d’eau dense. Cependant, les projections simulant l’impact des émissions anthropiques de gaz à effet de serre montrent que la fonte des glaciers et des glaciers antarctiques augmentera dans les décennies et les siècles à venir en réponse au réchauffement de l’océan et de l’atmosphère.

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