Climat

Nouveau record de chaleur pour l’océan en 2019

Une nouvelle étude montre que le contenu en chaleur des océans a fait un bond pour atteindre un niveau record en 2019. Le réchauffement de l’océan constituant une mesure clé du déséquilibre énergétique de la Terre, les auteurs de l’article affirment que l’impact des gaz à effet de serre sur le climat est « irréfutable ».

D’après une analyse publiée en janvier 2020 sous la direction de Lijing Cheng, le contenu en chaleur de l’océan entre 0 et 2000 mètres a fait un bond en 2019 pour atteindre un niveau sans précédent depuis le début de l’ère instrumentale. Le record avait déjà été battu en 2017 puis en 2018.

Plus de 90% de la chaleur excédentaire liée aux gaz à effet de serre est stockée dans les océans du globe, où elle s’accumule et provoque une augmentation du contenu en chaleur. C’est donc la mesure la plus importante du déséquilibre énergétique et l’un des meilleurs moyens de quantifier le réchauffement climatique.

L’article publié dans Advances in Atmospheric Sciences présente les dernières données actualisées du contenu en chaleur de l’océan (OHC pour Ocean Heat Content) de 1940 à 2019. Outre Lijing Cheng, on compte parmi les auteurs de l’étude Kevin Trenberth et Michael E. Mann. Les données présentées indiquent que l’océan n’a jamais été aussi chaud depuis le début des mesures. Plus précisément, l’anomalie de chaleur océanique (0−2000 m) en 2019 a atteint 228 zettajoules (ZJ =1021 Joules) au-dessus de la moyenne de 1981−2010 et 25 ZJ au-dessus de 2018 (à noter que cette mesure de 228  x 1021 peut être exprimée 22,8 x 1022  dans d’autres présentations). La valeur observée en 2019 est en forte hausse par rapport à 2018, pourtant déjà une année record.

GlobalOHC_anomaly_bar_plot_2019all

Anomalie annuelle moyenne de la chaleur océanique en 2019 par rapport à la période 1981-2010. Source : Lijing Cheng -IAP.

Les valeurs de l’OHC pour les 2 000 m supérieurs ont été obtenues à partir de l’analyse océanique de l’Institut de physique atmosphérique (IAP) de Pékin, qui utilise une méthode relativement nouvelle pour traiter la rareté des données et les mises à jour des instruments qui ont été utilisés pour mesurer la température des océans.

Lijing Cheng et ses coauteurs utilisent les données du réseau de flotteurs Argo qui mesurent la température et la salinité des océans à une profondeur de 2 000 mètres. Ces flotteurs sont maintenant largement déployés dans les océans du monde. Des modélisations sont utilisées pour combler les lacunes spatiales et temporelles dans les mesures de la température des océans. Les données relevées par les instruments Argo aident les scientifiques à corriger et valider les relevés de température à partir de mesures plus anciennes et moins fiables, ainsi qu’à combler les lacunes géographiques et temporelles. L’incertitude dans les données OHC a été considérablement réduite au cours des dernières décennies grâce au  système d’observation des océans.

L’évolution de l’OHC montre que la tranche 0-2000 m en 2019 était de 228 ZJ supérieure à la moyenne 1981-2010. La chaleur record de l’océan est confirmée par les données de la National Oceanic and Atmospheric Administration / National Center for Environmental Information (NOAA / NCEI), montrant 217 ZJ en 2019 au-dessus de la moyenne de 1981 à 2010 (21 ZJ au-dessus de 2018).

OHC cheng 2019

Graphique global-climat. Anomalies du contenu en chaleur de l’océan en zettajoules (ZJ=1021 Joules) entre 0 et 2000 mètres par rapport à la moyenne 1981-2010. Source : Source: Cheng/IAP.

Les cinq dernières années sont les cinq années les plus chaudes dans l’océan et les dix dernières années sont également les dix plus chaudes jamais enregistrées. Une observation qui est aussi valable  pour les données NOAA / NCEI. Ci-dessous, le Top 5 pour l’IAP (présente étude) et pour NOAA/NCEI (anomalies en zettajoules par rapport à 1981-2010) :

Rang Année IAP NOAA/NCEI
1 2019 228 217
2 2018 203 196
3 2017 193 189
4 2015 185 180
5 2016 180 164

Il est intéressant par ailleurs de regarder l’évolution à plus long terme. Sur la période 1955-1986, le réchauffement a été de ~ 2,1 ZJ/an. Sur 1987-2019, le réchauffement a atteint 9,4 ZJ/an, reflétant une augmentation importante du taux de changement climatique mondial.

Le réchauffement ne se limite pas aux 2000 premiers mètres. Pour calculer le déséquilibre énergétique total, il faut ajouter aux chiffres de 0 – 2000 m le réchauffement sous les 2000 mètres mais aussi prendre en compte l’énergie absorbée par les autres composantes du système climatique (7% du total, étant donné que l’océan absorbe 93% de l’énergie). Sur la base des données OHC mises à jour tout au long de 2019 à partir de l’IAP, un budget énergétique océanique révisé de 0 m jusqu’au fond de l’océan est également fourni par les auteurs de l’étude. Les nouveaux résultats indiquent un réchauffement total des océans de 370 ± 81 ZJ de 1960 à 2019, avec des contributions de 41,%, 21,5%, 28,6% et 8,9% des couches 0–300 m, 300–700 m, 700–2000 m et en dessous de 2000 m, respectivement.

La plupart des régions océaniques montre une augmentation du contenu en chaleur. L’océan Atlantique et l’océan Austral (en particulier près du courant circumpolaire antarctique, 40 ° – 60 ° S) ont continué de montrer un réchauffement plus important que la plupart des autres bassins. L’océan Austral a absorbé la majeure partie de la chaleur du réchauffement climatique depuis 1970. De multiples observations montrent que l’océan au sud de 30 ° S, entre 0–2000 m est responsable de 35% à 43% de l’augmentation de l’OHC mondial entre 1970–2017.

Le réchauffement des océans est irréfutable, concluent Lijing Cheng et ses coauteurs. Comme on l’a dit, plus de 90% de la chaleur s’accumule dans l’océan en raison de sa grande capacité calorifique, et le reste se manifeste par le réchauffement atmosphérique, un assèchement et un réchauffement des masses continentales et la fonte des glaces terrestres et marines. Il n’y a pas d’explication alternative raisonnable à part les émissions anthropiques de gaz piégeant la chaleur. L’augmentation des températures de l’océan entraîne en outre une élévation du niveau de la mer liée à son expansion thermique et à la fonte des glaces, ce qui se vérifie dans les mesures.

Le réchauffement des océans se poursuivra même si la température mondiale moyenne de l’air de surface peut être stabilisée à 2°C ou moins (l’objectif politique clé de l’Accord de Paris) au 21e siècle en raison de l’engagement à long terme des changements océaniques entraînés par les GES. L’océan et certains autres composants du système terrestre, tels que les grandes calottes glaciaires sont lents à répondre et à s’équilibrer, et continuent de changer même après la stabilisation du forçage radiatif. Cependant, les taux de réchauffement et les risques associés seront plus faibles avec des émissions de gaz à effet de serre réduites.

 

 

9 réponses »

  1. En voyant la carte, je me rends compte que depuis fin novembre, les SST du bassin Atlantique sud semblent cumuler une anomalie positive (depuis l’Angola). Aucune idée si cela aura une quelconque infuence sur les autres courants océaniques/atmosphériques et la météo locale ~europe.

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  2. Comment mettre en parallèle cette étude avec celle de Dewitte (https://www.mdpi.com/2072-4292/11/6/663/htm) qui nous explique que l’augmentation de température des océans se ralentit ?

    Extrait du résumé : « The EEI trend agrees with a trend of the Ocean Heat Content Time Derivative of −0.26 ± 0.06 (1σ) W/m2dec. »

    D’un côté nous avons Dewitte qui nous dit que le rythme de réchauffement des océans a diminué sur la période 2000-2018, de l’autre nous avons cette nouvelle étude qui semble nous dire que ce rythme s’accélère (en tout cas on ne voit pas vraiment de ralentissement sur le graphique, dans l’étude la tendance 1985-2020 est clairement bien plus forte que durant la période qui précède)

    Dans le graphique de l’Ocean Heat Budget la période 2000-2018 montre une très nette augmentation dans la couche 0-300m ainsi que dans les couches inférieures, sauf la plus profonde, celle des 2000m-bottom qui reste en augmentation linéaire.

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    • @Géd: les deux points de vue adoptés dans ces études sont complètement différents. Dans des cas comme ça, il faut commencer par être très précis dans ce qu’on lit: Dewitte ne dit pas que le rythme (c’est à dire, la vitesse) du réchauffement diminue entre 2000 et 2018, mais que l’accélération du réchauffement diminue entre 2000 et 2010. On voit sur sa figure 15 que l’accélération du réchauffement est en diminution entre 2000 et 2010, alors qu’elle augmentait entre 1982 et 2000; pour autant, cette accélération reste nettement supérieure en 2010 par rapport à ce qu’elle était en 1982 (environ 7 ou 8 fois supérieure je dirais, d’après le graphe). Autrement dit, la vitesse du réchauffement est plus rapide en 2010 qu’en 1982, alors que l’accélération est moins rapide.

      Cheng, lui, nous dit que le rythme de réchauffement (c’est à dire, la vitesse, et non pas l’accélération) augmente sur 1987-2019 par rapport à 1955-1986. Les deux affirmations sont de nature très différentes et ne couvrent de surcroît pas les mêmes périodes, et ne sont pas mutuellement exclusives. J’espère que mes explications ne sont pas trop embrouillées.

      Là où je suis plus méfiant, c’est que Dewitte compare les variations de son OHCTD à celles de l’EEI. Il compare donc une accélération avec une vitesse, ce qui ne me paraît pour le moins suspect. On ne peut rien tirer d’une méthode pareille. Pas étonnant qu’on ait du mal à comprendre…

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      • Pour préciser un peu mon propos, qui introduit quelques raccourcis:

        Dewitte obtient son OHCTD en calculant une moyenne glissante sur 10 ans de la température des océans, puis en calculant la variation d’une année sur l’autre. Ce n’est pas une dérivée (donc, une vitesse) à proprement parler, car pour calculer une dérivée il aurait dû approximer les valeurs annuelles (discrètes) du réchauffement par une courbe continue et en calculer les variations « point par point ». Mais ça y ressemble. L’OHCTD est donc un résultat approchant ce qu’il aurait obtenu en dérivant le réchauffement.

        Ensuite, il approxime grossièrement l’OHCTD en calculant 3 tendances sur 3 périodes contigües. Là encore, les valeurs de ces tendances (par exemple, −0.26 ± 0.06 (1 σ) W/m2dec) ne correspondent pas à des dérivées de l’OCTD, mais ça s’en rapproche grossièrement. On parle donc, à la fin, d’un résultat mimant de façon imprécise une dérivation seconde d’une courbe du réchauffement. Voilà pourquoi je parle d’accélération et de vitesse, même si c’est un raccourcis. Ce qui est important, dans l’histoire, c’est que l’OCTD ne montre pas directement le réchauffement des océans et les chiffres avancés ne montrent pas le rythme du réchauffement. C’est plus subtil et ça peut facilement nous induire en erreur.

        Pour tout dire, je n’aime pas cette méthodologie. Elle oblige à choisir subjectivement des périodes, là où une dérivation aurait donné directement un résultat plus précis et objectif.

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    • Sans parler du détail de l’étude de Dewitte, il faut avoir en-tête qu’elle se base sur CERES, donc les mesures satellites, qui peuvent difficilement donner une estimation absolue du déséquilibre énergétique. Celui-ci est en effet faible au regard des flux mesurés depuis l’espace. La meilleure méthode semble donc celle qui se base sur le contenu en chaleur de l’océan grâce au réseau Argo, voire une combinaison entre les différentes méthodes pour ancrer CERES sur les mesures Argo.

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      • Merci Maignial et Johan pour toutes ces précisions, on comprend mieux pourquoi il est indispensable d’avoir un organisme comme le GIEC afin de faire une synthèse de toutes les études qui paraissent ici ou là !

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  3. Bonjour Johan,
    Je m’interroge sur les effets possibles, éventuels ou futurs sur le climat de ce nouveau record mondial de chaleur dans les océans en 2019. Est-il à craindre qu’avec la poursuite de l’augmentation de chaleur dans les océans, qu’à + 1.5°C ou + 2°C (par rapport au début de la période industrielle), par exemple, qu’il pourrait y avoir atteinte d’un point de basculement éventuel se traduisant par un relargage massif de la chaleur accumulée dans l’océan vers l’atmosphère, causant une augmentation rapide de la température mondiale.

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