Climat

Pour l’AIE, les émissions de CO2 ont finalement stagné en 2019

Malgré les anticipations d’une nouvelle augmentation, les émissions mondiales de dioxyde de carbone liées à l’énergie n’ont pas augmenté en 2019, selon les données de l’Agence Internationale de l’Energie publiées le 11 février. Les émissions de CO2 en 2019 restent donc au niveau record atteint en 2018.

Fin 2019, le Global Carbon Project avait anticipé une hausse des émissions de CO2 d’origine fossile de 0,6% sur l’année 2019, pour atteindre un record à près de 37 milliards de tonnes de CO2. Cela devait être la troisième année consécutive marquée par une augmentation des émissions mondiales de CO2.

L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) revoit légèrement à la baisse les anticipations du Global Carbon Project. Pour l’AIE, les émissions n’ont pas augmenté de 0,6% mais ont  plutôt stagné, restant au même niveau qu’en 2018 (un record). La différence est minime, d’autant que la marge d’incertitude du Global Carbon Project était entre -0,2 et +1,5%. Si le niveau des émissions de CO2 reste insuffisante pour empêcher un réchauffement climatique de 3°C ou plus, l’annonce d’une stagnation en 2019 permet d’entretenir l’espoir d’un plafonnement durable, et pourquoi pas d’une réduction.

Il faut préciser que les données de l’AIE ne prennent pas en compte les émissions liées à la production de ciment. Ce qui ne change pas grand chose dans la petite divergence entre les chiffres de l’AIE et du Global Carbon Project. Sans les émissions du ciment, les chiffres du Global Carbon Project auraient montré une hausse des émissions liées à l’énergie de 0,5%.

Les données de l’AIE ne prennent pas en compte non plus les changements liés à l’usage des sols. Les estimations préliminaires pour 2019 montrent que les émissions mondiales résultant de la déforestation, des incendies et d’autres changements d’affectation des sols ont augmenté de 0,8 milliard de tonnes par rapport à 2018. Les émissions supplémentaires sont en grande liées aux incendies et à la déforestation en Amazonie et en Asie du Sud-Est.

Pour l’AIE, après deux années de croissance, les émissions mondiales liées à l’énergie sont restées inchangées à 33 gigatonnes en 2019 (la différence avec les 37 Gt du Global Carbon Project tient principalement à la production de ciment). Les émissions ont stagné alors que l’économie mondiale a connu une croissance de 2,9%. Les émissions mondiales de CO2 provenant de l’utilisation du charbon ont diminué de près de 200 millions de tonnes (Mt), ou 1,3%, par rapport aux niveaux de 2018, compensant l’augmentation des émissions provenant du pétrole et du gaz naturel. La consommation de charbon est suivie de près en raison des émissions massives de CO2 associées. Les projections les plus pessimistes des modèles climatiques du GIEC impliquent une croissance des émissions de CO2 provenant du charbon et il est absolument impératif de les limiter pour éviter un scénario catastrophe.

AIE 2019 global

Emissions mondiales de CO2 en milliards de tonnes. Source : AIE.

Il y a eu en 2019 une baisse des émissions liées la production d’électricité dans les économies avancées grâce au rôle croissant des sources renouvelables (principalement l’éolien et le solaire), au passage du combustible du charbon au gaz naturel (notamment aux Etats-Unis) et à l’augmentation de la production d’énergie nucléaire. Parmi les autres facteurs, il y a aussi eu une météo plus clémente dans plusieurs pays majeurs, ce qui représente quand même 150 millions de tonnes de CO2 en moins. Enfin, le ralentissement de la croissance économique dans certains marchés émergents a joué un rôle non négligeable. A noter que les économies avancées selon la définition de l’AIE sont  : Australie, Canada, Chili, Union européenne, Islande, Israël, Japon, Corée, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Suisse, Turquie et Etats-Unis.

Une baisse importante des émissions dans les économies avancées en 2019 a compensé la poursuite de la croissance ailleurs. La croissance économique dans ces pays a été de 1,7% en 2019, mais les émissions totales de CO2 liées à l’énergie ont diminué de 3,2%. La production à partir des centrales au charbon dans les économies avancées a diminué de près de 15% en raison de la croissance continue des énergies renouvelables, du passage du charbon au gaz, de l’augmentation de l’énergie nucléaire et de la baisse de la demande d’électricité.

AIE avancées 2019

Emissions de CO2 liées à l’énergie dans les économies avancées (Australie, Canada, Chili, Union européenne, Islande, Israël, Japon, Corée, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Suisse, Turquie et États-Unis). Source : AIE.

Les Etats-Unis ont enregistré une baisse de 140 millions de tonnes, soit 2,9%, pour arriver à un total de 4,8 Gt. Les émissions américaines sont désormais en baisse de près de une gigatonne par rapport à leur pic de 2000. La volonté de Donald Trump de relancer le charbon n’a rien pu faire face à la rationalité d’un marché guidé par les les prix du gaz naturel. Les prix de référence du gaz ont été en moyenne de 45% inférieurs à 2018. Depuis 2010, les entreprises électriques américaines ont annoncé le retrait de plusieurs centaines de centrales à charbon.

Les émissions dans l’Union européenne ont diminué de 160 millions de tonnes, soit 5%, en 2019, pour atteindre 2,9 Gt. C’est l’effet notamment des réductions dans le secteur de l’électricité. Le gaz naturel a produit plus d’électricité que le charbon pour la première fois, tandis que l’électricité éolienne a presque rattrapé l’électricité produite par le charbon. Ces résultats sont pour une grande part dus à l’Allemagne, dont les émissions ont chuté de 8%. Le parc électrique au charbon de l’Allemagne a connu une baisse de sa production de plus de 25% sur un an en raison d’une baisse de la demande d’électricité et d’un bond des énergies renouvelables. Avec une part de plus de 40%, les énergies renouvelables ont pour la première fois produit plus d’électricité en 2019 que les centrales au charbon allemandes. Le Royaume-Uni a également poursuivi sa décarbonisation, la production des centrales au charbon étant tombée à 2% seulement de la production totale d’électricité. L’expansion rapide de la production éolienne offshore, avec la mise en ligne de nouveaux projets en mer du Nord, a été un facteur déterminant de cette baisse. Les énergies renouvelables ont fourni environ 40% de l’approvisionnement en électricité au Royaume-Uni, le gaz fournissant un montant similaire.

Les émissions du Japon ont chuté de 45 millions de tonnes, soit environ 4%, le rythme de baisse le plus rapide depuis 2009. Le secteur de l’électricité a enregistré la plus forte baisse d’émissions, les réacteurs récemment remis en service ayant contribué à une augmentation de 40% de la puissance nucléaire.

Dans les économies avancées, le phénomène le plus important est sans doute la baisse de la production d’électricité à partir du charbon. Elle diminue de près de 15% en raison de la croissance des énergies renouvelables, du passage du charbon au gaz, de la hausse de l’énergie nucléaire et de la baisse de la demande d’électricité.

Les émissions dans le reste du monde ont augmenté de près de 400 millions de tonnes en 2019 avec près de 80% de l’augmentation en provenance d’Asie. Dans cette région, la demande de charbon a continué de croître, représentant plus de 50% de la consommation d’énergie.

Reste AIE 2019

Emissions de CO2 liées à l’énergie dans le reste du monde. Source : AIE.

En Chine, les émissions ont augmenté mais ont été tempérées par un ralentissement de la croissance économique et une production plus élevée de sources d’électricité à faible émission de carbone. Outre l’expansion des énergies renouvelables, 2019 a également été la première année complète d’exploitation de sept réacteurs nucléaires à grande échelle en Chine.

La croissance des émissions en Inde a été modérée en 2019, les émissions de CO2 provenant du secteur de l’électricité ayant légèrement diminué. La forte croissance des énergies renouvelables a entraîné la baisse de la production d’électricité au charbon pour la première fois depuis 1973. La croissance continue des combustibles fossiles dans d’autres secteurs de l’économie indienne, notamment les transports, a compensé la baisse du secteur de l’électricité.

Rappelons enfin que la stagnation des émissions liées à l’énergie n’empêche pas la concentration de CO2 dans l’atmosphère de poursuivre sa hausse pour atteindre un niveau record de 411 ppm en moyenne sur l’année 2019. Cette notion de concentration de CO2 est à distinguer des chiffres concernant les émissions de CO2. Les émissions représentent ce qui entre dans l’atmosphère en raison des activités humaines, la concentration indique ce qui reste dans l’atmosphère au terme des interactions entre l’air, la biosphère et les océans.

co2_data_mlo

Concentration de CO2 dans l’atmosphère. Source : NOAA.

Catégories :Climat

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17 réponses »

  1. Bonjour Johan,
    En effet, malgré ces bonnes nouvelles au sujet des émissions mondiales de CO2 reliées à l’énergie, la concentration des émissions de CO2 continue sa croissance dans l’atmosphère terrestre pour atteindre un niveau record de 411 ppm en moyenne sur l’année 2019. La concentration de CO2 en 2018 étant d’environ 407 ppmn en moyenne selon le graphique de la NOAA. https://www.esrl.noaa.gov/gmd/ccgg/trends/. J’ai déjà lu ailleurs, que malgré tous les efforts de l’humanité de réduire les émissions mondiales de CO2 que cela serait insuffisant en raison du relarguage continuel de CO2 de l’arctique qui se réchauffe progressivement.

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  2. Quand on voit quelles sont les économies avancées selon l’AIE, on comprend que les émissions ne sont pas près de baisser… D’ailleurs, quelle baisse faudrait-il pour que le taux atmosphérique de CO2 se stabilise à la valeur actuelle? Et pour qu’elle redescende à la valeur qu’elle était au moment de la cop1? Ce dont je suis sûr, c’est qu’on ne pourra pas se contenter pour cela d’une pauvre baisse de 5 ou 10%, qui serait pourtant célébrées comme une immense réussite par les « élites » politiques et économiques.

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    • Tant que les émissions excèdent la capacité des puits de carbone, la concentration continue à augmenter. Actuellement, environ 45% du CO2 émis reste dans l’atmosphère. Il faudrait donc couper 45% des émissions pour stabiliser la concentration. Ceci est une approximation. A noter que stabilisation de la concentration ne signifie pas stabilisation des températures.

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      • Merci! Effectivement, stabiliser la température à la valeur actuelle ou au moins à 1,5°C serait une autre paire de manche. À vrai dire, je ne crois même plus à la possibilité de rester en dessous de +1,5°C, sauf si les émissions deviennent rapidement nulle voir négatives. Autant croire au père noël! On est vraiment à une période charnière où chaque année de retard se paye cher sur nos capacités futures à préserver le climat compatible avec la vie actuelle et la préservation du niveau marin.

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        • Chaque année ampute en effet le maigre budget carbone pour limiter le réchauffement à 1.5°C (500 Gt CO2, les estimations varient). Impossible à tenir à mon avis, et de l’avis de la plupart des scientifiques également. On a bien eu quelques efforts du rapport SR15 du Giec, sous l’impulsion de quelques chercheurs, d’étendre la marge budgétaire en sous-estimant le réchauffement déjà réalisé. Ce rapport a été sévèrement taclé par certains scientifiques de premier plan comme Michael Mann et Gavin Schmidt.
          Je considère pour ma part qu’il est dangereux de laisser croire que les 1.5C sont possibles. Ca veut dire qu’il n’y a pas de marge et qu’il faut taper très fort dès maintenant, car ce sont déjà les 2C qui sont en passe d’être hypothéqués. Il n’y a pas désespoir dans le fait de dire que les 1.5C sont cuits… 2C c’est toujours mieux que 3C… 3C c’est mieux que 4C etc….

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          • Même en passant à 0 émissions du jour au lendemain, nous n’éviterions pas 1.5°C (l’équilibrage de pression partielle au niveau des océans empêcherait de faire redescendre la concentration atmosphérique). Donc le budget carbone correspondant à cette température est derrière nous. Pour 2°C, il nous reste une grosse dizaine d’années de décroissance des émissions (donc brutale) pour espérer se stabiliser à cette température.
            J’ai lu que le GIEC plenchait sur un rapport concernant la géo-ingénierie. Cette histoire m’inquiète beaucoup depuis le SR15. Des infos à ce sujet Johan ?

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            • Non pas d’info là-dessus. Réévaluer le budget 1.5C et laisser entrevoir que la géoingénierie pourra régler le problème si on dépasse 1.5C apporte en tous cas des arguments aux partisans de l’immobilisme.

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              • Bonjour Goupil et Johan,
                C’est sans doute l’article intitulé  »Le GIEC planche sur la manipulation du climat » que vient de publier le journaliste Vincent Rondreux auquel Goupil fait référence.
                https://dr-petrole-mr-carbone.com/le-giec-planche-sur-la-geo-ingenierie/. Vincent Rondreux explique que la géo-ingénierie pourrait devenir pour certains groupes une « tentative de prise de contrôle de la planète ». Qu’en pensez-vous ?

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                • Bonjour Jacques,
                  Il faut distinguer deux types de catégories, comme dit l’article.
                  Celle qui consiste à capter du carbone en plantant des arbres et à la capturer dans les usines. C’est bien sur le papier mais ont peut s’interroger sur l’efficacité et sur le risque de revoir les ambitions à la baisse.
                  Deuxièmement, les technologies consistant à injecter des aérosols ou à réfléchir les rayons du soleil, qui relèvent du délire à mon avis. Très coûteux sans doute, non maîtrisable, faisant tout reposer sur les générations futures, avec le risque de retour de manivelle violent dès que l’on arrête la géoingénierie.
                  La pression pour la géoingénierie va sans doute s’intensifier mais je n’ai pas d’info sur les groupes qui pourraient tenter de faire avancer l’idée.

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      • « A noter que stabilisation de la concentration ne signifie pas stabilisation des températures. »

        Exact : nous sommes mathématiquement dans des dérivées de dérivées de …

        Une stabilisation du taux de CO2 signifierait que les émissions humaines sont comparables en quantité à la dégradation du CO2. Il faudrait donc être à un niveau d’émission quasiment nul. Mais même si ce taux de CO2 se stabilisait, le forçage continuerait, et avec lui, la hausse des températures et d’éventuelles rétroactions positives. Je pense que si les humains cessaient du jour au lendemain d’émettre du CO2, nous aurions une lente baisse du CO2 mais une augmentation des températures pendant encore un certain temps.

        Et imaginer que les humains cessent d’émettre du CO2, ..!

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    • Il semble de plus en plus que les nuages bas soient la clé de la sensibilité accrue des derniers modèles CMIP6. Ca ne m’étonnerait pas que le débat prenne de l’ampleur. D’autant plus que la crédibilité du RCP 8.5 a été remise en cause récemment.

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  3. Bonjour et merci Johan pour cet excellent article (comme toujours).
    Pour en revenir au captage et au stockage de CO2, je pense que ce serait une erreur de les diaboliser sous prétexte qu’ils peuvent conduite à l’immobilisme.
    Ce risque est certes réel mais, comme vous l’expliquez tous bien, il faudrait une diminution des émissions de près de 50% pour que la concentration en CO2 de l’atmosphère commence à baisser. Impossible à court-moyen terme. Quand la baignoire déborde et qu’on ne peut pas stopper l’eau immédiatement, il faut bien écoper….ce qui n’empêche pas de couper l’eau derrière.
    Mais bon, je suis peut-être idéaliste ?!?

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    • Merci,
      C’est bien si on peut capter du carbone en plantant des arbres ou à la sortie des usines, le seul souci c’est de le mettre dans la colonne « crédit » alors qu’on n’en voit pas encore la couleur. C’est clair que tout le monde applaudira si le Brésil décide de planter des arbres au lieu d’en raser. C’est un exemple.

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  4. Bonjour tout le monde.
    Je pense pour ma part qu’il ne faut pas diaboliser le stockage et le captage de CO2 par la géo-ingénierie car, quand une baignoire déborde, il faut bien écoper pour éviter que la salle de bains soit inondée.!!
    Ce qui ne doit pas empêcher de couper l’eau en parallèle, bien évidemment.

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