Climat

Des nouveaux modèles dopés par les effets des nuages

Une nouvelle étude se penche sur les facteurs expliquant la sensibilité des simulations climatiques les plus récentes. La réévaluation du réchauffement futur vient probablement de l’amincissement des nuages bas, amplifié dans la dernière génération de modèles.

Les nuages ont un impact crucial sur le climat en modulant le bilan radiatif. Dans le climat actuel, l’effet de refroidissement des nuages l’emporte sur leur pouvoir de réchauffement. En moyenne mondiale et annuelle, les nuages causent environ 18 watts par m2 de refroidissement par rapport à une hypothétique Terre sans nuage. Ceci est le résultat net d’un refroidissement de 46 W par m2 par réflexion de la lumière solaire vers l’espace (effet albédo) partiellement compensé par un réchauffement de 28 W par m2 lié à la réduction du rayonnement terrestre vers l’espace (effet de serre).

Les chiffres cités ci-dessus montrent que l’impact des nuages est déterminant. Leur évolution dans un monde en réchauffement constitue l’une des plus grandes incertitudes des modélisations climatiques. Depuis 1990, le débat est ouvert mais des progrès ont été faits dans la capacité à simuler l’évolution des nuages en réponse aux émissions de gaz à effet de serre. Presque tous les modèles climatiques modernes simulent une rétroaction globale positive des nuages, aggravant le réchauffement. Cependant, ils diffèrent quant à la force de la rétroaction.

Les toutes dernières simulations informatiques montrent que l’amplification du réchauffement lié aux nuages est encore plus importante que prévu.

C’est ce que montre une nouvelle étude publiée dans la revue Geophysical Research Letters, sous la direction de Mark Zelinka, du Lawrence Livermore National Laboratory, en collaboration avec des collègues de l’Université de Leeds et de l’Imperial College de Londres.

L’étude a voulu déterminer pourquoi les nouveaux modèles informatiques qui simulent le climat de la Terre avaient une plus grande sensibilité climatique.  La sensibilité du climat à l’équilibre est la réponse de la température globale de surface à un doublement de la concentration de CO2. Le consensus la situait jusqu’à présent entre 2,1 et 4,7°C. Les dernières modélisations de la phase 6 du projet de comparaison des modèles couplés (CMIP6) revoient cette fourchette à la hausse. Les valeurs s’étendent de 1,8 à 5,6°C sur 27 modèles et dépassent 4,5°C sur 10 d’entre eux.  Toutes les modélisations du CMIP6 ne sont pas encore publiées mais la prévision centrale de 3,9°C est environ 0,6°C plus élevée que dans les simulations antérieures CMIP5.

Cette sensibilité accrue des derniers modèles a conduit les chercheurs à en étudier les causes. Naturellement, c’est vers les nuages que s’est portée leur attention. L’article de Geophysical Research Letters,  montre que le facteur déterminant des simulations CMIP6 est bien la rétroaction positive plus forte des nuages. Les scientifiques ont découvert que la diminution de la couverture nuageuse extratropicale était la caractéristique la plus notable des nouvelles modélisations.

Les différents types de nuages n’ont pas le même effet sur le climat. Les plus bas ont une influence largement refroidissante car ils réfléchissent la lumière du soleil vers l’espace. Les nuages élevés et minces composés de cristaux de glace sont plus ou moins transparents à la lumière du soleil, mais absorbent le rayonnement infrarouge sortant, réémettant une petite fraction et réchauffant ainsi la planète.

Pour voir ce que pourrait nous réserver l’avenir, les auteurs de l’étude se sont penchés sur les rétroactions et la sensibilité climatique en réponse à l’augmentation de la concentration de CO2 dans les modèles CMIP6. Les rétroactions des nuages bas tropicaux et les rétroactions autres que nuageuses sont positives dans presque tous les modèles CMIP5 et CMIP6. En outre, les observations spatiales effectuées au cours des 15 dernières années montrent que, à des échelles de temps allant de la saison à l’année, la réflexion des ondes courtes par les nuages bas au-dessus des océans tropicaux diminue fortement lorsque la surface sous-jacente se réchauffe. Les modèles climatiques qui sont cohérents avec la covariance observée de la réflexion des nuages bas avec la température ont généralement une sensibilité climatique plus élevée. La covariance constante de la réflexion des nuages bas tropicaux avec la température de surface dans le climat actuel et dans des simulations climatiques semble indiquer que la température est un facteur clé du contrôle de la couverture nuageuse. Ce qui a évolué dans les modèles CMIP6, c’est la rétroaction des nuages bas dans les régions extratropicales.

L’augmentation de la rétroaction des nuages provient uniquement de la composante rayonnement à courte longueur d’onde (Shortwave, SW). La rétroaction des nuages ​​bas SW est plus importante en moyenne dans CMIP6, particulièrement en dehors des Tropiques. La rétroaction des nuages bas SW est liée à deux phénomènes : une plus faible couverture nuageuse et à une moindre augmentation du contenu en eau liquide des nuages. Les nuages liquides ont tendance à refléter plus de lumière solaire vers l’espace que les nuages de glace.

SW clouds - copie

Rétroaction moyenne SW des nuages bas par zone. Source : Zelinka et al (2020)/Geophysical Research Letters.

Un élément clé concerne les nuages en phase mixte, ceux qui contiennent à la fois de l’eau liquide et de l’eau glacée. A mesure que la température mondiale augmente, l’eau glacée dans les nuages produit plus d’eau liquide. La plupart des modèles auraient surestimé la quantité de glace qui existe actuellement dans les nuages à phase mixte. Cela signifie qu’il y aurait moins de glace à convertir en liquide à l’avenir, ce qui aura pour effet d’amplifier le réchauffement climatique.

Autre point intéressant : les rétroactions des nuages ​​sont améliorées dans CMIP6 principalement au-dessus de l’océan Austral, une région d’absorption efficace de la chaleur océanique. Cela implique que la rétroaction positive est moins susceptible de se manifester sous forme de réchauffement en surface que si le forçage était concentré ailleurs. Cette caractéristique ​​pourrait permettre aux modèles à haute sensibilité climatique de simuler plus facilement l’enregistrement de la température de surface observée sans nécessiter un grand forçage radiatif aérosol négatif.

Reflétant les résultats de recherches récentes, les nouvelles simulations montrent que les nuages ​​bas s’aminciront davantage à mesure que l’atmosphère se réchauffera. Globalement, cet effet pourrait amplifier le réchauffement climatique.

Les chercheurs estiment qu’il est maintenant important d’établir dans quelle mesure les nouvelles simulations climatiques sont fidèles à la réalité et si les nuages ​​s’amincissent vraiment à mesure que les températures mondiales continuent d’augmenter.

D’après les auteurs de l’étude, il est encore trop tôt pour conclure définitivement que la sensibilité au climat est plus élevée que prévu. Il faut maintenant tester ces nouveaux modèles climatiques par rapport aux observations et comprendre la physique de l’effet amplificateur des nuages.

Les scientifiques vont devoir continuer à comparer les résultats des modèles aux changements de température mondiale pour mettre en lumière les points où ils se sont améliorés et ceux où ils restent déficients.

Ce n’est qu’après avoir entièrement vérifié ces modèles par rapport aux meilleures observations disponibles que les scientifiques pourront tirer des conclusions sur le fait que nous avons plus de réchauffement à attendre que dans les précédentes simulations.

5 réponses »

  1. ça fait couler beaucoup d’encre, ces nouveaux modèles et cette étude. Ce qui m’inquiète, c’est que cette fameuse raréfaction de la couverture nuageuse extratropicale, on l’observe déjà en France et en Europe (ailleurs, je ne sais pas dire). La plupart des stations françaises on gagné une centaine d’heure d’ensoleillement annuel depuis 30 ans.

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    • Bonjour Johan,
      En rapport à la couverture nuageuse, je m’interroge sur l’importance à accorder à l’obscurcissement planétaire qui est observée mondialement depuis quelques décennies. En quarante ans, le rayonnement solaire a diminué de 10 à 30% sur la planète selon un reportage ARTE diffusé pour la première fois en 2005. http://mai68.org/spip/spip.php?article1163

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      • Bonjour Jacques,
        L’assombrissement est lié aux émissions d’aérosols qui tendent à réduire le rayonnement solaire et donc à tempérer le réchauffement climatique.
        Les émissions d’aérosols se sont stabilisées, donc l’effet devrait être moins important.
        L’impact des aérosols est avec les nuages l’autre incertitude qui explique l’amplitude de la fourchette de prévisions pour le réchauffement futur.

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    • Effectivement, il semble que toutes les rétroactions soient positives. Peut-être faut-il attendre quelques décennies ou siècles pour voir apparaître des rétroactions négatives amenant à une stabilisation.

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