La dernière période glaciaire a été interrompue par une vingtaine d’épisodes de réchauffement rapide dans le grand nord. En quelques décennies, la température au Groenland a augmenté de 10 à 15 degrés avant de redescendre lentement. Une nouvelle étude montre que le réchauffement actuel de l’Arctique peut être considéré comme un changement climatique soudain. Au cours des quarante dernières années, les températures ont augmenté de quatre degrés et plus dans de vastes zones, notamment la mer de Barents et Svalbard.
L’Arctique se réchauffe deux fois vite plus que la moyenne mondiale, certaines régions enregistrant des taux encore plus élevés. L’étendue de la glace de mer est également en nette diminution depuis le début des mesures.
Des chercheurs ont voulu évaluer la vitesse des changements récents observés dans l’Arctique par rapport au données paléoclimatiques. D’après les auteurs de l’étude publiée dans la revue Nature Climate Change, ce réchauffement récent de l’Arctique peut être qualifié de « réchauffement climatique brutal ». Cette notion, plus connue dans son expression anglo-saxonne – abrupt climate change – caractérise un changement plus rapide que le rythme du forçage externe.
Lors de la dernière glaciation, les températures au Groenland ont augmenté à plusieurs reprises de 10 à 15°C en l’espace d’une cinquantaine d’années. Après ces courtes périodes chaudes, le climat est ensuite progressivement revenu à des conditions glaciales. Au total, les cycles durent environ 1500 ans. 25 événements de ce type ont été recensés au cours de la dernière glaciation et on en trouve les stigmates aussi bien dans les carottes de glace que dans les sédiments marins. Le Danois Willi Dansgaard et le Suisse Hans Oeschger ont été les premiers à les identifier dans les glaces du Groenland. Ces soubresauts ont ainsi été baptisés « événements de Dansgaard-Oeschger ».

Chronologie de la concentration en oxygène 18 au Groenland tirée du North Greenland Ice Core Project (NGRIP), montrant 20 événements de Dansgaard–Oeschger pendant la dernière glaciation. Source : NOAA.
Ce sont les exemples les plus connus de changement climatique brutal, caractérisés par une série d’événements de réchauffement rapide et de forte amplitude au Groenland, suivis d’un retour plus progressif aux conditions froides. Les événements de Dansgaard-Oeschger ont eu des répercussions majeures sur l’ensemble du système climatique.
Attention, on parle ici des réchauffements abrupts survenus dans une région bien précise, le Groenland. Car au niveau global, le réchauffement climatique d’aujourd’hui se produit à un rythme beaucoup plus rapide que pendant les épisodes chauds qui ont ponctué les périodes glaciaires au cours du dernier million d’années. On estime que la transition de la dernière période glaciaire à la période interglaciaire actuelle s’est étendue sur 5 000 ans. Les humains pourraient être témoins de la même ampleur de réchauffement climatique en l’espace d’environ 110 ans. Si notre monde se réchauffe de 4°C entre 1990 à 2100, comme le prévoient certains modèles climatiques, alors ce taux de réchauffement sera environ 45 fois plus rapide que le réchauffement de la Terre au sortir de la dernière période glaciaire.
Les auteurs de la nouvelle étude se sont penchés sur des épisodes de réchauffement abrupts circonscrits à une région particulière. On trouve les signes les plus forts de ces événements dans les carottes de glace du Groenland. Ces épisodes passés ne doivent pas conduire à relativiser le réchauffement actuel, il s’agirait d’une mauvaise interprétation. D’abord, comme dit précédemment, le rythme du réchauffement actuel au niveau global est beaucoup plus rapide que lors de la sortie des glaciations.
Ensuite, la nouvelle étude montre que le réchauffement observé – plus d’un degré par décennie – peut même être comparé aux événements régionaux de réchauffement extrême pendant la période glaciaire. Le réchauffement le plus prononcé est observé sur le secteur eurasien de l’océan Arctique et les zones terrestres adjacentes, avec les taux de changement les plus élevés dans la mer de Barents et au-dessus du Svalbard.

Tendance linéaire ponctuelle (Kelvin / décennie) de la température de surface entre 1979 et 2018 de ERA5 sur la région arctique. Source : ECMWF.
Les zones avec des taux élevés de changement de température correspondent étroitement aux régions avec des taux élevés de perte de glace de mer, soulignant le lien attendu entre le réchauffement de forte amplitude, les taux élevés de changement de température et le retrait simultané de la glace de mer.
Outre la fin de la période glaciaire, les événements de Dansgaard-Oeschger sont les seules périodes connues où les températures ont augmenté de plus d’un degré par décennie, comme c’est le cas depuis récemment dans l’Arctique.
Lors de certains événements de la période glaciaire, les températures ont augmenté encore plus rapidement, jusqu’à 2,5°C par décennie. Les scientifiques à l’origine de la nouvelle étude trouvent que la comparaison justifie de classer le réchauffement récent comme brusque, d’autant que nous ne sommes pas dans une période glaciaire.
Dans le passé, les modèles et les données indiquent que la disparition de la glace de mer a précédé les brusques changements de température, ce qui est également manifeste depuis 40 ans dans l’Arctique. Ce qui explique la tendance au réchauffement rapide lors des événements de Dansgaard-Oeschger est probablement l’importante couverture de glace de mer avant leur émergence : il y avait alors un potentiel de réchauffement très important.
Le même groupe de chercheurs a précédemment suggéré que les événements de réchauffement brutal au Groenland pouvaient être déclenchés par une diminution de la couverture de glace de mer dans les mers nordiques et la mer du Labrador. Sans glace de mer, la chaleur des eaux libres peut réchauffer l’atmosphère au-dessus.
L’océan Arctique présente aujourd’hui un mécanisme similaire. Certes, la glace de mer a disparu depuis longtemps des mers nordiques, mais il y a encore de la glace dans l’océan Arctique, plus au nord.
Comme les mers nordiques ne sont plus le site de la perte de glace, le Groenland n’est pas le point chaud actuel du réchauffement. La glace de mer a été mise à mal dans la mer de Barents et l’Océan Arctique au nord du Svalbard, et ces régions ont également connu la plus forte augmentation de température.
La glace de mer dans l’Arctique risque de disparaître bien plus tôt que ne le suggèrent les modèles climatiques, selon les auteurs de l’étude. Les modèles climatiques sous-estiment le réchauffement actuel dans le nord. Dans le monde réel, les températures ont augmenté plus tôt et sur une zone plus étendue que ce qui est suggérés par les simulations des modèles.

Minimum de glace de mer arctique observé et simulé. Noir: observations. Couleurs : modèles du GIEC avec forçage radiatif à partir des voies de concentration représentatives. Vert: RCP2 .6, Bleu: 4,5, Jaune: 6,0, Rouge: 8,5. Les lignes pleines sont des moyennes d’ensemble. (Adapté de Stroeve et al., 2012). Source : Newton et al /AGU.
Lorsque le groupe de recherche a utilisé un modèle climatique pour simuler le monde de la période glaciaire, il a pu facilement reconnaître les événements de réchauffement rapide avec une augmentation brutale de la température au Groenland. Dans les simulations de modèles de l’Arctique de 1979 à 2018, on ne trouve pas de telle signature.
Les chercheurs ont comparé le réchauffement observé avec le changement de température dans les modèles climatiques utilisés. Pour la période jusqu’à 2005, les émissions de CO2 observées ont été utilisées, tandis qu’à partir de 2006, des simulations ont été effectuées avec trois des scénarios d’émissions du GIEC, les RCP 2.6, 4.5 et 8.5.
Tous les modèles ont montré un réchauffement dans l’Arctique, mais ce n’est qu’avec les émissions de CO2 les plus élevées que la température a augmenté aussi brusquement qu’elle l’a fait dans le monde réel. Même dans ce cas, seule la moitié des modèles a recréé les changements observés.
Les modèles climatiques réagissent donc trop lentement à la fonte de la glace de mer. Pour vérifier si la réponse des modèles climatiques était simplement retardée, les chercheurs ont recherché des périodes de réchauffement brusque dans les projections des modèles jusqu’en 2100. Mais même à la fin du siècle, les régions de réchauffement brutal sont moins marquées dans les simulations que dans le monde réel au cours des dernières décennies. Seul le scénario d’émission le plus élevé permet d’obtenir des changements comparables.
Lorsque la glace de mer a disparu des mers nordiques pendant la période glaciaire, toute la circulation dans ces mers a changé. L’eau libre est devenue plus instable et de l’eau relativement chaude a été amenée à la surface. En conséquence, l’air au-dessus s’est réchauffé.
Mais rien de semblable à la remontée d’eau amorcée lors des événements de Dansgaard-Oeschger n’a jusqu’à présent été observé et les simulations des modèles n’indiquent pas qu’il se produira au cours de ce siècle. L’eau douce est moins dense que l’eau de mer, donc l’augmentation des précipitations et de la fonte des glaces stabilise l’océan dans la partie orientale de l’Arctique.
Cependant, l’eau chaude de l’Atlantique rend l’océan près du Svalbard moins stable. Les chercheurs à l’origine de la nouvelle étude mettent en garde contre une situation possible avec une remontée d’eau plus forte dans cette région. Si l’océan devenait moins stable et se comportait davantage comme il l’a fait lors des événements Dansgaard-Oeschger de l’ère glaciaire, l’atmosphère de l’Arctique deviendra probablement beaucoup plus chaude que ne le projettent les modèles climatiques.
Il faut donc bien noter qu’une déstabilisation de la stratification de l’océan Arctique n’a pas été observée dans le climat contemporain, bien que cela semble s’être produit au début des réchauffements de Dansgaard-Oeschger, permettant aux eaux profondes plus chaudes de remonter à la surface. Si cela se produisait dans l’Arctique moderne, un tel événement aggraverait le réchauffement de l’Arctique et forcerait un changement à plus long terme. Jusqu’à présent, le changement brusque de température au-dessus de l’Arctique eurasien semble être principalement le résultat de rétroactions radiatives se produisant avec un changement relativement faible de la circulation océanique.
Une étude qui vient corroborer et observations cette année qui enfoncent le clou – fait remarquable d’avoir une fonte bien visible au dela du 85°N jusqu’à il y a peu : http://nsidc.org/arcticseaicenews/2020/09/suddenly-in-second-place/
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