Climat

Un réchauffement accru par le gradient de température dans le Pacifique

La température globale s’élève avec les émissions de gaz à effet de serre mais cette tendance de fond est rythmée par l’évolution du Pacifique équatorial. Cette composante Pacifique fait l’objet de divergences entre les modèles et les observations depuis le milieu du XXè siècle. Une nouvelle analyse plus fine des modèles montre un risque de réchauffement plus rapide d’ici 2050.

L’article de Nature Climate Change, publié sous la direction de Masahiro Watanabe, se penche sur le gradient zonal de température de surface de la mer (SST) dans le Pacifique pour évaluer la tendance future du réchauffement climatique.

De quel gradient zonal parle-t-on ? L’état atmosphère-océan dans le Pacifique équatorial est en fait caractérisé par un contraste zonal entre les températures de surface de la mer (SST) élevées dans le bassin chaud du Pacifique occidental – la warm pool – et les SST plus froides du Pacifique oriental.

Ce contraste s’explique par les vents d’est qui dominent en surface dans le Pacifique équatorial. Ces vents empilent de l’eau chaude à l’ouest et provoquent des remontées d’eaux qui refroidissent l’est du Pacifique, un phénomène connu en anglais sous le nom d’upwelling. Le gradient de SST renforcé amplifie à son tour les vents d’est en augmentant la convection atmosphérique au-dessus de la warm pool de l’ouest du Pacifique et en intensifiant le gradient de pression zonal au niveau de la mer. C’est la circulation de Walker, que l’on voit représentée ci-dessous :

Circulation de Walker. Source : NOAA.

El Niño / Oscillation australe (ENSO) se caractérise par un renversement de cette circulation habituelle (ou « neutre ») quand les alizés s’affaiblissent et l’activité convective diminue dans le Pacifique Ouest.

Circulation typique d’El Nino. Source : NOAA.

On va voir maintenant pourquoi ce gradient de température importe dans l’évaluation du réchauffement climatique futur.

Dans les projections des modèles CMIP5, les SST dans le Pacifique équatorial centre-est se réchauffent davantage que dans le Pacifique occidental, ce que l’on appelle parfois un schéma de réchauffement de type « El Niño ». L’affaiblissement du gradient zonal SST dans les projections futures s’accompagne d’un ralentissement de la circulation de Walker, ce qui tend à promouvoir des températures élevées à la surface du globe. Lorsque l’ouest du Pacifique se réchauffe et que l’est se refroidit, les alizés enfouissent davantage de chaleur dans l’océan. Cela ne fait qu’empiler de l’eau chaude sur de l’eau chaude, avec moins d’augmentation de la température de l’air. Mais quand l’est habituellement plus froid se réchauffe, l’impact sur la température de l’atmosphère est plus important. Ce qui explique pourquoi les années El Niño sont plus chaudes que les années neutres ou La Niña.

Les simulations historiques CMIP5 montrent globalement un gradient de SST affaibli au cours du XXe siècle. Le problème, c’est que c’est en contradiction avec les observations.

En théorie, l’amplification de l’effet de serre devrait affaiblir la circulation de Walker. Lorsque la température augmente et que l’eau s’évapore de l’océan, la quantité de vapeur d’eau dans la basse atmosphère augmente rapidement. Mais les processus physiques empêchent les précipitations d’augmenter aussi rapidement que la teneur en vapeur d’eau de l’atmosphère tropicale. Puisque, avec le temps, la quantité de vapeur d’eau transportée vers la haute atmosphère doit rester en équilibre avec les précipitations, la vitesse à laquelle l’air humide augmente ralentit pour compenser. Cela entraîne un ralentissement de la circulation générale de Walker. La circulation de Walker affaiblie, à son tour, réduit le gradient de température est-ouest par un mécanisme connu sous le nom de «rétroaction de Bjerknes».

La circulation de Walker s’est cependant intensifiée depuis les années 1990, ce qui pourrait être le fruit de la variabilité interne du système climatique, une réponse forcée aux gaz à effet de serre ou à d’autres agents tels que les aérosols et l’activité solaire. Cela semble en contradiction avec les modèles CMIP5 qui ont tendance à simuler un réchauffement généralisé au cours du siècle dernier, avec un réchauffement accru dans la langue froide du Pacifique.

Pour examiner si les changements observés dans le gradient SST zonal du Pacifique équatorial reflètent la variabilité interne, les auteurs de l’étude ont comparé les modélisations aux données SST réellement observées. Les conditions initiales des modèles ont été perturbées pour faire ressortir la variabilité interne. Plusieurs simulations reproduisent la tendance observée des SST, bien que l’ensemble montre un biais vers un affaiblissement du gradient. L’alignement de certaines simulations sur les observations suggère que le gradient SST pourrait donc avoir été causé par la variabilité interne à l’échelle de temps interdécennale. 

Les auteurs de la nouvelle étude ont sélectionné six modèles CMIP5 qui montrent la plus grande magnitude du renforcement du gradient SST (modèles S) ou de l’affaiblissement (modèles W). Globalement, dans les simulations CMIP5, et à fortiori dans les modèles W, l’upwelling ne refroidit pas efficacement le Pacifique oriental, contrairement aux modèles S. Cette caractéristique se retrouve dans les simulations qui montrent un renforcement de la circulation de Walker.

La piste de la cause naturelle est donc privilégiée. Or, l’un des principaux modes de variabilité dans le Pacifique est l’Oscillation interdécennale du Pacifique (Interdecadal Pacific Oscillation ou IPO). Elle comporte une phase positive qui favorise des températures élevées à la surface du Pacifique, et une phase négative, qui promeut des périodes de refroidissement.

C’est un phénomène dont les caractéristiques sont similaires à celles d’El Niño ou de l’Oscillation décennale du Pacifique (PDO), à ceci près qu’elle s’exerce sur une échelle d’une quinzaine d’années contre quelques mois pour El Niño, et qu’elle concerne une zone plus grande que la PDO. 

Composites des anomalies SST lors des phases positives et négatives de l’IPO pour HadISST2.1 (à gauche) pour 1870-2007 et ERSSTv3b (à droite) pour 1870-2013

Les modèles S ont tendance à montrer une phase positive dans la période précoce et une phase négative dans la période tardive, et vice versa pour les modèles W. Les modèles S sont donc plus proches de ce qui s’est produit dans le monde réel.

Anomalies de température de l’air et des alizés du Pacifique sur le siècle passé. Fig a : les anomalies de température sont indiquées en tant que moyenne annuellepar rapport à 1951-1980, avec des années individuelles montrées comme des barres grises et une moyenne sur cinq ans superposée en gras. Fig b : anomalies des alizés du Pacifiquesur la région 6◦ N-6◦S et 180◦-150◦ W, correspondant à l’endroit où l’IPO présente une régression maximale sur les vents de l’océan Pacifique. Credit: Nature Climate Change. Recent intensification of wind-driven circulation in the Pacific and the ongoing warming hiatus. Prof Matthew H England et al.

Dans une phase négative, l’IPO a contribué de manière significative au ralentissement du réchauffement climatique dans les années 2000, comme on peut le voir ci-dessus sur les graphiques d’une étude phare de Matthew England parue en 2014. Son retour vers une phase positive, s’il se confirme, devrait à l’inverse conduire à une accélération du réchauffement climatique dans les années à venir. Une étude de Meehl et al. publiée dans Nature Climate Change montre que le réchauffement pourrait être exacerbé avec une transition vers une IPO positive. L’IPO module les températures dans l’est du Pacifique et donc le gradient de SST. Une IPO positive aurait tendance à affaiblir le gradient de SST.

Les modèles S qui simulent le renforcement historique du gradient de SST présentent généralement des tendances futures inversées pour la première moitié du XXIè siècle. Les simulations historiques les plus conformes à la réalité montrent donc que le gradient de SST s’affaiblira d’ici la fin du XXIè siècle dans tous les scénarios RCP du GIEC, avec un pic autour de 2050. Entre les modèles S et W, cela conduit à un impact différent en matière de température atmosphérique. Avec à la clé une amplification du rythme d’augmentation de la température de l’air au niveau global de 9 à 30%, selon les différents scénarios étudiés, RCP 2.6, RCP 4.5 et RCP 8.5. L’amplification est relativement plus forte dans les scénarios RCP à faibles émissions car la variabilité naturelle a un impact plus grand quand le forçage externe est plus petit.

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8 réponses »

  1. Bonjour Johan,
    « Une nouvelle analyse plus fine des modèles montre un risque de réchauffement plus rapide d’ici 2050 ». Il aurait été intéressant que les auteurs de l’article de Nature Climate Change mentionnent à quoi on peux s’attendre comme scénario RCP en 2050.

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  2. L’IPO semble s’exercer sur des périodes sensiblement plus longues que la quinzaine d’années non ? Distingue t-on si les phases négatives et positives ont des plages de durée comparables ?

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  3. La bonne nouvelle, c’est qu’une circulation de Walker affaiblie signifie moins d’ouragans dans l’Atlantique nord. Mais c’est vraiment la seule bonne nouvelle que je vois…

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    • Moins d’ouragans, mais surtout moins forts, puisque l’ énergie de surface de l’océan occupe un espace plus important. Mais cela signifie aussi que les ouragans peuvent se former plus à l’est, ce qui les conduits in fine plus facilement vers l’ Europe et moins vers l’Amérique.

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