Nouvelle alerte sur les rétroactions liées aux nuages. Les nuages à phase mixte sont censés ralentir le réchauffement climatique mais une étude montre que l’effet pourrait ne plus jouer quand le réchauffement aura atteint un certain seuil, ce qui rend plausible une sensibilité climatique élevée.
C’est la plus grande source d’incertitude dans l’estimation de la sensibilité du climat. Dans quelle mesure les nuages amplifient ou atténuent les perturbations du climat terrestre ? Les processus de formation des nuages se déroulent à des échelles très fines, ce qui rend difficile leur modélisation. Les modèles ne peuvent pas résoudre tous les processus, en particulier ceux à petite échelle, inférieurs à 1 km.
L’impact des nuages sur le bilan radiatif est considérable. Dans le climat actuel, l’effet de refroidissement des nuages l’emporte sur leur pouvoir de réchauffement. En moyenne mondiale et annuelle, les nuages causent environ 18 watts par m2 de refroidissement par rapport à une hypothétique Terre sans nuage. Ceci est le résultat net d’un refroidissement de 46 W par m2 par réflexion de la lumière solaire vers l’espace (effet albédo) partiellement compensé par un réchauffement de 28 W par m2 lié à la réduction du rayonnement terrestre vers l’espace (effet de serre).
Les différents types de nuages n’ont pas le même effet sur le climat. Les plus bas ont une influence largement refroidissante car ils réfléchissent en partie la lumière du soleil vers l’espace. Les nuages élevés et minces composés de cristaux de glace sont plus ou moins transparents à la lumière du soleil, mais absorbent le rayonnement infrarouge sortant, réémettant une petite fraction et réchauffant ainsi la planète.
Presque tous les modèles modernes simulent une rétroaction globale positive des nuages avec le réchauffement climatique. C’était le cas dans les modélisations CMIP5 du denier rapport du GIEC et c’est encore le cas avec la nouvelle génération CMIP6. Cependant, les modèles diffèrent quant à la force de la rétroaction. Les nuages élevés devraient monter en altitude et ainsi exercer un effet de serre plus important. La plupart des GCM prédisent une diminution de la quantité de nuages bas, en particulier dans les régions subtropicales.

Des études récentes ont mis en évidence des améliorations dans la représentation des nuages par les modèles. Ces progrès expliquent sans doute pourquoi l’estimation de la sensibilité climatique est revue à la hausse dans les simulations CMIP6. Par sensibilité climatique (ou ECS), il faut entendre l’augmentation de la température après doublement du CO2 atmosphérique par rapport aux niveaux préindustriels jusqu’au moment où le climat se stabilise.
Les modèles inclus de la phase précédente CMIP5 avaient des valeurs ECS allant de 2,1 à 4,7°C avec une moyenne de +3,2°C. Les modèles CMIP6, cependant, ont une plage de 1,8 à 5,6 C, élargissant la fourchette de CMIP5 à la fois aux extrémités basse et haute. La moyenne des modèles grimpe à +3,7°C.

Les modèles les plus récents montrent que l’amplification du réchauffement lié aux nuages risque d’être encore plus importante que prévu. Les rétroactions des nuages et les interactions nuages-aérosols sont les contributeurs les plus probables aux valeurs élevées et à la gamme accrue d’ECS dans CMIP6.
La nouvelle étude publiée dans Nature Geoscience par Jenny Bjordal, Trude Storelvmo, Kari Alterskjær et Tim Carlsen se penche sur les nuages en phase mixte. Ces nuages contiennent un mélange de glace et de liquide et se trouvent entre 0 et environ -38°C. Abondants dans l’Océan Austral, ils ont une forte influence sur le bilan énergétique de la Terre.
Avec le réchauffement climatique, on s’attend à ce que la composition de phase dans les nuages change de sorte que la rétroaction soit négative (amortissante). Les nuages avec des fractions de liquide surfondues plus élevées seront généralement plus épais sur le plan optique et refléteront donc plus de rayonnement solaire vers l’espace. Une atmosphère plus chaude produite par des concentrations accrues de gaz à effet de serre contiendrait plus de liquide et moins de glace, et donc induirait des changements dans les flux de rayonnement qui fourniraient une rétroaction négative au réchauffement. Une bonne chose donc.

Trude Storelvmo – JGR.
Au fur et à mesure que la glace dans les nuages fond en gouttelettes, la lumière du soleil est ainsi de plus en plus réfléchie. Lorsque les températures augmentent, davantage de cristaux de glace fondent. Chaque petit cristal de glace se transforme en de nombreuses gouttelettes, ce qui donne une surface réfléchissante plus importante. Ces nuages reflètent ainsi davantage la lumière du soleil. Mais au bout d’un moment, il ne reste plus de glace à fondre.
D’après l’étude, l’effet amortisseur pourrait donc ne jouer que jusqu’à un certain point. Quand il ne restera plus de glace pour que cet effet d’atténuation se poursuivre, les nuages refléteront toujours la lumière du soleil, mais l’effet ne pourra plus augmenter. Il est difficile de déterminer quand le basculement pourrait se produire.
Pour évaluer la sensibilité climatique et les rétroactions des nuages, l’étude a utilisé le modèle CESM2. Des études récentes ont montré que l’augmentation de l’ECS de 4,0°C dans le modèle CESM1 à 5,3°C dans le CESM2 de dernière génération était principalement due aux rétroactions des nuages. Bien que l’on ne sache pas à quel point une sensibilité au climat aussi élevée est plausible, le CESM2 a une distribution des nuages améliorée et correspond mieux aux observations que son prédécesseur, CESM1.
À mesure que la température augmente, de plus en plus de cristaux de glace dans les nuages en phase mixte au-dessus de l’océan Austral deviennent liquides. Le modèle CESM2 prévoit la disparition de la rétroaction négative avec une élévation de la température globale de l’air de 3 à 4 °C.
Une étude publiée en février 2020 avait montré que l’augmentation de la rétroaction des nuages dans les modèles nouvelle génération CMIP6 par rapport à CMIP5 provenait essentiellement de la composante rayonnement à courte longueur d’onde.

La rétroaction des nuages bas est plus importante en moyenne dans CMIP6, particulièrement en dehors des Tropiques. Elle est liée à deux phénomènes : une plus faible couverture nuageuse et une moindre augmentation du contenu en eau liquide des nuages. La plupart des modèles surestimeraient la quantité de glace qui existe actuellement dans les nuages à phase mixte par rapport aux observations. Cela signifie qu’il y aurait moins de glace à convertir en liquide à l’avenir. La force de la rétroaction future dépend de la distribution de la phase nuageuse dans l’atmosphère actuelle. Plus les nuages contiennent de glace au départ, plus ils sont susceptibles de contenir de liquide à mesure que la planète se réchauffe. Logiquement, cette rétroaction de stabilisation est plus forte dans les modèles contenant moins de liquide relativement à la glace à des températures inférieures au point de congélation.
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Est-ce que du coup l’ECS serait une fonction dépendant à la fois de la concentration de GES (en variable, sachant qu’en théorie on pourrait parler d’ECS pour d’autres situations que le simple doublement) ET de la température de départ (en constante) ?
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Plus que la température de départ, l’ECS est estimée à partir de ce qui a conduit à la température de départ. Si par exemple il s’avère que le forçage des aérosols est plus important que prévu, cela veut dire que les gaz à effet de serre ont aussi un effet plus important et l’ECS sera plus élevée.
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Oui, effectivement, bien vu. Merci.
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