La couverture minimale estivale fait maintenant la moitié de l’étendue observée il y a 40 ans. Quatre records d’étendue minimale ont été battus depuis 2000, le plus récent datant de septembre 2012. Cependant, depuis cette date, aucun nouveau record n’a été établi. Une nouvelle étude de Jennifer Francis suggère qu’un changement dans la circulation atmosphérique pourrait expliquer la tendance récente.
Depuis 2012, l’étendue de la glace a atteint ou flirté avec de nouveaux records pendant les mois d’hiver et de printemps presque chaque année, ouvrant la perspective d’atteindre un nouveau minimum en septembre. Les sept années les plus chaudes du globe ont toutes eu lieu depuis 2012 et le réchauffement de l’Arctique est au moins deux fois plus rapide qu’au niveau mondial. Mais le record de plus faible extension de la glace de mer, établi en 2012, n’a pas été battu depuis. Car avant cela, à chaque fois, la trajectoire de perte de glace a marqué le pas en août ou au début du mois de septembre (sauf en 2020), éloignant la perspective que le point bas de 2012 ne soit atteint. On peut voir ci-dessous la tendance des années post-2012 avant juillet, puis l’absence d’anomalies exceptionnelles sur août-septembre.

L’évolution mensuelle de la couverture de glace de mer montre clairement le ralentissement brusque de la diminution de l’étendue d’août ou début septembre, entre 2013 et 2018. L’année 2020 a été cependant marquée par la deuxième plus faible extension des annales, nous y reviendrons plus tard. Une tendance générale négative de la pression au niveau de la mer sur l’océan Arctique en août a été observée au cours des deux dernières décennies, mais avec une grande variabilité interannuelle. Une pression plus basse entraîne généralement une nébulosité accrue qui réduit le rayonnement solaire descendant contribuant à une perte de glace plus lente. De plus, une basse pression a tendance à étendre la couverture de glace, car le forçage mécanique crée un mouvement à droite de la vitesse du vent.

Le coup d’arrêt après 2012 pourrait donc s’expliquer par l’émergence d’une configuration avec basses pressions, couverture nuageuse plus importante, insolation réduite et vents peu propices à la réduction de la couverture de glace. En même temps, les vagues de chaleur se sont multipliées dans l’est de l’Asie, en Scandinavie et en Amérique du Nord. Est-il possible qu’il y ait un lien entre l’absence de record en Arctique et la chaleur des moyennes latitudes ? Simple variabilité naturelle ou signe que quelque chose a changé dans le système ? C’est à cette question que tente de répondre une nouvelle étude publiée par Jennifer Francis et Bingyi Wu. Jennifer Francis s’est illustrée ces dernières années par de nombreuses études montrant le lien entre l’amplification arctique et la circulation atmosphérique affectant les moyennes latitudes.

L’enjeu ne se limite pas à la simple observation d’un phénomène météorologique. Car le changement atmosphérique observé en été depuis 2012, peu propice à la réduction de la glace de mer, pourrait être causé par la prévalence d’un modèle atmosphérique de grande échelle lié au changement climatique.
Outre une pression anormalement basse sur l’Arctique pendant l’été, de fréquentes vagues de chaleur sur les moyennes latitudes de l’hémisphère nord, il y a aussi la tendance à un jet stream divisé sur les continents. Cette configuration de jet stream coupé en deux a déjà été identifiée dans de précédentes études comme favorisant les événements météorologiques estivaux extrêmes aux latitudes moyennes.
Dans sa nouvelle étude, Jennifer Francis, propose un mécanisme reliant ces caractéristiques à la diminution de la couverture de neige printanière sur les continents de l’hémisphère nord. La forte tendance négative sur les terres des hautes latitudes, est l’une des conséquences les plus manifestes du changement climatique anthropique. Pourquoi aurai-elle un rôle clé dans la circulation atmosphérique ? La perte précoce de la couverture neigeuse crée une ceinture d’anomalies de température positives qui déforme le gradient de température en créant un pic supplémentaire vers 70° de latitude Nord. Grâce à la relation du vent thermique, un jet divisé est alors plus susceptible de se former, favorisant les conditions qui piègent et amplifient les vagues de Rossby qui ont été impliquées dans la cause d’événements météorologiques extrêmes estivaux sur les continents de l’hémisphère nord.
L’hypothèse avancée par l’étude nous ramène à l’empreinte de l’amplification quasi-résonante (QRA) identifiée par Petoukhov et al 2013. Le gradient méridien de température associé à l’empreinte QRA est caractérisé par un grand pic positif dans la zone de latitude moyenne de 50–65N, ce qui, par vent thermique, implique un minimum plus prononcé dans le vent zonal moyen zonal et favorise ainsi la formation d’un double jet, d’après Michael Mann et al 2017. Plus vers le pôle (c’est-à-dire au-delà de 65 N), la réduction du gradient de température (et donc un gradient négatif plus fort ) implique des vents d’ouest plus forts dans les régions subpolaires. Ce sont précisément les conditions que Pethoukov et al identifie comme favorable à la QRA.

Les régimes à double jet pourraient devenir plus communs. De tels régimes sont caractérisés par des jets subtropicaux plus nets qui peuvent servir de guides d’ondes et favoriser le phénomène de résonance. En été, on a vu un réchauffement accru des terres sous les hautes latitudes (vers 70°N) et un réchauffement beaucoup plus faible au-dessus de l’océan Arctique voisin. Alors que le gradient de température global entre l’équateur et le pôle diminue, le gradient thermique augmente à la frontière terre-océan autour du cercle arctique. En été, cette situation favorise la formation du jet arctique à environ 70°N, en plus du jet subtropical qui est normalement présent. Le jet stream divisé, avec une branche située le long de la côte arctique et une autre aux latitudes moyennes établit un guide d’ondes à moyenne latitude qui peut piéger les ondes de Rossby atmosphériques de haute amplitude lorsque les nombres d’ondes hémisphériques varient entre 6 et 8, augmentant la probabilité d’événements météorologiques extrêmes estivaux, y compris les vagues de chaleur et les inondations. Ces régimes à double jet sont devenus plus fréquents ces dernières années et favorisent en théorie la formation de guides d’ondes et la résonance.
Sur les continents, la zone septentrionale d’anomalies de températures positives est partiellement causée par le déclin récent observé de l’enneigement aux hautes latitudes à la fin du printemps. Une fonte des neiges plus précoce permet au sol sous-jacent d’être exposé plus tôt à une forte insolation printanière, qui assèche le sol plus tôt et lui permet de se réchauffer plus tôt, créant une zone d’anomalie de température positive. On observe que le réchauffement amplifié de l’Arctique est le plus fort sur les zones terrestres des hautes latitudes au printemps et en été, ce qui est cohérent avec la fonte des neiges plus précoce et contribue à un double pic du gradient pôle des anomalies de température.
L’anomalie atmosphérique fréquemment observée ces derniers étés est corrélée avec de forts vents d’ouest au-dessus de l’Arctique, créant des conditions cycloniques qui favorisent la nébulosité et réduisent le transport de la glace de mer vers le sud à travers le détroit de Fram jusqu’à la mer du Groenland. Cette configuration n’a pas été observée sur la période 2007-2012 qui s’est accompagnée de déclins rapides de l’étendue de la glace de mer.
L’analyse de Jennifer Francis expliquerait donc pourquoi un nouveau minimum record de l’étendue de la glace de mer dans l’Arctique n’a pas été établi depuis 2012. Attention cependant, pour tous les mois de l’année, et en particulier en septembre, l’étendue de la glace a fortement diminué depuis que les satellites ont commencé à l’observer dans les années 1970. Le fait qu’un nouveau record n’ait pas été battu depuis 2012 doit être jugé avec précaution au vu de la tendance de long terme au déclin de la banquise. De nouvelles étendues record minimales avaient été observées en 2003, 2005 et 2007, suivies d’une perte majeure en 2012 attribuée à une couverture de glace anormalement mince et vulnérable dont la réduction a été accélérée par une tempête intense mais brève. La série ne s’est pas poursuivie de manière aussi nette après 2012 pour le point bas de septembre mais au printemps et au début de l’été, les étendues de glace se sont rapprochées et ont parfois dépassé les valeurs record antérieures. Et il faut rappeler que l’épaisse glace pluriannuelle a été progressivement supplantée par une glace mince et saisonnière, à la merci donc de conditions météorologiques favorables à un déclin intense.
Les étés 2019 et 2020 n’ont pas connu les mêmes régimes de circulation atmosphérique que la plupart des années depuis 2012, et ont enregistré une étendue minimale de glace de mer presque record en septembre. Ce qui suggère que les modèles atmosphériques de juin-juillet-août peuvent fournir des informations prédictives pour le minimum annuel de glace de mer.

Francis et Bingyi Wu indiquent cependant que les relations statistiques et les hypothèses avancées nécessiteront des expériences de modélisation ciblées pour vérifier les mécanismes de causalité. Les tendances de pression atmosphérique de 2010 à 2020 présentent des anomalies de pression au niveau de la mer négatives dominant l’océan Arctique ainsi que des tendances positives sur les zones continentales des hautes et moyennes latitudes. D’après les auteurs de l’étude, la pression de surface au-dessus de l’Arctique pourrait encore diminuer à mesure que les gaz à effet de serre continuent de s’accumuler dans l’atmosphère, fournissant éventuellement une rétroaction négative sur le rythme de la perte de glace de mer dans un monde en réchauffement.
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La fonte de la glace résulte d’une absorption d’énergie calorifique (335 j/g) qui s’applique donc à une masse résultant d’un volume. Considérer seulement la surface des glaces arctiques flottantes n’est pas une donnée appropriée si l’épaisseur varie. Le volume et donc la masse d’une glace flottante peut se déduire d’une hauteur moyenne de la partie émergée, encore faut-il pouvoir estimer cette hauteur moyenne avec suffisamment de précision. Par ailleurs, les pertes de glaces ailleurs dans l’hémisphère nord devraient être prise en compte car elles ont aussi absorbé de la chaleur et peut être tamponné la fonte arctique. Voir https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02418659v3
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Ça me semble vraiment pas très convainquant comme analyse. Si on prend le graphique « Extension de la glace de mer de l’Arctique au mois de septembre de 1979 à 2020 » on voit clairement que toute les années suivent une belle droite avec de légères fluctuations autour de celle-ci. 2012 semble juste être une fluctuation plus importante que les autres à la baisse. S’il y a quelque chose de bizarre à expliquer c’est cette fluctuation, plutôt que de prendre 2012 comme une référence et le reste comme des anomalie.
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L’étude ne remet pas en cause la tendance de long terme à la baisse mais tente plutôt d’expliquer l’absence de record sur une période bien précise, août-septembre. 2012 a certes connu une configuration météo particulière. Mais le record avait déjà été battu plusieurs fois dans les années précédentes, avec des régimes de pression différents (de ceux observés après 2012).
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Oui, je suis d’accord que l’article cherche à expliquer l’absence de record mais ce qui explique que le record n’a pas été battu c’est simplement que le record vient d’une forte anomalie difficile à battre malgré la tendance à la baisse. L’absence de record ne vient pas d’un changement de tendance ou de régime après ce record. Et si le record avait été battu plusieurs fois de suite avant 2012, c’est juste qu’il n’y avait pas eu de forte anomalie dans les années précédentes. Il n’y a rien d’anormal après le record de 2012, et donc rien a expliqué. D’ailleurs, s’il n’y avait pas eu l’anomalie de 2012, le record aurait été battu assez régulièrement sur la période août-septembre après 2012
NB: Vu que je m’exprime pour la première fois ici et qu’il s’agit d’une critique, je tiens à préciser que je suis un lecteur assidu de votre site et que je le trouve en général très intéressant et très bien fait. Je vous remercie beaucoup pour ce travail
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C’est un point de vue qui se défend car 2012 est effectivement une « anomalie dans l’anomalie ». D’autres phénomènes que ceux identifiés par J. Francis peuvent par ailleurs être avancés pour expliquer l’évolution de la glace de mer (ENSO par ex). J’ai trouvé quand même le lien avec la résonance intéressant vu que le phénomène est lié aux vagues de chaleur des moyennes latitudes et au réchauffement des régions côtières de l’Arctique. J. Francis précise que le lien de causalité n’est pas démontré, même si des régularités sont montrées d’un point de vue statistique selon les configurations types.
Merci pour votre NB. Il n’y a aucun problème avec la critique, qui est nécessaire, et qui est bien différente des trolls qui partent dans tous les sens.
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Le fait est que la tentative de formalisation du mécanisme de QRA perd un peu en pertinence puisque il ne semble pas possible de distinguer une rupture de pente dans la courbe de tendance d’extenion de glace de mer. Malgré quelques études apportant la contradiction, cette piste semble tenir la route depuis plusieurs années. Est-ce que les dates (précoces) de fonte des couvertures terrestres à 70°N corrélent bien l’observation d’un jet stream fragmenté ?
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La réduction de la couverture neigeuse au printemps est bien confirmée dans l’hémisphère nord mais pas forcément beaucoup plus importante qu’avant 2012. Le phénomène favorise la QRA mais il faut rappeler qu’elle se forme entre les deux guides d’ondes, Arctique et aussi subtropical, avec aussi des vents moins forts aux moyennes latitudes. Ci-dessous, l’anomalie de température entre la période avril-juin 2013-2018 et 2000-2012 (Nasa Giss), qui montre un creux à 57N et un pic à 75N.

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