Climat

Le Dipôle Arctique favoriserait les vagues de froid en Asie

Une nouvelle étude montre comment la fonte de la glace de mer arctique peut favoriser des températures extrêmes sous les moyennes latitudes, conduisant notamment à la survenue de sévères vagues de froid dans l’est de l’Asie.

Dans l’International Journal of Climatology, des chercheurs chinois et l’Américaine Jennifer Francis, connue pour ses études sur l’amplification arctique, précisent l’impact de la fonte de l’Arctique sur des régions situées bien plus au sud. Une analyse de la circulation atmosphérique leur a permis de confirmer ce lien déjà mis en avant dans plusieurs études.

Ces dernières décennies, l’Arctique a été soumis à un réchauffement considérable, au moins deux fois supérieur au réchauffement moyen observé à la surface du globe. La fonte de la glace de mer s’est accélérée au 21è siècle, avec à la fois une étendue réduite et une surface moins épaisse, la glace jeune (d’un an) tendant à occuper une place plus importante au détriment de la glace pluriannuelle, ce qui rend la région particulièrement vulnérable. Notamment, la fonte est favorisée par un phénomène appelé Dipole Arctique, au cours duquel les hautes pressions dominent au niveau de l’Océan Arctique et les basses pressions au niveau des mers de Barents et de Kara.

Etendue de la glace de mer en septembre 1982. Source : NSIDC.

Etendue de la glace de mer en septembre 1982. Source : NSIDC.

Etendue de la glace de mer arctique en septembre 2012. Source : NSIDC.

Etendue de la glace de mer arctique en septembre 2012. Source : NSIDC.

On peut voir à gauche l’extension de la glace de mer en septembre 1982 et en septembre 2012 : la surface est passée en 30 ans de 7,4 millions de km² à 3,6 millions de km². En moyenne, la glace de mer de l’océan arctique s’est réduite de 30% par rapport au début des relevés satellites en 1979.

Une des raisons pour lesquelles la diminution de la glace de mer est préoccupante, c’est que cette surface est très réfléchissante alors que l’océan liquide est très absorbant. Alors, quand la zone de couverture de la glace de mer est réduite, les rayons du soleil sont moins réfléchis vers l’espace. Cela signifie une plus grande absorption du rayonnement solaire par la Terre et un réchauffement climatique qui s’ajoute à celui des gaz à effet de serre.

Les records récents de faible extension de le la glace de mer arctique sont associés au Dipôle Arctique : l’anticyclone (qui tourne dans le sens horaire) a éjecté de l’Océan Arctique davantage de glace en direction de l’Atlantique Nord, où cette glace a fondu.

C’est ce qui a notamment été observé lors des étés 1995, 1999, 2002, 2005, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012. Depuis le début du 21è siècle, le phénomène de Dipôle Arctique aurait pris le pas sur une autre configuration atmosphérique, l’Oscillation Arctique, qui contrôlait auparavant le climat dans la région. Les causes de ce changement sont cependant toujours en débat au sein de la communauté scientifique.

D’après Jennifer Francis et ses coauteurs chinois, la phase négative du Dipôle Arctique qui favorise la fonte estivale de glace de mer est clairement associée à la force de l’anticyclone de Sibérie l’hiver suivant. Il faut savoir que l’anticyclone de Sibérie est déjà un phénomène quasi-permament de hautes pressions lié à la densification de la masse d’air sous l’effet du refroidissement hivernal. D’après les auteurs de l’étude, lorsqu’il encore renforcé par la fonte arctique, l’anticyclone de Sibérie favorise à son tour des températures extrêmement froides dans l’est de l’Asie. La clé de la connexion serait la modification des vents associée à la fonte de la glace de mer.

Carte de l'Arctique montrant les anomalies de pression atmosphérique au niveau de la mer en juin entre 2007 et 2012. Source : NSIDC.

Carte de l’Arctique montrant les anomalies de pression atmosphérique au niveau de la mer en juin entre 2007 et 2012. Source : NSIDC.

D’autres études ont fait le lien entre les hivers extrêmes et le réchauffement de l’Arctique, que cela soit via l’amoindrissement de la différence de température entre les hautes et les moyennes latitudes, où les relations entre la troposphère et la stratosphère.

Jennifer Francis, de l’Université de Rutgers, a montré lors d’études précédentes que la différence de température entre l’Arctique et les moyennes latitudes est telle qu’elle affaiblit le jet stream (des vents de haute altitude extrêmement puissants) qui sépare la masse d’air polaire de celle du reste de l’hémisphère nord. Avec cette différence de température réduite, les vents latéraux jouent moins leur rôle de barrière.

Un mécanisme différent a aussi été avancé pour expliquer le lien entre la fonte de la glace de mer et les vagues de froid en Asie mais aussi en Amérique du Nord et en Europe. La fonte de la glace de mer favorise un fort réchauffement local et cette chaleur se propagerait ensuite aux plus hautes couches de l’atmosphère, ce qui affaiblit le vortex polaire stratosphérique.

Les simulations réalisées grâce aux modèles par Jennifer Francis et ses deux coauteurs chinois confirment en tous cas les observations selon lesquelles la réduction de la glace de mer induit des pressions élevées sur la plus grande partie de l’Eurasie et dans le nord du Pacifique l’hiver, avec pour conséquence des températures très froides en Eurasie et une forte mousson d’hiver. La connexion se serait renforcée particulièrement depuis la fin des années 80.

9 réponses »

    • Ok, merci Randomjack pour cette vidéo très intéressante.
      Jennifer Francis y explique très bien sa théorie sur l’amplification arctique, l’effet 1.
      Mais vraiment, le plus intéressant, je ne sais pas si tu l’as noté, c’est à 57:00 où elle parle de l’effet 2 « It takes two to tango ». Il s’agit là de sa dernière hypothèse où elle se penche sur l’un des plus intenses sujets de recherche actuellement, l’impact respectif de la température de surface de la mer et de la glace de mer sur le jet stream. Jusqu’à l’étude de Lee, il y avait deux théories un peu opposées pour expliquer les extrêmes de température aux moyennes latitudes. Jennifer Francis parle dans la vidéo de l’effet conjugué des deux.
      J’attends de voir ce que cela va donner quand l’étude sera publiée, je ne sais pas quand.

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  1. Oui j’ai effectivement remarqué cette hypothèse qui fait beaucoup de sens à prime abord.
    Je vais certainement écouter sa vidéo au moins une autre fois ; c’est un peu chargé pour mon niveau mais c’est néanmoins très captivant.

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    • Je n’ai pas vu de lien avec le sudden stratospheric warming et cette étude porte sur l’été. La théorie de J. Cohen fait le lien entre la couverture neigeuse en octobre et l’anticyclone de Sibérie. Il semble avoir eu du succès dans ses prévisions cet hiver.

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      • C’est après avoir lu l’étude et en recherchant/tombant sur cet article que je me suis permis de faire la connexion :
        « La fonte de la glace de mer favorise un fort réchauffement local et cette chaleur se propagerait ensuite aux plus hautes couches de l’atmosphère, ce qui affaiblit le vortex polaire stratosphérique. » – avant dernier paragraphe.

        J’ignore toutefois si ce mécanisme n’a pas tendance à accumuler de la chaleur dès qu’il a été rendu sufisamment instable et surtout si toutes les conditions étaient remplies les temps qui ont précédés (été 2017).

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        • En tout cas, Cohen a fait le lien entre la fonte de la glace de mer arctique mais indirect. Les chutes de neige plus importantes en Sibérie pourraient être causées par la fonte de l’Arctique, notamment dans les mers de Barents et Kara.

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          • Ce ne serait pas la première fois que des massifs fassent leur loi, mais il me semblait aussi que c’était du aux eaux fluviales plus chaudes en raison aussi d’un sol chauffé et des activités humaines. Non ?

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          • Je m’aperçois que ce n’est peut-être pas si déconnant finalement en lisant le lien de Goupil ici, https://global-climat.com/2018/03/07/le-point-sur-la-fonte-de-la-calotte-du-groenland/comment-page-2/#comment-3148, section « PRECURSORS AND POTENTIAL REASONS FOR WEAK POLAR VORTEX STATES. » 🙂
            Les dépressions peuvent-ils amener suffisamment d’air chaud et humide d’assez « loin » ou en grande quantité, finissant par glisser au-dessus de zone de haute pression pour relâcher au plus près de l’enthalpie ? Ce qui pourrait corroborer aussi statistiquement la fréquence de l’affaiblissement du vortex (fonction distributrice et « piégeante » ?) dans un climat qui se modifie pour dissiper le surplus.

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