Le rythme du réchauffement de l’Arctique est environ le double de celui du reste du globe, un phénomène connu sous le nom d’amplification arctique. Une nouvelle étude basée sur des observations et des modélisations climatiques suggère que la contribution de la perte de glace de mer au réchauffement de l’Arctique dépend des variations à la surface du Pacifique.

Une fois de plus, le Pacifique est désigné comme étant à l’origine d’une importante modification climatique. On savait déjà qu’il avait une influence considérable sur la température globale, qu’il pouvait favoriser des sécheresses ou des inondations en Amérique du Nord. Cette fois, c’est jusqu’en Arctique que ses effets sont supposés se faire sentir.

Un nouvel article publié dans Nature Climate Change montre que le réchauffement de l’Arctique accélère lors de certaines oscillations du Pacifique.  L’impact de la glace de mer sur les températures hivernales serait en effet plus important lorsque  l’oscillation décennale du Pacifique est dans sa phase négative, comme ci-dessous :

Phase négative de l'oscillation décennale du Pacifique. Source : NASA.
Phase négative de l’oscillation décennale du Pacifique (avril 2008). Source : NASA.

La PDO négative est un phénomène lié à la fois à ENSO ( El Niño Southern Oscillation) et à l’évolution de la dépression des Aléoutiennes (système quasi-permanent de basses pressions dans le golfe d’Alaska). Les caractéristiques d’une PDO négative font penser à une phase La Niña de longue durée. Inversement, lors d’une PDO positive, la carte des anomalies de températures à la surface de la mer est semblable à ce que l’on observe pendant un phénomène El Niño. Ces oscillations du Pacifique peuvent durer des dizaines d’années (avec parfois des revirements ponctuels).

On peut voir sur le graphique ci-dessous que l’oscillation décennale du Pacifique a été plutôt négative entre 1945 et 1975 avant de céder la place à une phase de PDO positive entre les années 1980 et 1998. Les années 2000 ont été marquées par une nouvelle période négative mais depuis 2014, la PDO revient à des niveaux fortement positifs. Il est encore trop tôt pour dire si une longue phase va s’installer ou s’il s’agit d’un revirement ponctuel.

Indice PDO : valeur annuelle en rouge ; moyenne sur 5 ans en bleu ; valeurs mensuelles en gris. Source : JMA.
Indice PDO : valeur annuelle en rouge ; moyenne sur 5 ans en bleu ; valeurs mensuelles en gris. Source : JMA.

Depuis les années 1970, l’Arctique s’est considérablement réchauffé, surtout depuis le début du 21è siècle. La notion d’amplification arctique fait référence à ce rythme plus rapide du réchauffement dans l’Arctique par rapport aux régions situées plus au sud. Le phénomène est favorisé par la perte de glace importante qui a eu lieu ces 20 dernières années dans le grand nord.

Le rythme du réchauffement de l’Arctique n’est cependant pas linéaire. La nouvelle étude publiée dans Nature Climate Change permet peut-être d’expliquer pourquoi l’extrême nord est soumis à ces variations.

D’après Jennifer Francis et James Screen, les deux auteurs de l’étude, les observations et les modèles climatiques pointent vers une conclusion sans équivoque : le réchauffement de l’Arctique est plus important pendant une PDO négative que lors d’une PDO positive, même en réponse à une perte de glace identique. Le bon accord entre les observations et les modélisations a permis aux deux scientifiques de mener une série de tests pour connaître les véritables causes des variations climatiques.

Cet effet accélérateur de la PDO négative est particulièrement significatif au centre de l’Arctique et au nord des régions où la perte de la perte de glace est observée en hiver. Pour Francis et Screen, cela montre que le réchauffement n’est pas dû aux flux thermiques en surface liés à la perte de glace de mer.  Le phénomène s’explique plutôt par l’arrivée d’un air chaud et humide en lien avec les modifications de la circulation atmosphérique propres à l’oscillation décennale du Pacifique.

L’effet est donc indirect : la PDO négative favorise des vents du sud qui apportent l’air chaud des régions où la glace fond vers le centre de l’Arctique.

La découverte du rôle d’accélérateur joué par l’oscillation décennale du Pacifique va permettre de mieux comprendre le système climatique. Car l’amplification arctique a elle-même des effets sur les moyennes latitudes. Jennifer Francis et d’autres scientifiques ont montré lors de précédentes études que le réchauffement de l’Arctique et la fonte de la  glace de mer pouvaient favoriser les vagues de froid comme celles qui ont été observées ces dernières années en Europe et en Amérique du Nord. L’une des raisons majeures du phénomènes est l’affaiblissement des vents d’ouest de haute altitude : le jet stream tend à onduler davantage lorsque le gradient de température se réduit entre les pôles et les moyennes latitudes.

Source : NASA
Source : NASA

L’évolution récente observée vers une possible phase de PDO positive pourrait agir pour réduire temporairement le rythme de réchauffement de l’Arctique en hiver dans un avenir proche, concluent les auteurs de l’étude. En revanche, on a pu observer depuis une centaine d’années maintenant que les périodes de PDO positives étaient marquées par un rythme d’élévation des températures plus important, en combinaison avec les émissions de gaz à effet de serre.

Phase positive de la PDO (Source : Wikipedia)
Phase positive de la PDO (Source : Wikipedia)

Référence : Screen, James A. ; Francis, Jennifer A. : « Contribution of sea-ice loss to Arctic amplification is regulated by Pacific Ocean decadal variability » (Nature Climate Change)

9 réponses à « Amplification arctique : le Pacifique mis en cause »

  1. Avatar de Ghtuz
    Ghtuz

    Bonjour Johan,

    Au détour d’une visite sur le blog de R.Scribbler, je suis tombé sur cette étude à propos du « blob Pacifique » et de son influence sur les ENSO : https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2018GL077325

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    1. Avatar de Johan Lorck

      Bonjour Ghtuz,
      Merci pour ce lien. « This study shows that the tropics respond to the ice loss within two to three decades via dynamical ocean processes and air‐sea interaction ». Deux ou trois décennies, on y est.

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  2. Avatar de Ghtuz
    Ghtuz

    Du neuf sur le lien de causalité, J. Screen revient sur les «sur-ondulations» du courant jet avec l’aide de R. Blackport : https://advances.sciencemag.org/content/6/8/eaay2880 (et la climatonégatospère s’en repaît à tort).

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    1. Avatar de Johan Lorck

      J’ai vu ça aussi mais je n’ai pas encore lu l’étude. Ca fait déjà plusieurs années que James Screen et Jennifer Francis sont en débat. C’est assez technique, d’autant qu’il y a déjà débat sur les observations et la façon d’étudier le jet stream.

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      1. Avatar de Ghtuz
        Ghtuz

        Je n’imagine pas la complexité de ce sujet. 🙂
        Heureusement que ces documents sont déjà synthétiques… en revanche ce qui est « rassurant » c’est de voir des équipes travailler en parallèle et de manière ciblée et pouvoir arriver plus ou moins aux mêmes résultats : https://www.nature.com/articles/s41558-020-0694-3 (accès restreint)

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        1. Avatar de Johan Lorck

          C’est complexe mais en plus il y a un désaccord sur les observations, ce qui est un petit peu embêtant.
          Entre temps, j’ai lu la dernière étude de James Screen concluant à une absence de lien entre AA et jet stream. En gros, James Screen montre que si on prend une période de 40 ans, il n’y a pas de tendance à de plus amples ondulations. Le début et la fin de l’archive annulent la tendance au renforcement du milieu, en gros.
          Il me semble quand même prématuré de conclure à l’absence de lien entre AA et jet stream vu le nombre d’études qu’il y a eu sur le sujet.
          James Screen aboutit à une absence de causalité. Mais cela n’empêche pas, à mon avis, que si la variabilité naturelle est un facteur déterminant, l’AA peut ponctuellement renforcer les ondulations dans certains contextes.
          Une bonne synthèse serait la bienvenue mais c’est pas une mince affaire de passer en revue toute cette littérature.

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          1. Avatar de Johan Lorck

            J’ai retrouvé une étude de Ming-Ying Lee (2015) qui m’avais semblé particulièrement intéressante à l’époque : https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/2014GL062956
            Le sujet était la circulation atmosphérique dans l’hémisphère nord extratropical au cours de l’hiver 2013-2014. Les modélisations qui parvenaient le mieux à reproduire le phénomène couplaient les SST du Pacifique et l’extension de la glace de mer. Une analyse qui a été approuvée par Jennifer Francis.

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            1. Avatar de Ghtuz
              Ghtuz

              Je viens de tomber sur cette récente livraison qui pourait aussi compléter les mécanismes, mais l’accès est restreint : https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1029/2019GL086706

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            2. Avatar de Ghtuz
              Ghtuz

              Et celle-ci, très technique, que je viens de remarquer : https://www.the-cryosphere.net/14/693/2020/

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