Climat

Record de chaleur : quelle est la part d’El Niño ?

La température globale a été exceptionnellement élevée depuis 2014 et plus particulièrement depuis mi-2015. Cela peut être attribué à la fois à la variabilité naturelle et à une tendance de fond au réchauffement climatique. Voici un compte-rendu des analyses livrées par les scientifiques pour expliquer ces dernières variations du climat.

Lorsque l’on cherche à interpréter les variations de température au niveau mondial, il est difficile de démêler la contribution de la variabilité naturelle de celle des facteurs anthropiques, principalement les gaz à effet de serre.

Tout d’abord, on peut déjà rappeler quelques chiffres : avec +0,75°C au-dessus de la moyenne 1951-1980, un record global de chaleur avait déjà été battu en 2014, selon la NASA. Avec des archives qui remontent à 1880, on pouvait s’attendre à voir ce record durer mais il est tombé dès 2015 avec +0,87°C. Sur la première moitié de 2016, la température mondiale a encore augmenté, atteignant jusqu’à +1,32°C au mois de février.

Il y a une tendance de fond au réchauffement en raison des émissions de gaz à effet de serre, mais pour expliquer la tendance observée depuis une dizaine de mois, trois principaux facteurs peuvent être avancés, selon l’ECMWF, le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme :

  • Un phénomène El Niño exceptionnel qui a émergé en mars 2015.
  • Des températures de surface de la mer très élevées sur la majeure partie de la planète.
  • Une couverture de glace de mer réduite et des températures très élevées dans l’Arctique

El Niño et l’oscillation australe (ENSO) impliquent des échanges de chaleur importants entre l’océan et l’atmosphère et affectent les températures moyennes mondiales. L’événement 1997-1998 est à ce jour le plus important jamais enregistré. Celui de 2015-2016 est aussi à ranger parmi les plus gros observés.

Les cartes d’anomalies de températures entre 2015 et 2016 montrent à la fois l’impact des conditions El Niño dans le Pacifique tropical oriental et des températures arctiques supérieures à la moyenne. Sur la carte du mois de janvier, ci-dessous, on peut voir aussi que les températures ont été supérieures à la moyenne presque partout à la surface du globe, avec l’Antarctique comme principale exception. Les températures à la surface des océans étaient globalement au-dessus de la moyenne.

Carte d'anomalies de température pour le mois de janvier 2016. Source : NASA GISS.

Carte d’anomalies de température pour le mois de janvier 2016. Source : NASA GISS.

En 2015/16, l’épisode El Niño a été comparable en intensité à celui de 1997/98, même si chaque événement de ce type a toujours ses caractéristiques propres.

L’une des principales différences entre les périodes 2015/16 et 1997/98 a été l’hiver arctique. En 1997/98, El Niño avait été associé à une couverture de glace de mer supérieure à la moyenne dans les mers de Barents et de Kara. En revanche, 2015/16 a été caractérisé par une couverture de glace inférieure à la moyenne et des températures supérieures à la moyenne dans ces mêmes régions.

On peut voir sur la carte ci-dessous les différences de température entre la période novembre 2015-avril 2016 et  novembre 1997-avril 1998. Le réchauffement est bien plus prononcé en Arctique et dans de vastes portions de l’hémisphère nord.

Anomalies de températures : anomalies de novembre à avril 2015/16 vs nov-avr 1998/99. Source : NASA.

Anomalies de températures : anomalies de novembre à avril 2015/16 vs nov-avr 1997/98. Source : NASA.

Des records de chaleur ont été relevés au niveau mondial depuis octobre, on a vu aussi des températures record en janvier et février 2016 en Arctique. La chaleur atmosphérique a probablement été l’une des causes principales, avec des températures de l’air jusqu’à 6°C au dessus de la moyenne dans ces régions où l’épaisseur de la banquise est déjà mise à mal depuis plusieurs années, selon Walt Meier, spécialiste de la glace de mer au Goddard Space Flight Center de la NASA.

Si l’on prend en compte le trio décembre, janvier février 2015/16, l’anomalie a été d’environ 4°C au-dessus de 65° de latitude nord. En 1997/98, ces trois mois avaient connu des anomalies tout juste dans la norme des valeurs de 1951-1980.

L’orientation des vents au cours des mois de janvier et février a été défavorable à la croissance de la glace parce qu’ils apportaient de l’air chaud du sud, empêchant l’expansion de la banquise arctique. Mais à l’avenir, ce sera probablement le réchauffement de l’océan qui aura le le plus d’impact.

L’Arctique a donc connu des températures élevées pendant tout l’hiver. Mark Serreze, le directeur du National Snow and Ice Data Centre américain, qui fait référence en matière d’analyse de la banquise, a parlé de conditions «absurdes». Il a ainsi confié n’avoir jamais vu quelque chose comme ça durant 35 années à étudier l’Arctique, rapporte le journal britannique The Guardian.

Ces conditions exceptionnelles en Arctique compliquent l’évaluation du véritable rôle d’El Niño en 2015/16. Selon le professeur Michael Mann, directeur du Penn State Earth System Science Centre, il est quand même possible d’analyser les enregistrements de température et d’évaluer l’impact d’un épisode El Niño.

D’après Michael Mann, El Niño a été responsable de moins de 0,1°C du réchauffement survenu en 2015. Cela signifie que nous aurions eu un record de température mondiale en 2015 même sans l’aide d’El Niño. Gavin Schmidt, directeur du Goddard Institute for Space Studies de la NASA, estime quand à lui que même sans El Niño, 2015 aurait été une année de record de chaleur. Il considère que le réchauffement du Pacifique a contribué à l’élévation de la moyenne de 0,07°C en 2015.

Ces chiffres sont valables pour 2015 mais c’est en 2016 que les températures ont véritablement flambé et ce qui nous intéresse c’est l’impact maximal d’El Niño. Jeff Knight, du Met Office, a expliqué au Guardian que les modélisations de l’agence britannique évaluaient la chaleur supplémentaire liée à un gros El Niño, comme celui de 1997/98 ou 2015/16, à environ 0,2°C. Son collègue Adam Scaife, chef des prédictions à long terme du Met Office, confirme ces chiffres. D’après le Met Office, la configuration des vents dans l’hémisphère nord a rajouté 0,1°C.

Kevin Trenberth, scientifique au National Center for atmospheric Research (NCAR) de Boulder, estime que le dernier El Niño a provoqué une hausse de la température mondiale d’environ 0,2°C sur les 12 derniers mois. Trenberth et al. (2002) avait estimé qu’en 1998, le réchauffement fut de 0,24°C après le pic des températures de surface de la mer à +2,5°C dans la région 3.4. La hausse était cependant réduite à +0,17 ° C pour les 12 mois centrés sur mars 1998 à cause d’El Niño.

Globalement, une tendance se dégage pour dire qu’un petit El Niño contribue à hauteur d’environ 0,1°C, contre 0,2°C pour un gros événement. Le graphique ci-dessous montre la température mondiale moyenne sur 12 mois (Berkeley Earth) et le principal indice mesurant l’intensité d’El Niño, les températures de surface de la mer dans la région Niño 3.4 du Pacifique.

Température globale sur 12 mois (Source : Berkley Earth) et température de surface de la mer dans la région Nino 3.4 (ERRST V4) entre Janvier 1990 et février 2016.

Température globale sur 12 mois (Source : Berkley Earth) et température de surface de la mer dans la région Nino 3.4 (ERRST V4) entre Janvier 1990 et février 2016.

Dans l’Arctique, l’effet d’El Niño n’est pas encore très clair, mais probablement faible, selon Jeff Knight. Étant donné que l’Arctique a été très chaud pendant un certain nombre d’années, avec des niveaux de glace de mer systématiquement inférieurs à la moyenne, il est plus probable que la chaleur soit le fruit d’une tendance à long terme plutôt que la réponse à un événement épisodique comme El Niño, d’après le scientifique du Met Office.

«Nous avons ce gros El Niño, nous avons le blob chaud dans le nord-est du Pacifique, le blob froid dans l’Atlantique, et un Arctique ridiculement chaud», a confié Jennifer Francis, chercheur à l’Université Rutgers, dans les colonnes du Washington Post. « Toutes ces choses qui arrivent en même temps n’avaient jamais eu lieu auparavant. »

De son côté, Mark Serreze pense qu’El Niño a quelque chose à voir avec ce qui se passe dans l’Arctique, mais considère qu’il n’est pas possible de déterminer, en l’état actuel des connaissances, quels sont exactement les liens entre les deux phénomènes.

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