Une nouvelle étude évalue l’impact de la fonte du permafrost sur les budgets d’émission de CO2. Le monde pourrait être un peu plus proche que prévu du dépassement des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat.
Le pergélisol, ou permafrost, se définit comme un sol gelé toute l’année depuis au moins deux ans. Ces sols gelés occupent une partie importante du Groenland, de l’Alaska, du Canada et de la Russie. Au total, ils représentent un cinquième des terres émergées de la planète.

Le permafrost contient du carbone qui s’est accumulé dans les sols de l’Arctique pendant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années. Le froid gelant ces sols a évité jusqu’à aujourd’hui le largage de ses réserves qui représentent trois à sept fois la quantité de carbone séquestrée dans les forêts tropicales. Mais la couche supérieure de pergélisol dégèle périodiquement en été, avec ces dernières années un stress accru lié à l’augmentation des températures.
Une nouvelle étude publiée dans Nature Geoscience montre comment le réchauffement climatique qui favorise le dégagement de carbone du pergélisol diminue la quantité de CO2 que l’humanité peut se permettre d’émettre. Bien que le rapport le plus récent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ait reconnu que le pergélisol se réchauffait, ses modèles climatiques n’ont pas pris en compte ces émissions lors des projections climatiques.
L’intérêt de la nouvelle étude est de mesurer que le risque sera encore plus important si les objectifs d’émissions sont dépassés, même ponctuellement. Dépasser signifie aller au-dessus du niveau ciblé, puis redescendre vers la cible. L’Accord de Paris reconnaît explicitement une trajectoire de dépassement, culminant d’abord sous les 2°C et poursuivant ensuite les efforts pour revenir à 1,5°C.
Le problème avec cette stratégie, c’est que pendant la période de dépassement la hausse des températures provoquera un dégel du carbone du pergélisol. Ce qui entraînera la libération d’un surplus de carbone qui devra être éliminé de l’atmosphère pour que la température mondiale diminue.
Le dépassement est donc une stratégie risquée et il sera extrêmement difficile de revenir à des niveaux inférieurs après un dépassement.
Le point central de l’étude n’est donc pas de déterminer les risques liés au permafrost – cela a déjà été fait et il reste encore beaucoup de travail – mais de déterminer comment ils modifient les scénarios d’émissions basés sur l’espoir d’un « overshoot » (dépassement).

Les budgets d’émission sont définis comme la quantité cumulée d’émissions anthropiques de CO2 compatibles avec une cible de changement de température globale, en l’occurence 1,5 et 2°C. Inclure les émissions du dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) sur les budgets d’émission par dégel du pergélisol change la donne.
La conclusion de l’étude, c’est qu’avec l’approche d’évitement, le budget d’émission pour rester en dessous de 2°C (avec une chance de 50%) est réduit de 100 (20-270) GtCO2 si les émissions nettes négatives s’avèrent réalisables ; de 150 (30–340) GtCO2 si elles ne le sont pas ; et de 190 (50–400) GtCO2 si la cible est dépassée de 0,5°C.
Ce qui signifie qu’en cas dépassement de l’objectif de Paris, il sera plus difficile de réduire l’effet de serre car entre temps le permafrost risque d’annihiler tous les efforts.
Pour la cible de 1,5 °C, les réductions du budget restant vont de 10% à plus de 100%. Cela signifie que le budget a peut-être déjà été dépassé.
En cas de dépassement des 1,5°C, les efforts d’atténuation ou les – éventuelles – technologies qui pourraient réduire l’impact des gaz à effet de serre seraient ainsi contrecarrés par les émissions du permafrost.
Il est difficile pour les scientifiques de déterminer les proportions relatives des émissions de dioxyde de carbone et de méthane qui pourraient résulter du dégel du pergélisol à grande échelle. La contribution spécifique des émissions de CH4 provenant du pergélisol a dû être prise en compte dans l’étude de Nature Geoscience. Le méthane représente 5 à 35% de l’effet total du pergélisol en fonction de la température cible et du parcours pour atteindre l’objectif. Dans les scénarios de dépassement, le CH4 joue un rôle moins important, car la cible est atteinte plus tard et le CH4 est un gaz à effet de serre à durée de vie relativement courte.
Rappelons maintenant quelques chiffres concernant le budget carbone. Le GIEC estime que le budget carbone pour avoir 66% de chances de rester en dessous de 2°C par rapport aux températures préindustrielles était en 1870 de 790 milliards de tonnes de carbone (790 GtC ou 2900 GtCO2 car 1 kg de CO2 contient 272,7 gr de carbone). Pour se donner 50% de chances de rester sous les 2°C, il ne fallait pas émettre plus de 820 GtC. Or ce budget a déjà été largement entamé : les émissions cumulées depuis la période préindustrielle ont déjà atteint 600 GtC environ. Ceci est une mise à jour de l’estimation du GIEC 1870-2011 de 515 GtC pour inclure les émissions de 2012 à aujourd’hui. A noter qu’il s’agit du budget alloué au CO2. Si on prend en comte les autres gaz à effet de serre (GES), il est plus important. Mais alors, pour le budget restant, il faut aussi prendre en compte les autres GES qui seront émis à l’avenir.
Le rythme actuel d’émissions est de 10 GtC par an ou 40 GtC02. Une libération de 150 GtCO2 due au permafrost reviendrait à réduire le budget de 4 années. Sachant que sans ce permafrost, le budget restant actuel (pour avoir 50% de chances sous les 2°C) est d’environ 700 GtCO2 (les estimations varient) si l’on retient les chiffres du GIEC. Soit 17/18 ans d’émissions au rythme actuel.
Le pergélisol dégèle déjà à certains endroits et si le problème se propage, les scientifiques craignent que le réchauffement climatique ne s’emballe, davantage de dégel favorisant encore plus de hausse des températures… Et ainsi de suite.
Une récente étude faisait état récemment d’un risque de libération de 165 GtCO2 avec 2°C de réchauffement global d’ici 2100 en raison du dégel du permafrost. Il s’agissait d’une estimation moyenne, la fourchette allant de 73 GtC02 à 294 GtC02. De quoi élever la température de 0,04°C à 0,16°C supplémentaires. Cette fourchette traduit les grandes variations dans les diverses estimations à ce jour. On peut voir ci-dessous un éventail d’estimations encore plus large recensé par Kevin Schaefer en 2014 dans la revue Environmental Research Letters.

Il y a aussi de grandes incertitudes quand à l’effet à long terme du permafrost, c’est à dire pour les siècles à venir. C’est parce qu’en fin de compte, le réchauffement de la planète dû au dégel du pergélisol dépendra de la quantité de carbone libérée, de sa rapidité et de sa forme sous forme de CO2 ou de méthane.
L’impact pourrait être beaucoup plus important après 2100 en fonction des scénarios d’émissions. Zhang et al table sur 37 GtC en 2100, Raupach and Canadell sur 347 GtC (soit 1273 GtCO2). Harden et al mise en cas d’émissions anthropiques massives de GES sur 436 GtC en 2300 (soit 1600 GtCO2).

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