Une nouvelle étude réévalue la sensibilité climatique mesurée à partir des observations. Jusqu’ici, les analyses basées sur les mesures instrumentales tablaient sur un réchauffement moindre que celui calculé par les modèles et surtout les archives paléoclimatiques. L’étude prend davantage en compte les processus complexes du système climatique pour aboutir à des valeurs plus proches des modèles.
Pour caractériser l’évolution de la température de l’atmosphère terrestre en réponse à un forçage radiatif donné, les scientifiques utilisent traditionnellement deux types de mesures : la sensibilité climatique à l’équilibre (ECS) et la réponse climatique transitoire (TCR).
L’ECS est l’augmentation de la température en ° C qui résulterait d’un doublement de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre, une fois que le bilan énergétique de la Terre et le système climatique auront atteint l’équilibre radiatif.
La TCR correspond à l’augmentation de la température de surface moyenne de la planète après 70 ans d’une augmentation continue de 1 % par an de la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Cette deuxième quantité est plus faible que la réponse à l’équilibre car le système climatique n’a pas encore le temps de s’ajuster complètement à la perturbation induite par le doublement de CO2.
Trois sources sont disponibles pour évaluer la sensibilité climatique :
- Les enregistrements instrumentaux : depuis le milieu du 19ème siècle, associés aux estimations des émissions de gaz à effet de serre et d’aérosols, peuvent être utilisés pour évaluer la réponse de la température globale aux émissions de CO2.
- Les modèles climatiques : ils fournissent des simulations complexes du système climatique de la Terre. Ces modèles mathématiques sont construits autour de notre compréhension de la physique qui sous-tend notre système climatique.
- Les enregistrements paléoclimatiques : les carottes de glace et autres enregistrements peuvent être utilisés pour estimer les changements naturels de la température et du CO2 atmosphérique sur des milliers d’années. Ceux-ci peuvent être utilisés pour estimer la relation passée entre les deux facteurs.
D’après des études passées (Otto et al. 2013 et Lewis et Curry 2014), la déduction de bilan énergétique à partir de l’enregistrement instrumental donne généralement des estimations centrales pour la réponse transitoire (TCR) d’environ 1,3°C et la réponse à l’équilibre (ECS) de 1,5 à 2,0°C, ce qui se situe dans la gamme inférieure des projections issues des modèles climatiques.
D’après les modélisations CMIP5, celles utilisées dans le dernier rapport du GIEC (2013) l’ECS se situe dans une fourchette de 2,1°C à 4,7°C pour un doublement de la concentration de CO2, avec une prévision centrale de 3,2°C. Pour la TCR, les modèles vont de 1,1°C et 2,6°C, avec une prévision centrale de 1,8°C. A noter que les nouveaux modèles CMIP6, en cours de dévoilement, tendent vers une plus grande sensibilité climatique.
Les données paléoclimatiques tablent sur une ECS de 3,2°C environ mais avec une fourchette plus large, entre 2 et 5,2°C.

Estimations de la sensibilité climatique d’après différentes sources. Source : Knutti and Hegerl (2008).
Il y a donc une incertitude quant à la valeur de la sensibilité climatique, selon que l’on se base sur les observations, les modèles ou encore les données paléoclimatiques.
Malheureusement, le forçage anthropique depuis la période préindustrielle est incertain, notamment celui dû aux aérosols. En outre, le flux d’énergie pénétrant dans les océans ne sont pas bien pris en compte dans les précédentes estimations instrumentales.
Tout l’intérêt de la nouvelle étude publiée par Diego Jiménez-de-la-Cuesta et Thorsten Mauritsen dans la revue Nature Geoscience est de s’attaquer à ces deux difficultés qui rendent difficile l’évaluation de la sensibilité climatique à partir des seules observations.
Pour contourner la première difficulté liée aux aérosols, les deux scientifiques se sont penchés sur le réchauffement post-1970, tirant parti des faibles variations du forçage négatif lié aux aérosols au cours de cette période. Entre le début de l’ère instrumentale (fin du 19è siècle), et les années 1970, l’effet refroidissant des aérosols a augmenté. Depuis, ce forçage négatif a commencé à se stabiliser. L’élévation des températures depuis les années 1970 bénéficie ainsi d’un forçage des aérosols certes négatif mais constant.
Depuis les années 70, le rapport entre l’augmentation de température et la TCR est cohérente entre les différents modèles, mais elle ne l’est pas à l’échelle du siècle. La raison tient aux divergences entre modèles quand au forçage des aérosols.
Diego Jiménez-de-la-Cuesta et Thorsten Mauritsen ont donc utilisé les températures réellement observées depuis les années 70 pour estimer la TCR, utilisant le même ratio que lors de la période la plus cohérente des modèles. Ils ont ainsi obtenu une réponse climatique transitoire de 1,67°C, plus proche des modèles (1,8°C) qu’avec les estimations passées basées sur les observations (1,3°C).
Utilisant l’échelle de temps post-1970 avec la même méthode que les précédentes analyses instrumentales, les scientifiques ont trouvé une TCR de 1,42°C. Pourquoi cette différence avec la TCR de la nouvelle étude (1,67°C) ? Une divergence dans le rôle des aérosols est peu probable après les années 70. L’étude remet donc en cause l’hypothèse retenue dans les précédentes estimations de la sensibilité climatique basées sur les observations, dans lesquelles la capacité thermique de l’océan est négligée.
La plupart des calculs de bilan énergétique considèrent que le système océan supérieur + atmosphère est en équilibre dans les échelles de temps du TCR. C’est l’approximation dite « zero-layer », explique Diego Jiménez-de-la-Cuesta. Otto et al. (2013) et Lewis et Curry (2014) émettent cette hypothèse.
Cette hypothèse n’est valable que si le forçage augmente progressivement sur plusieurs décennies et que l’augmentation est suffisamment lente pour que le haut océan, l’atmosphère et les terres soient à peu près en équilibre.
Tant que l’équilibre entre ces composants n’est pas atteint, le système chauffe moins que prévu car une partie de l’énergie est stockée dans le haut de l’océan. C’est ce qui se produit lorsque le forçage change rapidement. Or il s’avère que dans les archives historiques, l’essentiel du réchauffement s’est produit en quelques décennies à partir des années 1970. L’hypothèse négligeant la capacité thermique du haut de l’océan est donc douteuse, d’après les auteurs de l’étude.
En utilisant les mêmes méthodes que dans le cas du TCR, Jiménez-de-la-Cuesta et Thorsten Mauritsen ont trouvé une ECS médiane de 2,83°C, soit 20 à 30% de plus que la valeur déduite du bilan énergétique. On s’approche ainsi de la prévision centrale des modèles CMIP5 (3,2°C), dont voici le détail :

Sensibilité climatique et Réponse climatique transitoire des modèles CMIP5 dans le rapport AR5 du GIEC (2013). Source : GIEC.
Prendre en compte le déséquilibre du système terrestre, y compris celui de le haut océan est essentiel pour déduire les sensibilités climatiques à partir des enregistrements instrumentaux, concluent les auteurs de l’étude. Les océans amortissent le réchauffement anthropique pendant des siècles en séquestrant de l’énergie dans l’océan et par un schéma de températures de surface de la mer qui permet à l’atmosphère de rayonner plus efficacement vers l’espace.
Les données climatiques basées sur les observations ne sont pas assez longues pour représenter certaines des interactions très lentes qui se produisent entre l’océan et l’atmosphère. En outre, les observations utilisées ne couvrent pas toute la planète, ce qui peut signifier qu’elles ne reflètent pas pleinement les tendances en matière de réchauffement.
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