Climat

Emergence de niveaux dangereux de chaleur et d’humidité

Une nouvelle étude évalue les changements futurs du stress thermique. La hausse d’environ 1°C de la température globale au-dessus des niveaux préindustriels a déjà augmenté la population annuelle exposée à des niveaux dangereux de chaleur et d’humidité. L’exposition pourrait considérablement augmenter si le réchauffement global se poursuit.

Les extrêmes composés de chaleur et d’humidité sont les principaux moteurs du stress thermique. La température de l’air à elle seule est considérée comme inadéquate en tant que mesure du stress thermique. Des humains en bonne santé et bien adaptés sont capables de maintenir une température corporelle centrale normale. C’est possible grâce au refroidissement par transpiration, même lorsque la température de l’air ambiant dépasse la température corporelle.

Une humidité importante réduit cependant l’efficacité du refroidissement par transpiration. Combinée à une température de l’air élevée, le mécanisme de refroidissement peut être contrarié, ce qui constitue une grave menace pour la santé d’un être humain. Car il y a des limites à l’adaptation : le corps est capable de faire face à des conditions extrêmes de manière variable selon les profils mais la température humide doit absolument rester en dessous d’un certain seuil.

De nombreuses analyses se sont concentrées sur la température de l’air comme principale mesure pour détecter et évaluer la contribution anthropique aux vagues de chaleur historiques. Un nombre croissant d’études soulève cependant des inquiétudes concernant l’aggravation du stress thermique prévu au XXIe siècle, en tenant compte à la fois de la température et de l’humidité.

Un large éventail d’indices de chaleur a été développé pour mesurer le stress thermique : la température humide, humidex, heat index… L’indice de température au thermomètre-globe mouillé, ou Wet Bulb Globe Temperature (WBGT), est l’un des plus largement utilisés. La WBGT prend en compte non seulement la température et l’humidité, mais aussi le rayonnement solaire. Pour les humains sains et acclimatés, au repos, le seuil de danger de la WBGT se situe aux alentours 33°C. Cette valeur de référence diminue significativement pour les activités physiques et pour les individus à risque : une WBGT de 26°C est considérée comme trop chaude pour les individus non acclimatés pratiquant des activités légères.

Chez les travailleurs de plein air et les personnes âgées, la WBGT ne doit donc pas approcher les 33°C. Bien que la WBGT puisse être estimée à partir de données météorologiques standard avec un bon degré de précision, toutes les variables nécessaires ne sont pas facilement disponibles aux résolutions temporelles et spatiales souhaitées dans les modèles climatiques, ce qui explique son absence dans les études de projection des contraintes thermiques.

La nouvelle étude présente une WBGT simplifiée, adaptée aux conditions intérieures. Pour évaluer les changements projetés des extrêmes quotidiens de chaleur et d’humidité, les chercheurs ont utilisé un ensemble de 40 membres de simulations du projet Community Earth System Model Large Ensemble (CESM-LE). La formule simplifiée de WBGT utilisée dans l’analyse ne prend pas en compte l’effet du rayonnement solaire. Elle prend en compte la « température du thermomètre humide » ou température humide (Tw) et la température de l’air (Ta) selon la formule :

WBGT (simplifiée) = 0,7 Tw + 0,3 Ta.

L’élément clé de la formule est donc la température humide, la température qu’une parcelle d’air atteindrait si on y évaporait de l’eau liquide jusqu’à saturation tout en gardant la pression constante.

Attention, l’indice Tw est également fréquemment utilisé comme tel dans les études sur le stress thermique et doit être distingué de la WBGT. Une température humide de 35°C représente donc une contrainte thermique plus élevée qu’une WBGT (simplifiée) de 35°C. Dans le cas de la canicule de Chicago 1995, la différence fut de l’ordre de 2°C lors des pics, comme on peut le voir ci-dessous avec les lignes en pointillés orange (WBGT simpliée) et bleues (Tw). Le seuil absolument vital de 35°C pour la Tw serait donc légèrement supérieur pour la WBGT. De combien, cela dépend des caractéristiques de la vague de chaleur.

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Comparaison de plusieurs variables pendant la vague de chaleur de Chicago de 1995 : température du globe (gris), température de l’air (rouge), WBGT (orange solide), WBGT simplifié (WBGT *, orange en pointillés), température humide naturelle (bleu, solide), température humide isobare (bleu, en pointillés) et température du point de rosée (violet). La température de l’air et la température du point de rosée proviennent directement d’ERA5.température du point de rosée (violet). La température de l’air et la température du point de rosée proviennent directement d’ERA5. Source : Source : Dawei Li et al (2020)/IOP.

Quoi qu’il en soit, une exposition prolongée à des environnements chauds avec WBGT supérieure à 33°C peut être dangereuse même pour des humains en bonne santé. Dans le passé, des décès liés à la chaleur se sont produits avec des pics de WBGT bien inférieurs à ce seuil. On a pu le voir lors des vagues de chaleur qui ont entraîné une surmortalité : la vague de chaleur à Chicago en juillet 1995 (plus de 700 décès), la vague de chaleur européenne de 2003 (~ 45 000 décès), la vague de chaleur russe de juillet-août 2010 (~ 54 000 décès), la vague de chaleur de mai-juin 2015 sur l’Asie du Sud (plus de 2 500 décès ), la canicule de juillet 2017 sur l’est de la Chine et la canicule de juillet 2018 sur l’Asie du Nord-Est.

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Instantanés de WBGT simplifiée (maximum quotidien) de plusieurs vagues de chaleur historiques répertoriées sur la base du jeu de données ERA5. Dawei Li et al (2020)/IOP.

La mortalité liée à la chaleur peut donc être importante bien en deçà de la valeur de référence de 33°C. Les conditions démographiques et le manque de préparation locale sont des facteurs déterminants. Deux événements caractérisés par une WBGT  relativement faible, en Europe occidentale (2003) et en Russie (2010), ont néanmoins causé le plus de décès, probablement parce qu’ils se sont produits dans des régions où les étés sont généralement frais et les individus ont pris peu de mesures pour s’adapter à la chaleur extrême.

Dans le cas de l’Asie du Sud, où la WBGT dépasse régulièrement 30°C, l’adaptation et la sensibilisation locales peuvent avoir joué un rôle dans le bilan de mortalité moins important que lors des canicules en Europe et en Russie. De plus, les vagues de chaleur européennes de 2003 et de 2010 en Russie sont parmi les plus intenses jamais observées en termes de « Heat Wave Magnitude Index », un indice qui tient compte à la fois de l’intensité relative et de la durée des vagues de chaleur. La combinaison de magnitudes relatives élevées et de longues durées au cours de ces vagues de chaleur est susceptible de produire de nombreux décès au sein d’une population locale mal préparée.

La plupart des régions tropicales connaissent des épisodes de WBGT supérieurs à 25°C, un niveau de stress thermique déjà considéré comme dangereux pour des travaux extérieurs lourds. Les valeurs de WBGT  les plus élevées se trouvent en Asie du Sud et autour du golfe Persique. Dans l’hémisphère nord extratropical, le centre-est des Etats-Unis et l’est de la Chine sont confrontés à des extrêmes WBGT plus fréquents que les autres régions de la même latitude. En Europe occidentale et en Russie, les jours avec WBGT dépassant 25°C sont rares et peu typiques des étés habituels.

L’étude évalue les changements de fréquence de WBGT dépassant trois seuils, 31°C, 33°C et 35°C, en fonction de l’augmentation de la température globale. 31°C fut approximativement le pic WBGT  pendant la canicule de juillet 1995 à Chicago sachant que 33°C est la WBGT de référence pour les humains afin de maintenir une température corporelle normale au repos. Selon les données d’observation de la réanalyse ERA5, les sites du golfe Persique et d’Asie du Sud, notamment Dubaï, Delhi et Karachi, sont les plus exposés à des niveaux extrêmes de WBGT .

Dans le climat actuel, avec ~ 1 ° C d’élévation de la température globale, la fréquence des extrêmes WBGT comparables à Chicago (31°C) a déjà considérablement augmenté par rapport au climat préindustriel. Dans le Midwest américain, la fréquence des journées de chaleur extrême aussi sévères que celles de Chicago dans le climat préindustriel était probablement inférieure à un jour par siècle, contre un jour tous les 35 ans aujourd’hui. Avec + 2°C au global, une WBGT équivalente à Chicago 1995 pourrait se produire une fois tous les 5 ans. Avec + 3°C, un « Chicago 1995 » surviendrait tous les deux ans. Si les émissions devaient suivre le scénario RCP8.5, à la fin de ce siècle, avec +4,5 ° C, Chicago devrait faire face en moyenne à 4 jours de chaleur aussi sévères qu’en 1995 chaque année.

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Cartes des fréquences de dépassement indexées sur la température globale pour la WBGT. Source : Dawei Li et al (2020)/IOP.

En Europe occidentale, sous le climat actuel, la région soumise à une WBGT supérieure à 29°C est encore très limitée. Cela peut se produire épisodiquement dans le sud  de la France, mais cela s’étendrait à une grande partie du sud de l’Europe avec +2°C, et à presque toute l’Europe continentale, à l’exclusion de la Scandinavie, avec +4,5°C.

Une WBGT de référence à 33°C a déjà été dépassée dans les régions autour du golfe Persique et en Asie du Sud dans le climat actuel. Ce seuil devrait concerner de plus en plus de régions avec l’augmentation de la température globale, notamment dans le centre des Etats-Unis et l’est de la Chine avec ~ 3 ° C au-dessus du niveau préindustriel.

Une WBGT atteignant 35°C approche les records du monde actuel. Potentiellement mortelle en cas d’exposition à long terme, elle risque de toucher des zones beaucoup plus étendues, notamment dans le Golfe Persique, la vallée de l’Indus et la vallée du Gange avec +3°C de réchauffement global. Si l’élévation atteint 4,5 ° C, une WBGT récurrente supérieure à 35°C gagnerait du terrain dans d’autres régions peuplées, notamment le centre des Etats-Unis et une grande partie de l’est de la Chine.

Très ponctuellement, des mesures de stress thermique encore plus importantes commencent à être relevées par des stations météo de régions côtières subtropicales. Avec des valeurs approchant les 35°C de température humide (Tw), le seuil de tolérance, en dehors de la plage de variabilité naturelle dans laquelle la physiologie humaine a évolué.

Comme dit précédemment, une Tw de 35°C représente un stress thermique encore plus important qu’une WBGT à 35°C. Une étude publiée dans Science Advances montre un doublement de la fréquence des événements les plus extrêmes sur la période 1979-2017 et de nombreux dépassements mondiaux de température humide (Tw) de 31°C et 33°C. Ce qui pourrait correspondre à une WBGT simplifiée de plus de 33 et 35°C respectivement, voire au-delà, selon les caractéristiques de la vague de chaleur. Deux stations ont même déjà signalé plusieurs valeurs quotidiennes maximales de température humide supérieures (Tw) à 35°C. Ces conditions, proches ou au-delà de la tolérance physiologique humaine prolongée, ne se sont heureusement produites que pendant une à deux heures.

Les régions les plus à risques sont l’Asie du Sud, le Moyen-Orient côtier et le sud-ouest de l’Amérique du Nord côtière, à proximité de températures de surface de la mer extraordinairement élevées et d’une chaleur continentale intense qui, ensemble, favorisent la survenue d’une chaleur extrêmement humide. D’après la réanalyse ERA-Interim, les valeurs les plus élevées sont localisées dans le Golfe Persique et les zones terrestres immédiatement adjacentes, ainsi que sur certaines parties de la vallée de l’Indus.

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Record de chaleur humide extrême relevé pour les stations météorologiques à travers le globe (maximum historique de TW pour 1979-2017, pour les stations avec au moins 50% de disponibilité des donnéesau cours de cette période). Source : HadISD/Science Advances 2020.

Les températures humides (Tw) les plus élevées ont donc été observées en bordure du Golfe Persique et au Pakistan. D’après l’article, l’accent mis sur les points du réseau terrestre minimise les risques réels de TW extrême le long des côtes, là où des masses d’air marin très humides sont advectées. C’est le cas notamment sur le littoral du sud du Golfe Persique.

En 2015, l’Iran a affronté une des pires vagues de chaleur jamais observées, avec 35°C de température humide. L’aéroport de Bandar Mahshahr, proche du littoral du Golfe Persique, a atteint un pic avec 46°C au thermomètre et 49% d’humidité relative. Dhahran a connu 35°C de température humide le 8 juillet 2003. Dans cette ville d’Arabie Saoudite, en bordure du Golfe Persique également, la température a atteint 42°C avec 67% d’humidité.

A titre de comparaison, les canicules de 2003 en Europe et de 2010 en Russie, la Tw n’a pas dépassé les 28°C lors des pics locaux.

 

8 réponses »

  1. Bonjour Johan, a-t-on des chiffres sur la canicule de juin 2019 en France? Je me rappelle que la température avait atteint jusqu’à 42°C dans les pays de la Loire avec une hygrométrie supérieure à 40%, ce qui doit donner une WBGT (simplifiée ou non) nettement supérieure à ce qu’on a connu en 2003.

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    • Bonjour Maignial,
      Je me suis posé la même question. Les études citées dans l’article n’y font pas référence mais effectivement la canicule de juin 2019 a connu des niveaux importants d’humidité il est tout à fait possible qu’on soit au-dessus de 2003. Pour qu’il y ait une température humide élevée, reste à savoir si le pic de 42°C a eu lieu alors que l’humidité était à 40%. Le max que j’ai pu voir se situe à Ruffiac (47) avec 34,9°C et 64% d’humidité le 29 juin à 17 heures, ce qui donne une Tw aux alentours de 29°C, ce qui est très élevé. On serait plus haut pour la WBGT. Il faudrait inspecter toutes les stations, sur ce site (https://www.meteociel.fr/temps-reel/obs_villes.php?code2=118&jour2=28&mois2=5&annee2=2019) qui donne température et humidité et rapporter les niveaux observés sur ce tableau : https://www.thermexcel.com/french/tables/th.htm.

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  2. Je sais que le pic de 42°C a été atteint à Saumur le 29 juin (MétéoFrance), mais Meteociel ne donne pas d’archive pour cette ville, à cette époque. Par contre, on y trouve en effet quelques valeurs remarquables:

    -Tour-en-Sologne (27 juin, 18h): 36,9°C, 34% d’humidité, humidex de 50°C (Tw ~ 29°C?)
    -Aniane (28 juin, 18h): 43,2°C, 30% d’humidité, humidex de 51,8°C (Tw ~ 27°C?)
    -Neuville de Poitou (28 juin, 15h): 37,9°C, 54% d’humidité, humidex de 52,0°C (Tw ~ 30°C?)
    -Neuville de Poitou (29 juin, 17h): 37,9°C, 47% d’humidité, humidex de 49,4°C (Tw ~ 29°C?)
    -Brive (29 juin, 17h): 36,9°C, 51% d’humidité, humidex de 48,9°C (Tw ~ 28°C?)

    Sachant qu’il ne s’agit pas là des valeurs maximales mais de relevés heure par heure. La comparaison avec 2003 est difficile sur ce site, mais l’hygrométrie était en général beaucoup plus faible, sous les 20% aux heures les plus chaudes sur la grande majorité du pays.

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      • Si on reprend la formule de la WBGT simplifiée, ça donne WBGT (simplifiée) = 0,7 Tw + 0,3 Ta = 0,7*29,91+0,3*37,9 = 32,31°C, si je ne dis pas de bêtise. ça nous rapproche des niveaux les plus extrêmes observés en Chine et c’est plus que ce qu’on avait eu en 2003. On a peut-être sous-estimé le risque d’avoir des WBGT extrêmes en Europe, dans les décennies qui viennent, sauf si la part de la variabilité naturelle dans la canicule de juin 2019 est plus importante qu’on le pense.

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        • On est contraint de le faire « à la main » mais il semble bien si l’on en croit cette formule simplifiée. D’ailleurs, dans le 1er graphique qui compare les types de températures ci-dessus, si on applique la formule avec dry bulb et wet bulb, on tombe sur 31°C, le pic de Chicago 95.
          Quand à savoir si 2019 est dû à la variabilité naturelle, on peut noter qu’il y a encore eu de Tw élevées en juillet 2019, en 2017 ou 2015… A voir. Plus que quelques jours avant l’été…

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  3. En ce moment, la région englobant les EAU, l’Arabie Saoudite, l’Iran et le Pakistan connaît des conditions diificiles avec des températures >50°C.

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