Climat

Les sécheresses en Europe depuis 2015 sont les plus sévères des deux derniers millénaires

Selon une nouvelle étude, les sécheresses estivales observées a cours des deux dernières décennies en Europe sont les plus sévères des 2 100 dernières années. Les changements en cours des schémas de circulation atmosphérique dus au changement climatique, bien que complexes, sont probablement responsables de l’augmentation récente des étés européens secs et chauds, d’après l’article.

Une équipe internationale (Université de Cambridge, Université de Mayence, WSL), a étudié les empreintes chimiques des chênes européens pour reconstruire le climat estival sur 2 110 ans. Ils ont constaté qu’après une tendance de long terme à l’assèchement, les conditions de sécheresse depuis 2015 se sont soudainement intensifiées, pour atteindre des niveaux jamais observés sur les deux mille dernières années.

Cette anomalie est probablement liée au réchauffement climatique causé par l’homme et aux changements associés du courant-jet. Les résultats sont rapportés dans la revue Nature Geoscience .

Des étés exceptionnellement chauds et secs ont été observés ces dernières années en Europe. Le but de l’étude était de produire des reconstructions précises des conditions historiques pour voir comment ces extrêmes récents se comparent aux années précédentes. Les résultats montrent que les derniers étés de l’Europe centrale sont exceptionnels en termes de sécheresse consécutive.

Une étude publiée en 2020 dans Scientific Reports avait déjà estimé que l’épisode de sécheresse de 2018 à 2019 était sans précédent depuis 250 ans en Europe.

En 2003, déjà, l’Europe avait été déjà frappée par une canicule et une sécheresse exceptionnelles, causant de graves dommages à l’agriculture. En 2018, le phénomène s’est reproduit, mais l’épisode s’est prolongé sur l’année suivante, jusqu’à l’été 2019. Les sécheresses de deux étés consécutifs en 2018 et 2019 sont sans précédent, d’après l’étude parue dans Nature Geoscience. Leur impact combiné sur la croissance des végétaux est plus forte que la sécheresse de 2003.

On peut voir ci dessous le l’indice de sécheresse de Palmer pour les mois d’août 2003, 2015, 2018 et 2019. Cet indice plus connu sous le nom de PDSI (de l’anglais Palmer Drought Severity Index) est une mesure de la sécheresse fondée sur les précipitations et les températures.

Au cours du 21e siècle, l’Europe centrale a donc connu quatre grandes sécheresses en 2003, 2015, 2018 et 2019. Il est clair que les dernières années ont été marquées par des sécheresses significatives mais la comparaison avec les sécheresses du passé plus lointain est entravée par le manque de registres fiables avant la tenue d’observations météorologiques de haute qualité.

Les isotopes stables des arbres peuvent fournir des informations avec une résolution annuelle permettant de dater les changements hydroclimatiques sur de longues périodes. La composition isotopique de l’oxygène et du carbone des anneaux de croissance change lorsque les arbres réagissent au stress hydrique et thermique.

Ulf Büntgen et ses collègues de République tchèque, d’Allemagne et de Suisse ont étudié plus de 27 000 mesures des rapports isotopiques de carbone et d’oxygène de 147 chênes européens vivants et morts, sur une période de 2 110 ans. Les échantillons proviennent de l’actuelle République tchèque et de certaines parties du sud-est de la Bavière.

Pour chaque anneau de chaque arbre, les chercheurs ont extrait et analysé indépendamment les isotopes de carbone et d’oxygène, ce qui leur a permis de créer l’ensemble de données le plus grand et le plus détaillé sur les conditions hydroclimatiques estivales en Europe centrale, de l’époque romaine à nos jours.

Les isotopes stables des cernes donnent une archive précise permettant de reconstruire les conditions hydroclimatiques dans les zones tempérées, où les études conventionnelles sur les cernes échouent souvent.

Parce que les arbres sont sensibles aux conditions climatiques locales, telles que la pluie et la température, ils donnent aux scientifiques des informations sur le climat local de cette région dans le passé. Par exemple, les cernes des arbres s’élargissent généralement les années chaudes et humides et ils sont plus minces les années quand il fait froid et sec. Les isotopes stables des cernes diffèrent des mesures habituelles basées sur la largeur des cernes et de la densité du bois. Les isotopes stables reflètent les conditions physiques et les réponses des arbres plutôt que la croissance nette. Alors que les valeurs de carbone dépendent de l’activité photosynthétique, les valeurs d’oxygène sont affectées par l’eau disponible. Ensemble, elles sont étroitement corrélées aux conditions de la saison de croissance.

Au cours de la période de 2110 ans étudiée, les données sur les isotopes des cernes montrent qu’il y a eu des étés très humides, tels que lors des années 200, 720 et 1100 après J-C, et des étés très secs, tels que 40, 590, 950 et 1510 après J-C. Malgré ces années hors du commun, les résultats montrent que depuis deux millénaires, l’Europe s’assèche lentement.

Reconstruction de la sécheresse estivale en Europe au cours des 2110 dernières années. (Graphique : Ulf Büntgen)

Les échantillons de 2015-2018 montrent cependant que les conditions de sécheresse des étés récents dépassent tout ce qui a eu lieu au cours des 2110 années. Une forte baisse a été observée après des siècles de déclin lent et significatif, ce qui est particulièrement alarmant pour l’agriculture et la sylviculture, selon les auteurs de l’étude. Le dépérissement sans précédent des forêts dans une grande partie de l’Europe centrale corrobore ces résultats.

Sur le long terme, les scientifiques pensent que les changements subtils de l’orbite terrestre sont la cause du lent assèchement. Pour expliquer l’accélération récente, les chercheurs affirment que la succession d’étés anormalement secs est très probablement le résultat du réchauffement climatique anthropique et des changements associés dans la position du courant-jet. Les changements de l’orbite terrestre ne peuvent être avancés sur une période aussi courte.

Le changement climatique ne signifie pas que la sécheresse sera accentuée partout. Certains endroits peuvent devenir plus humides, notamment dans le nord de l’Europe, mais les conditions extrêmes deviendront plus fréquentes, surtout au sud. Ce qui pourrait être dévastateur pour l’agriculture, les écosystèmes et les sociétés dans leur ensemble.

En raison des effets du dérèglement climatique, si rien n’est fait pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les sécheresses risquent d’être plus fréquentes dans la deuxième partie du XXIe siècle. La répétition des sécheresses serait sensiblement réduite, si le monde parvenait à réduire les émissions de CO2.

3 réponses »

  1. Si le poids de notre expérience d’empoisement et de destruction planétaire en temps réel est une si ce n’est LA raison de l’assèchement de la région d’Europe centrale (comme pour la hause des températures au niveau global), je me demande bien ce qui pourrait être responsable des pics (inversés) dans le passé en dehors d’une quelconque variabilité naturelle.

    Ce qui motive cette interrogation c’est que des recherches ont permis de mettre en évidence les impacts hydrologiques du massacre de la forêt amazonnienne, où non seulement le milieu entretien sa propre humidité mais aussi provoque des changement à plus longue distance («rivières volantes»).

    Je sais que l’histoire humaine en Europe est truffée d’évements (épidémies, conquêtes/guerres, extensions agricoles, urbaines, lois de gestion sur les domaines forestiers) touchant ses activités ayant elles-même une empreinte variable sur les surfaces impactées, y a-t-il un moyen de mettre en parralèle ici ce qui pourrait être des indicateurs important auprès des fortes amplitudes/variations apparentes autour de cette tendance ?

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    • Le climat a un impact sur la forêt mais la végétation a un effet en retour. Il y a effectivement l’exemple de la forêt amazonienne. Le rôle climatique des forêts diffère selon les régions du globe.
      Les forêts couvraient les 2/3 de l’Europe il y a 6000 ans et 1/3 aujourd’hui (malgré le petit rétablissement depuis le XXe siècle). L’effet d’assèchement est je crois assez clair pour le sud de l’Europe. Pour le centre, je crois que la présence de forêts à travers l’Europe permet aux précipitations de progresser vers l’intérieur du continent, ce qui pourrait réduire l’intensité des vagues de chaleur.

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  2. Je n’ai pas lu l’étude et je ne sais pas comment est calculée la courbe rouge, mais il n’est pas évident que la période actuelle soit plus sèche que la renaissance quand on regarde le graphe. Par contre, on voit bien la tendance de long terme.

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