Climat

La canicule nord-américaine « pratiquement impossible » sans le changement climatique

A la fin du mois de juin 2021, le nord-ouest des Etats-Unis et l’ouest du Canada ont connu une vague de chaleur exceptionnelle. Si la tendance de fond au réchauffement climatique augmente l’intensité de ce type d’événement, les valeurs atteintes ont surpris les scientifiques. Une analyse du World Weather Attribution – un consortium d’experts climatiques du monde entier travaillant sur l’attribution d’événements extrêmes – évalue l’impact du réchauffement climatique dans la survenue de cet épisode caniculaire.

Une température de près de 50°C à 50° de latitude Nord, des records de chaleur largement battus dans les Etats de Washington, de l’Oregon et en Colombie-Britannique, avec des anomalies supérieures de 16 à 20°C par rapport aux normales de saison… Les températures record se sont en plus produites un mois avant la période habituellement la plus chaude (fin juillet – début août), et cela sur une large zone.

Anomalies de températures le 27 juin 2021. Source : Image de l’observatoire de la Terre de la NASA par Joshua Stevens, utilisant les données GEOS-5 du 
Global Modeling and Assimilation Office de la NASA GSF
C.

La probabilité de voir une canicule aussi intense que celle des derniers jours de juin 2021 serait proche de zéro sans le réchauffement climatique. C’est la conclusion de l’étude de cas réalisée par le World Weather Attribution.

Des scientifiques des Etats-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de France, d’Allemagne et de Suisse se sont penchés sur la question souvent controversée de « l’attribution » de l’événement extrême. L’attribution consiste à déterminer l’influence possible du changement climatique sur les événements météorologiques extrêmes. La région étudiée (45-52 ºN, 119-123 ºW) comprend les villes de Seattle, Portland et Vancouver. La case noire ci-dessous indique la zone concernée.

Anomalies de la température maximale quotidienne la plus élevée (TXx) de 2021 par rapport à  par rapport à la moyenne de la température maximale quotidienne la plus élevée de l’année. La case noire indique la région d’étude. Source: GHCN-D.

Les températures relevées n’ont aucun analogue dans l’ère instrumentale. Pour déterminer à quel point elles sont remarquables, les scientifiques ont dû utiliser des modélisations climatiques. D’après leurs calculs, le pic de chaleur reste un événement rare dans le climat actuel avec une probabilité de retour d’une fois tous les 1000 ans. Cependant, les modélisations ont permis d’estimer que cet événement aurait été 150 fois plus rare sans changement climatique. Autrement dit, les chances voir de telles températures devraient être d’une tous les 150 000 ans en l’absence de réchauffement anthropique. C’est ce qui leur fait dire que les records seront virtuellement impossibles sans les niveaux de gaz à effet de serre actuels.

Température maximale annuelle sur la zone concernée par l’étude.

Si le dôme de chaleur s’était formé avant la révolution industrielle, les chercheurs estiment que le pic aurait été inférieur de 2°C à ce qui a été observé.

Mais le plus inquiétant, c’est ce qui pourrait nous attendre dans un monde avec 2°C de réchauffement climatique (environ 0,8°C de plus qu’aujourd’hui). Ce seuil qui pourrait être atteint dès les années 2040 avec les niveaux d’émission actuels. Un événement comme celui de juin 2021, susceptible actuellement de se produire une fois tous les 1000 ans, se produirait environ tous les 5 à 10 ans dans un monde futur avec 2°C de réchauffement climatique au niveau global.

Dans le cas de la vague de chaleur du mois de juin 2021, il faut préciser que des conditions atmosphériques expliquent pour une large part le caractère exceptionnel de l’événement. Une situation synoptique assez inhabituelle a produit des conditions propices à une chaleur intense. Il n’y a pas de doute que le « dôme de chaleur » ou « bloc oméga » est l’un des plus extrêmes observés dans la région. On parle ici des ondulations du jet stream, qui peuvent, même sans le réchauffement climatique, provoquer une vague de chaleur. Cela se produit naturellement, quand une région est isolée dans des conditions anticycloniques, prise en sandwich entre deux dépressions. Les modèles météo l’avaient bien anticipé, ce qui avait suscité plusieurs jours avant les craintes d’une importante vague de chaleur. Et il faut dire que les niveaux de hauteur géopotentielle ont bel et bien atteint des niveaux record, similaires à ceux de la vague de chaleur de 2019 en Europe de l’Ouest. La hauteur géopotentielle correspond approximativement à la hauteur d’une surface de pression au-dessus du niveau moyen de la mer.

Source: GFS/Levi Cowan ; modifié par Eric Holthaus

Le bloc oméga s’est développé sur la zone d’étude à partir du 25 juin et a ensuite progressé très lentement vers l’est au cours des jours suivants, entraînant une série de records de chaleur du dimanche 27 au mardi 29 juin. Cette crête présentait un altitude géopotentielle à 500 hpa d’environ 5980 m, ce qui est sans précédent pour cette région de l’ouest de l’Amérique du Nord sur le période de 1948 à juin 2021. Toute la question est de comparer cette situation atmosphérique aux températures qui en ont résulté. Les auteurs de l’étude notent que les niveaux de hauteur géopotentielle ont été moins exceptionnels que les températures observées.

Il n’y a pas de consensus scientifique quant à savoir si les événements de blocage atmosphérique sont amplifiés par l’Amplification arctique ou d’autres mécanismes. L’amplification arctique en été se caractérise par un fort réchauffement sur les zones terrestres des hautes latitudes et ce signal de réchauffement atteint la haute troposphère. Il y a des indications, à partir des observations, des modèles climatiques et paléoproxies que ce réchauffement accru sur les hautes latitudes conduit à un affaiblissement du jet stream en été, ce qui favoriserait ses ondulations et donc des conditions météorologiques plus persistantes. D’un autre côté, le changement climatique anthropique refroidit également la basse stratosphère polaire et réchauffe la haute troposphère tropicale, ce qui est susceptible de renforcer le jet. Le jet stream est ainsi soumis à une compétition entre des facteurs qui empêchent actuellement de dégager un consensus sur son évolution.

Une autre caractéristique importante de cette vague de chaleur extrême est qu’elle s’est produite après un printemps très sec sur l’ouest des Etats-Unis, de sorte que l’absence de refroidissement par évaporation a pu être un facteur dans les températures exceptionnelles observées.

Lors d’autres épisodes de chaleur extrême, comme la canicule européenne de 2003, les déficits pluviométriques au printemps précédent ont apporté une contribution importante. Par ailleurs, les vents descendus des montagnes (les Cascades) vers des villes comme Seattle et Portland ont également favorisé le réchauffement. D’après les auteurs de l’étude, davantage de recherches sont nécessaires pour comprendre dans le détail les différents processus impliqués.

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6 réponses »

  1. C’est donc un décrochage de 5°C en température maximale, sur une zone grande comme la France, qui a eu lieu. C’est un peu comme si demain en France, on avait 45°C sur les 4/5 du pays, avec des pics à plus de 50°C dans le sud…

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  2. Plus d’un milliard de mollusques auraient péri le long de la côte de la mer Salish en raison de la vague de chaleur historique qui a sévi en Colombie-Britannique il y a une semaine, estime le biologiste marin Chris Harley de l’Université de la Colombie-Britannique. Alors qu’il se promenait sur la plage Kitsilano à la fin du mois de juin, le biologiste marin a été stupéfié par l’odeur putride qui s’échappait de la plage. Le long des rochers s’étendaient des dizaines de milliers de moules, de palourdes, d’étoiles de mer et d’escargot, tous tués par la chaleur. Tandis que les températures avoisinaient les 40 °C à Vancouver, les caméras infrarouges utilisées par l’équipe de Chris Harley ont quant à elles enregistré des températures supérieures à 50 °C dans les habitats marins le long de la côte.

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    • Il est parfois utile en effet de rappeler que la température à 1m ou 2 du sol est sensiblement inférieur de celle à ras selon les matériaux (et la présence d’eau).
      Tout le monde, ou presque, apprécie le sable chaud des plages en été. En ville ça m’est arrivé d’observer aussi un écart de 10°C (et une sensation de pied brûlés après un peu de marche).

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  3. Bonjour,
    James Hanson et Makiko Sato ont publié hier un article-choc sur le web.
    Il mentionne que les modèles actuels ne prédisent pas adéquatement la fonte des glaces polaires et qu’en raison de cela, le GIEC à conclu à tort que les scénarios d’émission de gaz à effet de serre ne provoqueront qu’un ralentissement de la circulation méridienne de renversement de l’Atlantique (AMOC) et une élévation du niveau de la mer que d’environ 1 mètre ou moins. Les conclusions de Hanson et Sato sont bien plus pessimistes. Selon eux, les scénarios de gaz à effet de serre entraîneront l’arrêt complet de l’AMOC et du SMOC (Southern Ocean Overturning circulation), ce dernier provoquant une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres. https://mailchi.mp/caa/may-2021-global-temperature-update-6vdouglinl

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