Climat

Un risque de réchauffement plus important lié à la variabilité de l’Atlantique

Le réchauffement climatique pourrait avoir été atténué par la variabilité interne de la circulation océanique, d’après une étude publiée dans Nature Communications. Si cela est vrai, on peut craindre qu’il soit plus difficile de contenir le réchauffement sous les 2 °C dans les décennies à venir.

La circulation océanique méridienne de retournement Atlantique (appelée AMOC)  transporte les eaux chaudes des tropiques vers l’Atlantique Nord, où elles refroidissent et coulent puis retournent vers le sud dans les profondeurs de l’océan. C’est l’un des principaux systèmes de circulation océanique sur le globe et un acteur important du climat mondial, lié à certains des changements climatiques les plus forts et les plus rapides au cours des derniers millions d’années. Ce système est responsable d’un transport de chaleur net vers l’Atlantique du Nord.

Carte topographique des mers nordiques et des bassins subpolaires avec des courants de surface (courbes pleines) et des courants profonds (courbes en pointillés) qui forment une partie de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique. Les couleurs des courbes indiquent les températures approximatives. Source : Wikipedia.

Depuis les années 1980, les climatologues mettent en garde contre un affaiblissement, voire un arrêt de ce flux en raison du réchauffement climatique. Les modèles climatiques suggèrent un ralentissement de l’AMOC au 21ème siècle en réponse à l’augmentation des gaz à effet de serre. Mais il est difficile de déterminer avec précision l’ampleur de ce changement. Ce n’est que depuis 2004 qu’il existe une surveillance continue dans l’Atlantique avec le projet RAPID. Certaines mesures indirectes permettent cependant de remonter plus loin dans le temps pour estimer l’état passé de la circulation océanique.

L’AMOC peut temporairement augmenter ou réduire les empreintes du changement climatique. Des observations qui ne prendraient pas en compte la circulation océanique seraient ainsi susceptibles d’être biaisées. Une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Communications, sous la direction de Rémy Bonnet (Institut Pierre-Simon Laplace, Sorbonne Université/CNRS), se penche sur la variabilité interne de l’océan Atlantique, montrant qu’elle pourrait avoir atténué l’ampleur du réchauffement climatique. La connaissance de l’évolution historique de l’AMOC a aussi son importance pour évaluer le réchauffement futur.

Dans leur étude, les scientifiques se penchent sur des simulations faites avec le modèle IPSL, qui mettent bien en évidence le lien entre la variabilité naturelle de l’AMOC et celle de la température globale observée. Ce lien est également présent dans d’autres modèles CMIP6. Le modèle IPSL-CM6A-LR utilisé dans l’étude fait partie de ces modèles de nouvelle génération caractérisés par une sensibilité assez élevée, proche de la borne supérieure des projections, avec une sensibilité climatique à l’équilibre de 4,5°C.

Les auteurs de l’étude ont sélectionné les membres du modèle IPSL les plus proches des observations à la fois en terme de tendance de température et de tendance de l’AMOC. Comme il n’existe pas d’observations longues de la circulation océanique dans l’Atlantique Nord, les scientifiques doivent utiliser des proxys, c’est à dire des preuves indirectes de l’état de l’AMOC pour remonter plus loin dans le temps.

Il s’avère que les membres du modèle IPSL les plus consistants avec la tendance observée du réchauffement global ainsi qu’avec la tendance d’une reconstruction de l’AMOC sont caractérisés par un ralentissement de la circulation océanique à partir des années 1940. Et si l’on regarde comment évoluent ces membres pour les prochaines décennies cette fois, on voit que leur variabilité interne moyenne tend plutôt à renforcer l’AMOC. C’est cet état de la variabilité interne qui permet de dire que certaines observations passées comportent un biais froid et qu’un changement de signe de la variabilité interne de la circulation doit se traduire prochainement par un réchauffement de surface plus important.

Les figures ci-dessous montrent l’évolution de l’AMOC et de la température de surface (GSAT) simulées par le modèle IPSL, avec le sous-ensemble de membres sélectionnés en bleu et la moyenne d’ensemble représentant la composante forcée en rouge. Sur la période 1951-1990, la moyenne d’ensemble affiche un AMOC renforcé et une tendance GSAT supérieure à celle des membres fidèles aux observations. Sur la période 2020-2059, c’est l’inverse, les membres sélectionnés pour leur aptitude à se conformer à la variabilité interne passée affichent des tendances moins négatives pour l’AMOC et des anomalies de température en plus forte progression. La différence en matière de température est tout de même relativement faible.

a Evolution temporelle de l’anomalie l’AMOC (Sv) par rapport à la période 1900-2018 pour l’ensemble IPSL de simulations historiques étendues (IPSL-EHS) (gris), la moyenne d’ensemble (rouge) , le sous-ensemble de membres (bleu clair), la moyenne du sous-ensemble (bleu foncé) et la variabilité interne moyenne (calculée en supprimant la moyenne d’ensemble pour chaque membre) du sous-ensemble de membres (violet). c Identique à a mais pour l’anomalie de la température globale de l’air près de la surface (GSAT). b Tendances AMOC (Sv par décennie) dans l’IPSL-EHS (noir), avec la moyenne d’ensemble (point noir) et la gamme complète minimum-maximum (ligne noire) et le sous-ensemble de membres (bleu clair), avec la moyenne du sous-ensemble ( bleu foncé). d Identique à c mais pour GSAT. Source : Rémy Bonnet et al. (Nature Communications).

Il faut préciser que dans les simulations individuelles la variabilité interne est plus importante que la moyenne d’ensemble du modèle IPSL. L’ensemble ne traduit pas à la variabilité naturelle mais la réponse forcée de l’AMOC. C’est à dire à l’évolution de l’AMOC en réponse aux forçages externes comme les gaz à effet de serre et les aérosols. Les simulations présentent toutes les mêmes forçages externes et diffèrent uniquement part leurs conditions initiales. Ces simulations vont donc présenter des évolutions différentes dues à la variabilité interne du climat, mais ont les mêmes forçages externes. C’est ainsi que l’on peut décomposer une composante de variabilité interne en étudiant les membres individuels et une composante forcée en prenant la moyenne de l’ensemble.

Les membres cohérents avec les tendances de température de surface et AMOC observées se caractérisent par un renforcement de l’AMOC jusqu’aux années 1940 suivi d’un déclin. A l’inverse, l’AMOC forcée estimée par la moyenne d’ensemble ne montre que de faibles changements jusqu’aux années 1960, avec un petit renforcement jusqu’aux années 1990 suivi d’un affaiblissement, comme dans les membres qui suivent fidèlement la variabilité interne de l’Atlantique et d’autres modèles CMIP6.

À partir du 21e siècle, les forçages externes ont une influence croissante sur la variabilité interne et dominent le déclin de l’AMOC. On le voit bien avec le fait que tous les membres ont tendance à avoir une AMOC qui diminue. L’analyse est en ce sens conforme à ce que l’on peut attendre de l’évolution de la circulation océanique.

Il y a donc une composante forcée qui influence la variabilité basse fréquence de l’AMOC dans les prochaines décennies. Mais comme dans les simulations les plus fidèles aux observations la variabilité interne évolue en opposition à la variabilité forcée, ces membres affichent une diminution de l’AMOC moins importante que le reste de l’ensemble IPSL pour les décennies à venir. Ce qui est logiquement associé à un réchauffement plus important que le reste de l’ensemble, puisqu’il existe une relation entre l’AMOC et la température globale. 

Les membres du sous-ensemble sélectionnés à partir de leurs cohérences avec les observations et tendances de température globale, ainsi que de leurs cohérences avec les proxys de l’AMOC montrent donc une contribution positive de la variabilité interne sur les prochaines décennies, qui vient s’ajouter à la composante forcée, négative quand à elle, et donc vient limiter le ralentissement de l’AMOC. 

Au final, l’étude montre que le risque de franchir l’objectif de réchauffement de 2 °C est renforcé. Le sous-ensemble de membres avec une variabilité à basse fréquence cohérente avec les observations montre un réchauffement plus important que la moyenne de l’ensemble au cours des prochaines décennies. La fraction du réchauffement climatique anthropique qui aurait pu être masquée par cette variabilité interne à basse fréquence devrait se matérialiser dans les prochaines décennies.

Pour résumer, l’étude montre que l’affaiblissement de l’AMOC depuis le milieu du 20ème siècle pourrait être principalement d’origine interne provenant de la variabilité interne de l’océan. Si cela est vrai, cela pourrait signifier que la sensibilité climatique transitoire estimée à partir des enregistrements d’observation, en particulier au cours des 6 à 7 dernières décennies, est peut-être sous-estimée.

D’après les auteurs de l’étude, les tentatives d’estimer le réchauffement futur en utilisant les dernières décennies devraient se pencher sur la question de la variabilité interne à basse fréquence et prendre en compte les membres individuels de l’ensemble plutôt que les moyennes de l’ensemble.

5 réponses »

  1. Bonjour Johan, et merci pour ta constance…
    En d’autres termes, si j’ai bien compris, on n’a pas assez tenu compte du ralentissement de l’amoc dans les décennies à venir, ou en tout cas insuffisamment …
    Mais l’étude n’apporte pas de modification chiffrée des modèles, c’est bien ça ?
    Et compte tenu des surfaces et des volumes d’échange en cause, j’imagine que la correction risque fort de ne pas être que marginale. Est-ce que je me trompe ?
    Cordialement

    J’aime

    • Bonjour,
      En fait l’Amoc est censé ralentir avec un effet d’atténuation du réchauffement. Mais comme la moyenne d’ensemble du modèle Ipsl capte essentiellement la réponse forcée d’un ensemble de réalisations du modèle, il faut se tourner vers les similations indoviduelles pour avoir une vision plus fine de la variabilité naturelle. Le monde réel, c’est comme une réalisation indoviduelle dans un modèle. Les membres les plus proches des observations montrent que la variabilité interne tend à aller contre le ralentissement et la réponse forcée dans les décennies à venir.
      La variabilité interne aura donc tendance à tempérer l’effet refroidissant du ralentissement de l’Amoc.

      J’aime

  2. Si je comprends bien, d’après la figure C, à cause de la variabilité naturelle, on aurait un réchauffement de la température de l’air au-dessus de l’AMOC de (en gros) 0,25°C de 2010 à 2040. Ou bien est-ce à l’échelle planétaire??

    J’aime

  3. Bonjour,
    j’avoue que cette approche directement “modèle-centrée” ma gène un peu car elle présuppose que les modèles individuels sont des représentations vraisemblables de la réalité, ce qu’ils ne sont pas censés être encore actuellement, en tout cas en terme de trajectoires pluridécennales. Par exemple, pour une référence grand-public, voir le chapitre méthologique, page 24, alinéa D, du “Livret Vert Climator” (“Leur évaluation ne repose pas non plus sur leur aptitude à reproduire les tendances observées sur les 30 dernières années”).
    Certes, sur cette problématique particulière, on obtient un résultat similaire si on utilise un raisonnement “observation-centré” : les observations ou proxies des oscillations pluridécennales de la circulation de retournement montrent un quasi-cycle de demi-période 30 ans environ, avec une phase descendante (déclinante) de 1950 à 1980 environ, soit la dernière phase complète pas trop perturbée par le Changement Climatique. Or la modélisation climatique globale n’est pas capable de “verrouiller” ce genre de cycle avec le bon déphasage, c’est à dire que si on fait la moyenne d’un grand nombre de simulations, ce cycle disparait. Cependant, les cycles se perpétuent à l’avenir, en simulation individuelle, en composition avec le CC.
    Donc, sur la période 1980-2010, la tendance de GSAT observée serait plus forte que ce que les modèles en disent en moyenne, ça serait l’inverse sur 2010-2040 (une trompeuse impression de ralentissement…) et à nouveau la réalité dépasserait les modèles sur les trente années ultérieures.
    L’article pointe une influence faible du phénomène, de quelques centièmes de degrés par décennie, mais il s’agit de température globale. Nul doute que l’influence locale, en particulier au déboulé de la dérive Nord-Atlantique (donc chez nous!) et sur une saison sensible serait autrement plus sévère.
    Je recommanderais de recommencer ce genre d’étude, et de comparaison d’approches, sur les températures diurnes (et la pluviométrie) du printemps en Europe de l’Ouest.

    J’aime

Laisser un commentaire