Il y a quelques années nous découvrions avec horreur l’insolence programmée. Certains objets que nous achetions contenaient une puce qui les mettait hors d’usage après un certain temps, généralement peu après l’expiration de la garantie. Au contraire, certains appareils plus anciens fonctionnaient des dizaines d’années. 

Ce système avait été délibérément mis en place pour que le consommateur achète plus. C’est d’autant plus criminel qu’aujourd’hui les matières premières s’épuisent, que la production industrielle cause un réchauffement climatique dangereux et que la pollution s’accumule partout sur la Planète. 

Le coût des émissions de carbone pour la société, le prix des dégâts que celles-ci occasionnent,  a quadruplé en dix ans et monte en flèche (lien) . L’activité des entreprises génère des coûts climatiques qui équivalent à la moitié de leurs bénéfices (lien). L’utilisation des ressources naturelles est à l’origine des défis environnementaux mondiaux et augmentera considérablement si aucune action n’est entreprise.

Nous devons aller dans la direction contraire, celle de l’économie circulaire. Le monde doit apprendre à assurer le bien-être humain sans transgresser les frontières planétaires. Les besoins humains peuvent être satisfaits de manière beaucoup plus intelligente : nous ne devons pas tout acheter. Nous pouvons profiter des objets de différentes façons. Le Club de Rome suggère de passer de la possession des objets à leur usage.

Plusieurs changements clés pour la stabilité planétaire et le bien-être humain au 21e siècle sont proposés dans leur dossier Earth4All.  Le Club de Rome recommande  de nous centrer sur les besoins humains, puis d’optimiser la façon de les satisfaire, plutôt que de développer l’économie traditionnelle. Il s’agit d’assurer  une vie de qualité avec un bon travail et des biens matériels suffisants. Notamment, ils recommandent de nouveaux indicateurs de développement incluant la santé et le bien-être.  

Les systèmes d’approvisionnement à forte intensité matérielle peuvent et doivent être optimisés avant même le passage aux renouvelables. Les plans en matière de climat et des d’économie circulaire devraient être fondés sur la science des ressources ce qui les rendrait bien plus efficaces. Ils espèrent aussi une meilleure gouvernance mondiale des flux de matières et de l’utilisation des ressources, une gestion scientifique mondiale de ce domaine. 

Ils donnent l’exemple des voitures.  Si 25% des courses de voitures sont partagées par plusieurs utilisateurs, les émissions des véhicules pourraient être réduites de 20%. Ensuite, si cette organisation efficace est combinée avec une vie du produit étendue, une meilleure réparation et recyclage, les émissions pourraient être réduites de 40%.  Le partage des voitures et les transports publics constituent la meilleure solution pour les problèmes d’approvisionnement en batteries et pour le manque de semi-conducteurs pour les voitures électriques.  Ces matériaux ne doivent pas être intégrés à une voiture européenne privée qui est à l’arrêt 90-95% de son existence.  Les jeunes de New York ou de Paris, des mégapoles du monde développé, n’achètent pas de voiture. Ils sont conscients des avantages des transports publics, des inconvénients de la voiture, et n’en veulent plus.

Les leaders européens doivent activement planifier une réduction dans l’usage général des objets et dans les importations de matériaux bruts. Après le passage aux renouvelables de notre société, qui est en cours, nous devrions passer à la dématérialisation de celle-ci.  La consommation devrait évoluer de la possession à l’usage des objets, et les entreprises devraient passer de ventes massives à la fourniture de services.  La location est une solution, elle devrait être privilégiée par rapport à l’achat. 

Quand nous allions faire du paddle avec ma fille, je le louais dans une cahute au bord du lac.  Je ne possède pas de voiture, il m’était donc quasiment impossible d’acheter un paddle, et de l’amener au bord du lac.  Je me suis imaginée en train de le transporter en bus, j’aurais alors pu en acheter un gonflable, peu durable, probablement le modèle bas de gamme, et le gonfler au bord du lac, il m’aurait alors fallu une pompe, et probablement une pile pour faire fonctionner celle-ci. Je n’avais pas non plus de grand local où pour ranger ce matériel. 

J’ai préféré la location. Je louais l’objet à quelqu’un de compétent qui a acquis un objet plus solide, en bon état, s’en occupait et aurait même organisé un bateau de secours en cas de problème.  Cela me coûtait moins cher pour un usage modéré d’une dizaine de séances par année, les jours les plus chauds qui s’y prêtaient le mieux. Cette solution était à tous niveaux plus simple pour moi.  Maintenant, je fais partie d’une association qui possède le matériel.

Il faut surtout éviter le réflexe du consommateur d’achat de l’objet le moins cher. Parfois, c’est plus avantageux pour quelques utilisations seulement, comme le matériel pour le xième sport, mais il remplira vite les décharges.  Les prix pourraient être affichés par année de garantie, mais surtout la location-vente devrait être généralisée.  Il faudrait  aussi favoriser la location de matériel au lieu de l’achat, et organiser la mise en place de locations aux endroits favorables.  Particulièrement pour les enfants, cela éviterait d’acheter une autre taille chaque année. 

Une autre solution préconisée par la Club de Rome est la vente de produit en tant que service (Product as Service). Le client paie pour un objet en état de fonctionnement. Les clients s’abonnent au produit et paient des frais récurrents. Les entreprises PaaS ont un engagement plus continu avec un support client plus étroit. Elles vendent le fonctionnement correct de leur machine avec tout ce que cela implique, sur la durée. Comme la propriété n’est pas transférée, il existe un important potentiel d’économie circulaire, puisque l’entreprise est désormais responsable de la production d’un meilleur objet.

La transition vers une durée de vie d’engagement de service tout compris garantit que le cycle de vie du client est prolongé et est assuré par les services associés. Les produits physiques sont combinés avec des services et des logiciels pour surveiller le processus client. L’entreprise reprend généralement la machine défectueuse et peut en utiliser les pièces ou se charge du recyclage. 

Je me souviens que l’imprimante de l’université tombait toujours en panne. Elle a alors été remplacée par un système HP, une machine solide avec maintenance inclue. Le même réparateur revenait à chaque fois. Il a d’ailleurs identifié un problème dans le maniement de la machine et nous l’a expliqué.  Les pannes ont disparu, c’était une réelle amélioration.  

Un appartement loué avec l’électroménager inclut aussi le fonctionnement de celui-ci, et les bailleurs ont parfois un contrat de maintenance avec le fabricant, pour un matériel de qualité. 

Mieux encore, Philipps vend de la lumière à certains clients. Il ne vend plus les lampes, ni les ampoules, ni la maintenance, mais l’éclairage.  Ils installent le matériel, l’entretiennent,  et le client paie le service final de fourniture de la lumière. Ils ont alors intérêt à mettre en place un matériel  fonctionnel, économe en énergie mais résistant aux pannes.

Rolls-Royce vend aussi des heures de vol de ses moteurs d’avion et prend en charge la machine et son fonctionnement. Dans l’idéal, ils paient le fuel ce qui les incite à l’économie.

Ce type de contrat aboutit rapidement à une amélioration de produit. L’effort du fabricant migre de la couleur au fonctionnement de l’objet.  L’entreprise productrice peut facilement résoudre les problèmes quand elles les identifie et quand elle en a la charge. Deux ans plus tard, la fragilité constatée est corrigée dans une nouvelle version. Le contrat le plus écologique imputerait au fabricant le prix du courant consommé et le recyclage de l’objet défectueux. Il résoudrait aux mieux ces deux problèmes. Ce système fonctionne en général avec des grands contrats et entreprises mais devrait être généralisé. 

Les consommateurs individuels devraient aussi avoir la possibilité d’acheter un objet de bonne qualité, durant plusieurs années, avec un système de location-vente mensuelle, incluant garantie et réparation.  Cela diminuera notablement les émissions de carbone et la pollution sur la Planète.

Nous aurons dans ce cas besoin d’une armada de réparateurs qualifiés et d’objets solides, avec des pièces de rechanges facilement accessibles, ainsi que de loueurs de matériel de sport ou autre.

Le concept apparenté Molecule-as-Service implique la récupération et le recyclage des produits chimiques après utilisation. A l’avenir, dans un modèle totalement circulaire,  chaque molécule serait réutilisée à l’infini. 

Club of Rome, Earth4All,  System change compass 2020

3 réponses à « Oublions la propriété: une consommation différente, et le produit en tant que service »

  1. Avatar de Cédric
    Cédric

    Bonjour,

    Tout ça pour ne pas prononcer une seule fois le mot « capitalisme » dans ce texte, alors que c’est cette idéologie qui est la véritable origine de tous les problèmes du productivisme de notre société. Que les produits soient achetés ou loués, tant que les industries privilégieront la maximisation de leurs profits, les coûts de l’écologisation de la production seront négligés.

    Il ne faut pas attendre du Club de Rome autre chose qu’une nouvelle tentative de sauver le système capitaliste en le verdissant, ainsi que de faire reposer la responsabilité du problème sur l’utilisateur final plutôt que sur l’industrie productiviste. Quelle influence l’utilisateur pourrait-il en effet avoir sur les choix de production d’une multi-nationale ?

    Non, ce n’est pas en changeant un peu nos petites habitudes individuelles de consommation que l’on règlera le problème écologique actuel. Au mieux, cela permettra d’aplatir un peu la courbe exponentielle de la croissance, et donc de décaler un peu le problème dans le temps, mais la courbe restera exponentielle tant que la société sera capitaliste.

    La vraie solution est de changer la nature profonde de la société, que notre politique industrielle ne soit plus dirigée par la cupidité de certains mais par l’intelligence collective, la bienveillance et le respect de la nature et du vivant. Toute autre approche est illusoire.

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    1. Avatar de Ano
      Ano

      Pour en finir avec le Club de Rome, on peut également se pencher sur le livre de Philippe Braillard «L’imposture du Club de Rome».
      Ces contes de fées vertes ne font rêver plus personne.

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  2. Avatar de Parmantier
    Parmantier

    Nous connaissons tous les produits importés de Chine ou d’ailleurs. Mais que connaissons-nous réellement de leur culture profonde ? Le monde actuel s’est construit beaucoup plus sur la consommation matérielle que culturelle. C’est logique, le plaisir matériel étant beaucoup plus immédiat que le plaisir culturel qui demande un effort plus grand. C’est sur cette problématique, hautement politique et non politicienne (la politique étant l’art de nous permettre de vivre ensemble dans la cité) que doit se porter notre regard. Le monde politique et économique va nécessairement subir de profondes transformations, induites par l’état de la planète. Il est essentiel pour nos descendants de redécouvrir des façons de vivre ensemble.

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