Les laboratoires de climatologie français viennent de livrer leurs simulations dans le cadre de la préparation du prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévu pour 2021. Les nouveaux modèles suggèrent un réchauffement plus important à l’horizon 2100 que lors des versions précédentes. Selon le scénario le plus émetteur en CO2, l’augmentation de la température moyenne globale atteindrait 6 à 7 °C en 2100, soit 1 °C de plus qu’auparavant.
Les résultats des laboratoires français viennent de tomber. Ils seront utilisés dans le prochain rapport du GIEC qui publiera une nouvelle génération de modèles climatiques en 2021.
Le programme mondial de simulations du climat CMIP6 a démarré en 2014 à l’issue de la publication du 5e rapport d’évaluation du GIEC. Faisant intervenir plus de 20 centres de modélisation du climat dans de nombreux pays, les simulations seront utilisées pour le 6e rapport d’évaluation du GIEC en cours de rédaction. Pour le moment, les nouvelles simulations sont essentiellement discutées lors des réunions d’experts, et tous les chiffres ne sont pas connus.
Il semble que les modèles de la prochaine génération produits par de grands centres aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et en France, prévoient une «sensibilité climatique à l’équilibre» plus importante que celle évaluée par le programme CMIP5 figurant dans le dernier rapport du GIEC (AR5) publié en 2013. Les modélisateurs n’ont semble-t-il pas clairement identifié laquelle de leurs améliorations expliquait cette sensibilité accrue.
Les nouveaux modèles climatiques exploitent la puissance des super-ordinateurs et sont censés offrir de nombreuses améliorations dans le traitement du système climatique.
Les scientifiques français regroupés au sein de la plateforme Climeri-France ont participé au programme CMIP6 avec deux modèles climatiques, développés l’un par le CNRM (CNRS/Météo-France), l’autre par l’Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL). On connait désormais les détails de leurs projections climatiques, qui ont été dévoilées dans un rapport le 17 septembre 2019. En voici quelques éléments importants concernant la température globale.
Les deux nouveaux modèles simulent un réchauffement plus important à l’horizon 2100 que les versions précédentes établies en 2012, en particulier pour les scénarios les plus pessimistes en émissions. D’après les premiers éléments qui ont filtré, cela semble la tendance générale des nouveaux modèles. Cela pourrait s’expliquer par une réaction plus forte du climat aux gaz à effet de serre que dans les simulations de 2012, mais les raisons de cette sensibilité accrue et le degré de confiance à y apporter restent à évaluer, d’après les scientifiques qui ont conçu les modèles IPSL et CNRM.
Les équipes françaises mettent en avant le grand nombre de simulations de la période passée (1850-2014) qui ont été réalisées : 32 avec le modèle de l’IPSL et 10 avec CNRM-CM6. Pour chaque modèle, ces simulations ne diffèrent que par les conditions initiales de l’océan et de l’atmosphère en 1850. Comme celles-ci ne sont pas connues, il est important de pouvoir disposer d’un ensemble de simulations dans la gamme de ce qu’il est possible d’envisager.
Les deux modèles simulent assez bien l’augmentation observée de la température d’environ 1°C depuis le début de l’ère industrielle, le modèle de l’IPSL ayant tendance à le surévaluer de quelques dixièmes de degrés, et le modèle CNRM-CM6 au contraire à le sous-évaluer légèrement. Néanmoins, pour chaque modèle, certaines des simulations reproduisent très fidèlement le réchauffement observé.
Des améliorations ont été apportées aux modèles de climat par rapport aux précédentes versions : résolution spatiale, modélisation des différents compartiments physiques du système climatique (océan, atmosphère, surfaces continentales, glaces). Les évaluations en cours montrent que les modèles français simulent mieux les caractéristiques observées du climat que les anciennes versions.

Pour ce qui est des projections, différents scénarios ont été élaborés, selon l’amplitude de la perturbation du bilan radiatif qu’ils génèrent à l’horizon 2100. Ainsi pour CMIP5, quatre scénarios (RCP pour Radiative Concentrations Pathways) avaient été utilisés, représentant respectivement des perturbations du bilan radiatif de 2.6, 4.5, 6 et 8.5 W/m2.
La gamme de perturbations radiatives retenue est similaire à celle de CMIP5, mais permet de mieux explorer les scénarios d’amplitude intermédiaire (3.4 et 7.0 W/m²) et faible (1.9 W/m²), permettant dans ce dernier cas d’approcher l’objectif de limiter l’augmentation des températures à 1,5 ou 2°C.
Pour CMIP6, plus de 80 000 ans d’évolution du climat ont été simulés en utilisant les supercalculateurs pendant plus d’un an, 24 heures/24 et 7 jours/7, générant 20 pétaoctets de données.
Selon le scénario le plus « pessimiste » (SSP5 8.5 – croissance économique rapide alimentée par des énergies fossiles), l’augmentation de la température moyenne globale par rapport à la période 1850-1899 atteindrait 6 à 7 °C en 2100, soit 1 °C de plus que dans les précédentes estimations. Précisons que dans le rapport du GIEC de 2013, le scénario RCP8.5 tablait sur une concentration de CO2 supérieure à 1000 ppm. La concentration actuelle est de 410 ppm, celle de la période préindustrielle de 280 ppm.
Seul l’un des scénarios socio-économiques (SSP1 1.9 – marqué par une forte coopération internationale et donnant priorité au développement durable), permet de rester sous l’objectif des 2 °C de réchauffement, au prix d’efforts d’atténuation très importants et d’un dépassement temporaire de cet objectif au cours du siècle. On peut voir ci-dessous les résultats des modèles IPSL et CNRM pour CMIP5 et CMIP6 :

Pour le climat futur, les deux modèles prédisent une augmentation de la température moyenne du globe au moins jusqu’en 2040. Le choix du scénario et des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre n’ont un impact discernable sur la température moyenne de la planète qu’à partir des années 2040 pour les quatre scénarios envisagés. Ce n’est donc qu’après 2040 que les projections de température globale divergent notablement.
Le scénario SSP1 2.6 (qui implique un effort d’atténuation important) ne permet pas de rester sous l’objectif des 2°C de réchauffement dans les deux modèles français. L’objectif est légèrement dépassé, malgré une neutralité carbone atteinte en 2080 et une captation du CO2 atmosphérique.
Pour rester sous les 2°C, il a fallu concevoir un scénario, le SSP1 1.9, impliquant un effort d’atténuation encore plus important. Il nécessite une diminution immédiate des émissions de CO2 jusqu’à atteindre la neutralité carbone à l’échelle de la planète vers 2060, ainsi qu’une captation de CO2 atmosphérique de l’ordre de 10 à 15 milliards de tonnes par an en 2100. Cela n’empêche pas le scénario SSP 1.9 de prévoir un dépassement temporaire de l’objectif de 2°C au cours du siècle.
Regardons maintenant la sensibilité du système climatique au CO2 atmosphérique, qui constitue une forme de mesure étalon. La sensibilité climatique à l’équilibre (ECS) est l’augmentation de la température en ° C qui résulterait d’un doublement de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre, une fois que le bilan énergétique de la Terre et le système climatique auront atteint l’équilibre radiatif. Les modélisations publiées dans le dernier rapport du GIEC estimaient qu’elle se situait dans une fourchette de 2,1°C à 4,7°C pour un doublement de la concentration de CO2, avec une prévision centrale de 3,2°C, comme on peut le voir ci-dessous.

Les modèles IPSL et CNRM présentent une réponse à l’équilibre réévaluée. Pour IPSL, la réponse du climat à l’équilibre était de 4,1 degrés dans les précédentes modélisations. Elle est portée à 4,8°C. CNRM passe de son côté de 3,3 à 4,9°C entre CMIP5 et CMIP6. Les deux nouvelles versions sont donc plus proches aujourd’hui.
Cette augmentation entre CMIP5 et CMIP6 de la réponse à l’équilibre s’accompagne d’une augmentation de la réponse climatique transitoire (TCR) pour le modèle de l’IPSL, mais pas pour CNRM-CM6. La réponse transitoire correspond à l’augmentation de la température de surface moyenne de la planète après 70 ans d’une augmentation continue de 1 % par an de la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Cette deuxième quantité est plus faible que la réponse à l’équilibre car le système climatique n’a pas encore le temps de s’ajuster complètement à la perturbation induite par le doublement de CO2.
Le dernier rapport du GIEC avait estimé la réponse transitoire entre 1,1°C et 2,6°C, avec une prévision centrale de 1,8°C. Les derniers modèles IPSL et CNRM donnent respectivement 2,4°C et 2°C.
| CMIP5 | CMIP6 | |||
| Modèles | ECS | TCR | ECS | TCR |
| Moyenne CMIP5 | 3,2°C | 1,8°C | – | – |
| IPSL-CM5A-LR | 4,1°C | 2°C | 4,8°C | 2,4°C |
| CNRM-CM6-1 | 3,3°C | 2,1°C | 4,9°C | 2°C |
Si l’on met de côté les laboratoires français, on ne connaît pas encore les détails des futures modélisations qui seront publiées dans le prochain rapport du GIEC. Mais une réunion de travail organisée en mars 2019 avait déjà donné un aperçu des nouvelles estimations de la sensibilité climatique :

Pour finir, une citation du compte-rendu publié par le CNRS résume bien les constats et les enjeux des nouvelles modélisations : « Une même variation de la teneur en CO2 entraîne donc des variations de température plus importantes que dans les précédents modèles. Cette augmentation de la « sensibilité » des modèles n’est pas propre aux modèles français, un certain nombre d’autres centres de modélisation à l’étranger faisant un diagnostic similaire. Les raisons de cette plus grande sensibilité et son impact sur les projections ne sont néanmoins pas encore très clairs. En effet, celles-ci dépendent également d’autres facteurs comme l’inertie du système climatique. Ces questions vont concentrer les efforts de recherche en modélisation du climat dans l’année qui vient. »

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