Climat

Rupture de la plateforme Conger sur fond de vague de chaleur en Antarctique de l’Est

Une plateforme de glace de la taille de la ville de Rome s’est effondrée en Antarctique de l’Est le 15 mars 2022, dans une zone longtemps considérée comme relativement épargnée par le changement climatique. L’effondrement s’est produit au début d’une « vague de chaleur » exceptionnelle dans la région de l’Antarctique de l’Est, qui a vu par endroits des température dépasser de 40°C les normales de saison.

La plateforme de glace Conger, d’une largeur d’environ 1200 kilomètres carrés, soit la taille d’une ville comme Rome, était vraisemblablement là depuis des milliers d’années. Son effondrement est un événement inédit dans cette partie du continent. La plateforme de Conger avait tendance à rétrécir depuis les années 1970. Puis, en 2020, la perte de glace de la plateforme s’est accélérée pour finalement se désintégrer en mars 2022.

Ce qui inquiète, ce n’est pas spécialement la quantité de glace perdue mais plutôt sa localisation, dans la partie est. On avait déjà vu des plateformes se désintégrer dans la région de la Péninsule Antarctique. Une importante plateforme, Larsen-A, s’était disloquée en 1995. En février 2002, Larsen B s’est également désintégrée. Ce fut alors le plus grand effondrement de ce type jamais observé avec la disparition de 3 250 km2 de glace, soit une surface plus que grande que celle du Luxembourg. L’événement suscita beaucoup d’attention en raison de sa rapidité, de l’ampleur de la plateforme et de son épaisseur (200 mètres).

Après la désintégration de Larsen-B, le mouvement des glaciers vers la mer s’est considérablement accéléré. La plateforme Larsen-C, plus au sud et quatre fois plus grande que Larsen-B, a ensuite montré des signes d’instabilité. En mai 2017, un changement important a été observé sur la faille de la plateforme de glace Larsen C. Cette plateforme est la quatrième plus grande de l’Antarctique avec une surface de 50 000 km². Un iceberg géant de 5 800 km² et mille milliards de tonnes s’est finalement détaché de Larsen C en juillet 2017, faisant reculer le front de glace de 40 km.

L’Antarctique oriental représente un potentiel d’élévation du niveau de la mer de plus de 50 mètres en cas de fonte totale. Il est heureusement plus stable que l’Antarctique occidental, qui contient cinq fois moins de glace mais qui est très vulnérable en raison de sa topographie.

La situation est donc contrastée sur le continent. Dans l’ouest de l’Antarctique, les plateformes glaciaires ont diminué depuis 1994 avec une forte accélération durant la dernière décennie. Les plateformes des mers d’Amundsen et de Bellingshausen, notamment, représentent la contribution la plus importante. Dans l’est de l’Antarctique, réputé plus stable, les gains l’emportaient jusqu’à récemment sur les pertes mais la situation a changé depuis une vingtaine d’années, d’où l’importance de connaître la stabilité des plateformes de glace, qui agissent comme des contreforts pour les glaciers. Les plateformes de glace sont des masses flottantes d’eau gelée qui prolongent les glaciers assis sur le continent.  La disparition d’une plateforme n’élève pas directement le niveau de la mer puisqu’elle flotte déjà sur l’océan mais  elle le fait de manière secondaire en provoquant l’accélération de l’écoulement des glaciers en amont. Le rôle de ces contreforts est donc primordial pour stabiliser la calotte glaciaire de l’Antarctique qui elle repose sur la terre ferme.

La perte de masse totale de l’Antarctique est aujourd’hui six fois plus rapide qu’il y a quarante ans. D’après le rapport du GIEC, il est cependant difficile de savoir si la perte de masse de l’inlandsis de l’Antarctique oriental au cours des trois dernières décennies a été significative (Rignot et al., 2019) ou essentiellement nulle dans les limites des incertitudes (équipe IMBIE, 2018).

Selon les analyses d’Eric Rignot, pour la période 2009-2017, l’Antarctique de l’Ouest représente 63% de la perte totale (159 ± 8 Gt / an), l’Antarctique de l’Est 20% (51 ± 13 Gt / an) et la Péninsule 17% (42 ± 5 Gt / an). Les secteurs de la mer Amundsen / Bellingshausen, en Antarctique de l’Ouest, mais aussi de la Terre de Wilkes, en Antarctique de l’Est, sont en première ligne. C’est dans dans la Terre de Wilkes que se trouve l’immense glacier Totten, qui pourrait à lui seul augmenter le niveau de la mer de 3,5 m. D’après l’équipe IMBIE, l’Antarctique de l’Est n’a pas significativement perdu de masse dans son ensemble mais le GIEC juge très probable que certaines parties orientales aient perdu de la masse sur les deux dernières décennies.

Le glacier Totten est particulièrement surveillé et il semble avoir été légèrement affecté par la vague de chaleur de mars 2022 en Antarctique de l’Est. A la mi-mars, une rivière atmosphérique a déversé beaucoup d’air chaud et même de la pluie au lieu de la neige sur certaines parties de l’Antarctique oriental, faisant grimper les températures à des niveaux aberrants par rapports aux normales de saison. On peut voir sur la carte ci-dessous le taux de vêlage moyen (Gt/an) des plateformes de glace de l’Antarctique pour 2005-2019. On y observe notamment l’évolution des plateformes Conger et Totten à l’est.

Taux de vêlage moyen (Gt/an) des plateformes de glace de l’Antarctique pour 2005-2019. Source : Mengzhen Qi et al. 2021/Earth System Science Data

Des températures exceptionnelles pour un mois de mars, et même par endroit tous mois confondus, ont été observées entre le 16 et le 20 mars 2022 sur l’est de l’Antarctique, rapporte Météo France.

A l ‘intérieur des terres, la station de Concordia, à 3234 m d’altitude, a enregistré une température record de -11,5°C le 18 mars, soit plus de 40°C de plus que la normale. Il s’agit d’un record absolu tous mois confondus battant les -13,7°C du 17 décembre 2016. Le record mensuel a été pulvérisé de plus de 16 degrés (-27,9 °C, 12 mars 2013).

Sur la base de Vostok, une température de -17,7 °C  a été relevée, ce qui dépasse de 15°C le précédent record pour un mois de mars (-32,6 °C le 4 mars 1967). Battre un record mensuel de près de 15 °C sur une station disposant de plus de 60 ans de données est un événement inédit dans l’histoire de la climatologie, souligne Météo France. Cet épisode de chaleur rappelle les valeurs improbables également observées lors de la canicule au Canada en juin 2021. La vague de chaleur avait atteint son paroxysme le 29 juin 2021, avec 49.6°C à Lytton, un niveau que l’on ne pensait pas voir arriver aussi rapidement à une telle latitude. On peut voir sur les deux graphiques ci-dessous à quel point les deux épisodes se démarquent des valeurs moyennes, avec un écart encore plus spectaculaire pour l’épisode récent à la station de Vostok.

Source : Robert Rohde.
Source : Robert Rohde.

La station la plus proche de la plateforme Conger, qui vient de s’effondrer, est la station australienne de Casey, située à environ 300 kilomètres. La température a atteint 5,6°C, nettement plus que la normale. Le précédent record pour un mois de mars était de 4,1°C, un niveau atteint… Le 6 mars 2021.

Météo France a expliqué l’épisode de chaleur par la formation d’un anticyclone autour du 15 mars sur l’océan austral au sud l’Australie et au sud de la Nouvelle-Zélande, se prolongeant par une dorsale jusqu’à l’est du continent antarctique. Dans le même temps, on trouvait une vaste zone de basses pressions, plus classique, plus à l’ouest sur l’océan. Cette situation s’est bloquée durant quelques jours, ce qui a favorisé une remontée d’air exceptionnellement chaud, et humide, sous forme d’une rivière atmosphérique, en provenance de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande. Pluie et douceur exceptionnelle ont ainsi été observés jusqu’au littoral antarctique. 

Le glacier Conger avait déjà été fragilisé lors des années précédentes mais il est possible que l’effondrement ait été favorisé par la vague de chaleur anormale. On attendra maintenant les études d’attribution qui permettront de préciser le rôle de la vague de chaleur du mois de mars en Antarctique et plus globalement du changement climatique. Difficile en tout cas de ne pas noter la multiplication des événements extrêmes dans les régions polaires.

En février 2022, la glace de mer autour de l’Antarctique a atteint l’étendue la plus faible jamais observée depuis le début des relevés par satellite en 1979. C’est la première fois que l’on observe une diminution de l’étendue de glace en dessous de 2 millions de kilomètres carrés.

Etendue de la glace de mer de l’Antarctique. Source : NSIDC.

La glace de mer a atteint son étendue la plus faible le 25 février 2022, avec 1,92 million de kilomètres carrés. C’est 190 000 kilomètres carrés de moins que le précédent record à la baisse atteint le 3 mars 2017.

D’une année à l’autre, la glace de mer de l’Antarctique peut être très variable et c’est un phénomène moins significatif que celui des glaciers. Une poussée de croissance de la glace de mer en 2014 et 2015 a renforcé une petite tendance à la hausse dans les relevés à long terme. Mais au cours des sept dernières années, la glace de mer s’est généralement située au niveau ou en dessous de la moyenne, avec notamment des minima record en 2017 et 2022. La tendance à long terme est relativement plate, et en raison de la variabilité, elle n’est pas considérée comme statistiquement significative.

En revanche, la glace de mer dans l’Arctique affiche une nette tendance à la baisse depuis le début des relevés satellites. Globalement, pour l’Arctique et l’Antarctique combinés, la tendance est définitivement toujours à la baisse pour l’étendue de la glace de mer. Les niveaux de combinés de l’Arctique et de l’Antarctique actuellement observés figurent parmi les plus faibles jamais observés.

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1 réponse »

  1. C’est dingue: si une telle anomalie s’était produite un mois plus tôt, la température aurait été positive à Vostok. En plein continent Antarctique, à 3500 mètres d’altitude…

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