Climat

Déséquilibre énergétique : le point sur les données CERES

Le climat de la Terre est déterminé par un équilibre entre la quantité d’énergie solaire absorbée et la quantité de rayonnement infrarouge thermique que la Terre émet vers l’espace. Un déséquilibre énergétique positif signifie que le système terrestre gagne de l’énergie, ce qui provoque le réchauffement de la planète.

Le déséquilibre est influencé par les forçages climatiques naturels et anthropiques et la réponse du système climatique à ces forçages. Il est également influencé par des variations internes au sein du système climatique. La majeure partie du déséquilibre énergétique contribue à réchauffer l’océan (près de 93%) ; le reste réchauffe la terre (4%), fait fondre la glace (3%) et réchauffe l’atmosphère (moins de 1%). Ces chiffres montrent l’importance d’évaluer le déséquilibre énergétique et le réservoir principal de chaleur en excès, l’océan.

Les gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone et le méthane piègent la chaleur dans l’atmosphère, capturant le rayonnement sortant qui s’échapperait autrement vers l’espace. Les émissions de ces gaz augmentent en raison de l’activité humaine. Le réchauffement entraîne d’autres changements, tels que la fonte de la neige et de la glace, et des changements accrus de la vapeur d’eau et de nuages qui peuvent encore amplifier le réchauffement.

La suite de capteurs satellites Clouds and the Earth Radiant Energy System (CERES) de la NASA mesure la quantité d’énergie qui entre et sort du système terrestre depuis 2000. En outre, les données d’un réseau mondial de flotteurs océaniques, appelés Argo, permettent une estimation précise du rythme auquel les océans du monde se réchauffent. Etant donné qu’environ 90 % de l’excès d’énergie d’un déséquilibre énergétique se retrouve dans l’océan, les tendances globales du rayonnement entrant et sortant devraient logiquement être largement en accord avec les changements de la teneur en chaleur de l’océan. Et c’est bien le cas d’après les observations disponibles.

Le déséquilibre énergétique de la Terre a doublé au cours de la période de 14 ans allant de 2005 à 2019, d’après les données satellitaires CERES et les données du réseau de flotteurs océaniques Argo. Par la suite, des niveaux record ont été observés avec un pic à 1,65 W/m2 en 2021 (moyenne mobile sur 12 mois), comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous montrant les données CERES du déséquilibre énergétique de la Terre. Les dernières données disponibles datent de novembre 2022 : le déséquilibre sur 12 mois approche 1,4 W/m2. Mais compte-tenu de la variabilité interrannuelle, il est plus pertinent de retenir une moyenne à plus long terme. Sur les 10 dernières années, le déséquilibre est d’environ 1 W/m2, contre 0,54 W/m2 sur la période 2001-2010, d’après les données CERES.

Moyenne mobile sur 12 mois du déséquilibre énergétique de la Terre au sommet de l’atmosphère (TOA) en W/m2. Source : CERES_EBAF-TOA_Ed4.2.

Ce déséquilibre énergétique représente la différence entre le rayonnement solaire absorbé (Absorbed Solar radiation, ASR) et le rayonnement sortant à grande longueur d’onde (Outgoing longwave radiation, OLR).

En situation d’équilibre, ASR et OLR sont équivalents. Le rayonnement à ondes longues sortant (OLR) est l’énergie que la surface et l’atmosphère de la Terre émettent sous forme de rayonnement à ondes longues, qui se situe principalement dans la gamme infrarouge. La quantité d’OLR est déterminée par la température de la surface et de l’atmosphère de la Terre, des températures plus élevées entraînant davantage d’OLR. A l’équilibre, la température de l’atmosphère se maintient à un niveau qui permet d’émettre suffisamment d’énergie infrarouge pour contrebalancer l’énergie solaire absorbée.

Les gaz à effet de serre que les activités humaines injectent dans l’atmosphère bouleversent cependant cet équilibre. L’ajout de CO2 entrave le rayonnement infrarouge sortant de l’atmosphère. Pour rétablir l’équilibre, la surface de la Terre doit se réchauffer, de sorte qu’elle émettra plus d’énergie infrarouge (à grande longueur d’onde), dont une partie quittera l’atmosphère et compensera l’effet des gaz à effet de serre supplémentaires.

L’augmentation des concentrations de CO2 entraîne donc d’abord une diminution de l’OLR, car davantage de rayonnement à ondes longues est absorbé par l’atmosphère et renvoyé vers la surface. C’est ce qu’on appelle communément l’effet de serre.

En raison de cette diminution de l’OLR, la surface de la Terre et la basse atmosphère se réchauffent, car moins d’énergie est renvoyée vers l’espace. Cependant, le réchauffement de la surface et de l’atmosphère de la Terre peut entraîner par la suite une augmentation de l’OLR, car les objets plus chauds émettent plus de rayonnement. Cette augmentation de l’OLR permet de réguler la température de la Terre et de revenir à l’équilibre.

Le graphique ci-dessous montre l’écart entre l’ASR et l’OLR de 2000 à 2022, écart qui représente le déséquilibre énergétique au sommet de l’atmosphère. Cette séquence courte de CERES ne doit pas induire en erreur, si l’OLR augmente, la hausse de la température de la surface et l’atmosphère en est grandement responsable. On voit que c’est l’ASR qui accroit le déséquilibre énergétique, point sur lequel nous reviendrons. Ce déséquilibre énergétique qui s’accroit doit conduire à davantage de réchauffement.

L’un des facteurs clés qui déterminent la quantité d’ASR est l’albédo, qui est la fraction du rayonnement solaire entrant qui est réfléchie vers l’espace. Les changements de la température et du climat de la Terre peuvent modifier la quantité de glace et de couverture de neige en surface, ce qui peut affecter l’albédo de la Terre et la quantité d’énergie solaire absorbée. La fonte des calottes polaires due au réchauffement climatique peut entraîner une réduction de l’albédo de la Terre et une augmentation de l’ASR, ce qui peut encore aggraver le réchauffement.

De plus, les changements de température et de climat de la Terre peuvent affecter la circulation atmosphérique et la distribution des nuages, ce qui modifie la quantité d’énergie solaire réfléchie vers l’espace.

La tendance à la baisse de l’albédo a été dominée ces dernières années par les nuages (réduction de leur nombre et de leur épaisseur), un effet probablement amplifié par une diminution des aérosols réfléchissants. Les nuages ont cependant également des impacts sur l’OLR.

En situation d’équilibre, l’OLR contrebalance l’absorption d’énergie solaire (ASR). Mais avec des niveaux de gaz à effet de serre plus élevés, à mesure que l’énergie s’accumule dans le système climatique, la température mondiale augmente et l’OLR augmente jusqu’à ce que le bilan énergétique soit rétabli. Dans cette vision canonique du réchauffement climatique, l’accumulation nette d’énergie est une conséquence de la diminution de l’OLR entraînée par le forçage des GES. Mais comme on l’a dit, il s’ensuit une élévation des températures et une augmentation de l’OLR qui doit conduire au rétablissement de l’équilibre. Avec les gaz à effet de serre, l’équilibre s’obtient au prix d’une hausse des températures.

La plupart des modèles montrent qu’après la perturbation initiale qui réduit l’OLR, l’accumulation d’énergie est principalement causée par une augmentation du rayonnement solaire absorbé (ASR).

Les données de CERES montrent en effet une augmentation de l’ASR depuis 2014. Cette tendance ASR ne peut pas être expliquée par les cycles solaires, car la tendance du flux solaire incident est négligeable (−0,053 W m−2 par décennie).

L’augmentation de l’énergie solaire absorbée est due principalement à la réduction de la couverture nuageuse et à l’albédo réduit. Dans la plupart des modélisations, si le réchauffement climatique est mis en mouvement par les gaz à effet de serre qui réduisent l’OLR, il est finalement soutenu par les rétroactions climatiques qui augmentent l’ASR. Avec le réchauffement, l’humidité de l’atmosphère, la réduction de la neige et de la couverture de glace de mer favorisent l’absorption d’énergie solaire. Les rétroactions liées aux nuages figurent parmi les principales incertitudes dans les projections des modèles et expliquent les scénarios les plus pessimistes.

Bien que les gaz à effet de serre tels que le CO2 n’affectent pas directement la quantité d’ASR absorbée par la surface de la Terre, ils peuvent indirectement affecter la température et le climat de la Terre, qui à leur tour peuvent affecter l’albédo de la Terre, la couverture nuageuse et la circulation atmosphérique, entraînant des changements dans la quantité d’ASR.

Les nuages bas se forment près de la surface de la Terre et jouent un rôle important dans la régulation de l’équilibre énergétique de la planète. Ils ont tendance à renvoyer plus de rayonnement solaire dans l’espace qu’ils n’en absorbent, ce qui aide à refroidir la surface de la Terre. Toute modification de la quantité ou des propriétés des nuages bas peut donc avoir des implications importantes pour le climat de la Terre.

Une étude parue en 2021 montre que l‘oscillation décennale du Pacifique (PDO, un mode de variabilité climatique du Pacifique) a sans doute eu un impact sur l’ASR. Une phase d’oscillation décennale du Pacifique chaude qui a commencé vers 2014 et s’est poursuivie jusqu’en 2020 a provoqué une réduction généralisée de la couverture nuageuse au-dessus de l’océan et une augmentation correspondante de l’absorption du rayonnement solaire.

Prudence tout de même, on note que malgré la phase négative de la PDO depuis 2020, le déséquilibre énergétique reste à un niveau étonnement élevé.

Les données n’offrent cependant qu’un instantané par rapport au changement climatique à long terme, et il n’est pas possible de prédire avec certitude à quoi pourraient ressembler les décennies à venir pour l’équilibre du budget énergétique de la Terre.

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1 réponse »

  1. On voit bien l’impact des rétroactions avec une ASR qui augmente en gros deux fois plus vite que l’OLR. Et puisqu’il est question d’albédo, la glace antarctique a battu le record de fonte pour la deuxième année de suite…

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