Climat

Océans morts pour un million d’années

Les océans contiennent de l’oxygène (O2). Celui-ci permet aux poissons et à tous les animaux marins de respirer, par les branchies ou par la peau pour certains organismes. Il se dissout dans l’eau qui affleure au contact de l’air à la surface des océans. Le plancton photosynthétique, algues minuscules en suspension, en forme aussi dans les mètres supérieurs où pénètre la lumière du soleil. L’eau froide est plus riche en oxygène que l’eau tiède.

Un excès de nutriments, d’azote et de phosphore dans l’eau, peut provoquer une prolifération d’algues. Celle-ci est souvent suivie d’un décuplement de la population de bactéries qui consomment finalement tout l’oxygène.  Ainsi se forme une zone morte, ou zone en hypoxie (pauvre en oxygène). Les poissons qui y pénètrent ne peuvent pas respirer et meurent. La pollution agricole est actuellement la principale cause de formation de ces zones, et elle doit être soigneusement contrôlée. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. En Angleterre, 80% de rivières sont polluées par les phosphates (Angling Trust WQMN). C’est la principale atteinte aux cours d’eau naturels dans ce pays. 

Par le passé, les grandes extinctions ont mené à la disparition de 95% d’espèces existantes. Celles-ci vivaient en majorité dans les océans où la vie a été quasiment anéantie. Ces événements ont notamment été provoqués par des périodes de volcanisme qui ont réchauffé la Planète de quelques degrés. Il a débouché sur un afflux d’éléments nutritifs dans les océans et sur une stratification accrue de l’eau, qui en a réduit le mélange. L’anoxie de grandes parties des océans s’en est suivie. Nous allons actuellement dans la même direction. 

J’ai contacté le professeur Benjamin Mills, professeur en Modèles Biogéochimiques, pour demander des chiffres. Il estime que si nous polluons les océans au rythme actuel pendant mille ans, nous pourrions causer la formation de zones mortes très étendues et peut-être une extinction de masse similaire aux événements passés. Cependant, le réchauffement climatique est une menace supplémentaire. Le dégel du permafrost et le lessivage des sols par les précipitations intenses pourraient en emporter une quantité importante dans les mers.  Selon lui, les modèles climatiques divergent dans leurs prévisions pour le prochain siècle. Ils prévoient qu’en 2100, nous pourrions perdre de 5% à 10% de l’oxygène des océans aux profondeurs de 100 à 1000 mètres.

Au siècle passé, la quantité de phosphore dans les lacs européens a révélé des seuils critiques au-delà desquels les lacs peuvent passer rapidement de l’eau claire à une eau trouble riche en phytoplancton. Lorsque la charge en nutriments diminue, le lac redevient limpide. Le réchauffement pourrait augmenter la solubilisation de phosphore des sédiments,  qui rend difficile la récupération de certains lacs entrés en eutrophisation. Cette accumulation excessive de nutriments provoque une croissance exubérante d’algues, et mène à l’hypoxie. 

L’augmentation des précipitations et du lessivage de phosphore des champs et des sols augmente aussi ce risque. Le réchauffement accroît aussi la stratification de l’eau, qui favorise l’anoxie (absence d’oxygène). Des boucles de rétroaction écosystémiques s’y ajoutent (p.ex plantes – zooplancton – poissons – algues – turbidité). La montée des températures provoque aussi un afflux accru de matière organique dissoute (DOM) dans les lacs et les rivières boréales.  Celui-ci réduit l’acidification due à l’excès de CO2 atmosphérique mais favorise l’eutrophisation. L’anoxie mène à une libération de phosphore des sédiments, et s’auto-amplifie.

Les lacs pourraient simplement se dessécher et disparaître. C’est en fait le principal risque climatique pour ces plans d’eau. Le dégel du permafrost et la fonte des glaciers pourraient aussi en former des nouveaux. L’écoulement amènerait des minéraux et de la matière organique dans les océans et augmenterait le risque d’hypoxie, par l’afflux direct de phosphore ou par l’intermédiaire d’un afflux d’azote, qui mènerait à une solubilisation de celui-ci (GTP report 2023).

Un éventuel arrêt de la circulation océanique, qui s’étendrait sur des dizaines d’années, pourrait aussi diminuer l’aération des océans (GTP report 2023). L’oxygène atteint les profondeurs des océans de la surface. Les eaux oxygénées sont entraînées par la circulation thermohaline et par la circulation circum-Antarctique. L’eau salée refroidie dans les régions polaires devient plus dense et plonge vers le fond des océans. Actuellement, le réchauffement climatique met à mal ce mécanisme. Aussi bien au Sud du Groenland qu’autour de l’Antarctique, le mouvement des eaux de surface oxygénées vers l’intérieur de l’océan semble ralentir. Cela aussi diminue la possibilité de respirer dans les océans. Les modèles climatiques du GIEC n’incluent probablement pas ce risque pour le 21e siècle, alors que des études récentes en montrent la possibilité.

De plus, le réchauffement climatique diminue aussi la solubilité de l’oxygène, l’eau à 20°C en contient 30% de moins que l’eau à 2°C. Il constitue donc une menace pour la vie des poissons.

Le climat influence la vie dans les océans de plusieurs façons: la température de l’eau change, le gaz carbonique acidifie l’eau, et la quantité d’oxygène dans l’eau pourrait diminuer. Plusieurs facteurs pourraient le réduire : la température de l’eau, la stratification, l’afflux d’azote et de phosphore et l’arrêt des circulations océaniques.

Une fois formées, les zones mortes s’auto-amplifient. Dans l’histoire de la Terre, de telles conditions ont subsisté pendant un million d’années. Nous pourrions donc vider les océans des poissons pour une période aussi longue.

Une étude importante a établi en 2018 que la quantité d’oxygène dans les eaux côtières et dans les océans diminue depuis au moins cinquante ans (Breitburg). Les zones pauvres en oxygène s’étendent d’environ un mètre par an. Une d’entre elles, au sud de la Californie, a perdu 30 % d’oxygène en moins de 25 ans. Les océans ont perdu près de 2 % de leur oxygène en 50 ans et le nombre de zones maritimes dénuées d’oxygène a quadruplé. Les scientifiques ont alors identifié 500 sites côtiers où les niveaux d’oxygène sont extrêmement bas.

Les poissons ne peuvent plus vivre dans des larges espaces qui se désertifient. Une réduction partielle de l’oxygène a aussi des graves conséquences pour les animaux marins. Certains animaux s’y adaptent en descendant plus en profondeur, comme les makaires bleus au large des côtes du sud-est des Etats-Unis ou les thons obèses. D’autres montent fréquemment respirer au-dessus de la zone hypoxique.

L’extension de zones en hypoxie doit être bien analysée et l’afflux de polluants dans les lacs et les océans doit être contrôlé. J’aimerais voir les chiffres les plus récents. Les éléments que je donne ici montrent que l’hypoxie pourrait progresser plus que les estimations actuelles ne le prévoient. Il me semble clair qu’il faudrait aussi sauver le climat pour assurer la vie dans les océans.

Addendum 14 février 2024:Il me semble qu’il y a un réel danger et je commence à réfléchir aux solutions. Une des meilleurs solutions de capture de carbone semblait venir de cultures d’algues marines. Si celles-ci étaient placées près des estuaires déversant le phosphore et le nitrate, elles pourraient peut-être purifier l’eau en captant le carbone. Je me demande aussi s’il est possible d’oxygéner artificiellement certains zones en hypoxie.

Addendum le 19 février 2024:

Un article de Science suggère que l’oxygénation des eaux de surface du Pacifique Nord tropical a, au contraire augmenté au cours de la période de réchauffement PETM ce qui pu éviter une extinction à cette époque. https://www.science.org/doi/10.1126/science.adh4893

Ce communiqué évoque plusieurs pistes pour régénérer les populations de poissons et le carbone des océans: https://phys.org/news/2024-02-ways-overfishing-biodiversity-climate.html https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmars.2022.788339/full

20 février 2024: Une étude estime que les zones en anoxie pourraient servir de dépôt de carbone, d’algues, qui y resteraient longtemps sans être dégradées par les bactéries: https://phys.org/news/2024-02-anoxic-marine-basins-candidates-deep.html

22 mars 2024: Les côtes Nord-Ouest des Etats-Unis subissent une déoxygenation importante, l’eau chaude descend au fond et y forme des zones en hypoxie https://phys.org/news/2024-03-hypoxia-widespread-ocean-pacific-northwest.html

L’Organisation Météorologique mondiale annonce dans son State of Global Climate 2023 que 80-90% de surfaces des océans ont subi des vagues des vagues de chaleur marine, et que cela aura des conséquences pour des milliers d’années.

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